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Que se passe-t-il quand la loi devient trop injuste ?

Nous le constatons, les lois positives sont de plus en plus injustes et contre-nature. Faut-il le déplorer ? Évidemment, mais ne nous en étonnons pas : les législateurs ont décidé de mettre au feu l’héritage de la foi catholique, qui a remis de l’ordre divin dans le désordre humain lié au péché originel, alors ne nous étonnons pas de retrouver aujourd’hui un « doux » et « libéral » désordre païen…

Car, oui, pour savoir ce qui nous attend, il suffit de regarder le passé païen, ici ou là, sans passer sous silence les aspects qui dérangent l’esprit « œcuménique » de la diversité culturelle et du relativisme chronique du « tout se vaut ».

Racontons ici quelques histoires célèbres et populaires au Japon : celles de procès sous l’ère Edo, époque persécutrice pour la foi chrétienne et possédant de nombreux points communs avec notre temps, comme le fichage extensif de la population, le contrôle des élites par la terreur ou encore l’interdiction de tout prosélytisme chrétien. Pour cela, nous allons nous fonder sur le livre d’un juriste et historien du droit célèbre au Japon, le Pr. Masajiro Takigawa (1897-1992). Cet ouvrage, intitulé Histoires de procès[1], compile de nombreux procès transmis jusqu’à nous par diverses traditions écrites, et dont certaines sont largement connues dans la population nippone.

Intéressons-nous particulièrement à deux histoires qui se sont déroulées à Edo, la capitale nippone, et jugées par un bailli semi-légendaire, à qui l’on attribue un grand sens de la justice, le dénommé Ôka.

La première histoire concerne un crime — selon la loi positive du lieu et du moment — commis par un homme : celui-ci, en effet, avait osé couper une branchette de cerisier en fleur… Il se trouve qu’un décret shogounal datant du début du XVIIe siècle interdisait formellement de « voler » des branches de cerisier sous peine d’être amputé d’un membre sur une longueur équivalente à celle de la branche subtilisée. Notre homme fut donc attrapé avec l’objet du crime, et envoyé devant le bailli Ôka, qui le fit emprisonner le temps du jugement. Il fut renvoyé devant le bailli après quelques dizaines de jours de prison. Ôka le condamna alors selon la loi : amputation d’un membre sur une dizaine de centimètres… Or, les ongles du prévenu avaient grandement poussé pendant son séjour en geôle : l’accusé s’en sortit donc intact… allégé de 10 centimètres d’ongles !

La seconde histoire concerne un pauvre et jeune commis de la capitale qui passa près des douves et eut le malheur de jeter, par réflexe (l’homme venant certainement de la campagne), une pierre sur un canard qui passait par là. Malheureusement pour lui, l’oiseau fut touché et mourut sur le coup, or une loi shogounale prévoyait que toute personne qui tuerait un canard près du château shogounal — acte assimilé à un crime de lèse-majesté, voire un attentat contre la vie du shogoun, qui se promenait souvent à cet endroit — serait puni de mort. Arrêté par des gardes témoins du crime, le jeune commis fut envoyé devant le bailli Ôka.

Le bailli, forcé d’appliquer la loi, appela le maître du commis à comparaître. Le bailli dit alors : « Tiens, le canard est encore chaud, peut-être n’est-il pas mort. Toi, le maître, je te donne une chance. Prends ce canard et soigne-le, si tu le guéris, ton commis sera sauvé, sinon ce sera la mort. Va dans tel quartier, tu y trouveras des soigneurs. » Le maître se rendit sur place et revint deux jours plus tard, avec un canard vivant et en bonne santé, sauvant ainsi la vie de son commis. En fait, à l’endroit indiqué par Ôka, le maître n’avait trouvé aucun soigneur… seulement un éleveur de canards !

Voici donc deux histoires typiques de clémence à cette époque. Que peut-on remarquer ? Comme le dit Masajiro Takigawa :

« (…) On appelle cela « l’efficacité du mensonge », que l’on peut ainsi tolérer : ces procès d’Ôka tordent la réalité (pour sauver le prévenu) et reposent, de fait, sur des mensonges. Ces mensonges sont d’ailleurs d’autant plus absurdes que tout le monde se rend compte de ce qu’ils sont, mais plus le mensonge est gros, plus il est retenu par la postérité comme un jugement magnanime. (…)

Une société qui, néanmoins, ne ferait pas ce genre de jugement serait une société malsaine (…). »

Voilà la réalité de la société païenne : les lois deviennent toujours injustes et absurdes, à un moment ou à un autre. Cette réalité est si prégnante que l’auteur, qui ne connaît par définition que peu et mal la justice chrétienne, affirme clairement que ce genre de mensonge ou de tricherie est une bonne chose puisqu’elle permet une justice plus clémente… et en un certain sens, c’est vrai. Il ne lui vient simplement pas à l’esprit que le problème vient de la loi injuste elle-même, qu’il faudrait abroger. Sans connaissance de la chrétienté, les hommes — même aussi intelligents et érudits que Masajiro Takigawa — n’ont pas la conscience de la loi supérieure, naturelle et divine, ils n’ont donc aucun moyen d’apprécier les lois positives à l’aune des lois supérieures : la loi positive, c’est-à-dire la volonté de l’autorité (qu’elle soit démocratique comme aujourd’hui, ou despotique comme autrefois) devient donc absolue et sacrée, aussi terrible soit-elle. Si elle devient trop dure ou contre-nature, la société trouve des moyens pour survivre, pour contourner les jugements les plus cruels, mais sans jamais remettre en cause la loi elle-même, comme l’illustrent les histoires ci-dessus ainsi que la conclusion de l’auteur.

La justice païenne, c’est le respect formel de la loi positive, quelle qu’elle soit. Dans ce contexte, il ne peut exister de bonne « justice », nous l’avons vu. Le péché — ici, le mensonge — est même susceptible de devenir un « bien » ou, tout au moins, un moindre mal. C’est dire si ce système est un système foncièrement contraire à la morale.

Nous pouvons malheureusement contempler dans ce passé notre avenir, voire notre présent, mais nous ne pouvons pas, nous chrétiens, nous contenter d’un système mauvais dont nous arriverions toutefois à éviter les pires décisions et conséquences en trichant ! C’est à la racine du mal que nous devons nous attaquer… Alors, oui, restaurons vite, sinon les derniers freins que constitue le semblant d’héritage chrétien qu’il nous reste ne tiendront pas longtemps…

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !

Paul-Raymond du Lac
Membre de l’Institut Lys et Chrysanthème
et du Cercle d’Études Légitimiste (CEL) de Tokyo


[1] 瀧川政次郎、『裁判史話』、燃焼社、1951,二十二、大岡の模擬裁判

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