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P. Jean-François Thomas : Prône pour la Messe de Requiem du roi Louis XVI

Prône pour la Messe solennelle de Requiem pour le repos de l’âme du Roi Louis XVI
Église Saint-Eugène-Sainte-Cécile, Paris
21 janvier 2021

Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Mes chers Frères,

Le ciel est bas et gris en ce Paris du 21 janvier 1793. La foule est dense tout au long du sinistre cortège amenant le fils de saint Louis à l’échafaud. Elle l’est encore plus autour de cette guillotine dont le couperet tombe avec un bruit sec et sifflant à 10h 10. Louis-Marie Prudhomme, cet imprimeur et éditeur jacobin du journal Les Révolutions de Paris (qui mourra de sa belle mort à Paris sous la Restauration), écrit, lyrique et prophétique :

« Un citoyen monta sur la guillotine, et plongeant son bras nu dans le sang de Capet qui s’était amassé en grande abondance, il en prit des caillots plein la main et en aspergea par trois fois la foule des assistants qui se pressaient au pied de l’échafaud pour en recevoir chacun une goutte sur le front. – Frères, disait le citoyen en faisant son aspersion, frères, on nous a menacés que le sang de Louis Capet retomberait sur nos têtes ; eh bien ! qu’il y retombe. »

Quelques dix-huit cents ans auparavant, des mots semblables avaient été prononcés, -tant les hommes sont toujours et partout de la même étoffe, sous le ciel de Jérusalem :

« Pilate voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte augmentait, prit de l’eau et se lava les mains devant le peuple, disant : Je suis innocent du sang de ce juste : voyez vous-mêmes. Et tout le peuple répondant, dit : Son sang sur nous et sur nos enfants ! » (Matthieu, XXVII.24-25).

Le sang que les prêtres du Temple répandaient sur les têtes lors des sacrifices était purificateur, comme le sera, éminemment et de façon définitive, le Sang du Maître crucifié par et pour le péché des hommes. Sur la place de la Révolution, ancienne place Louis XV, en ce matin d’hiver, la singerie et la parodie sacrilèges des sans-culottes imitant diaboliquement l’aspersion sainte et trinitaire avec le sang du Lieutenant du Christ vont prendre la France dans l’étau de son propre parjure. Oui, le sang versé est retombé sur nos têtes, et il ne cesse d’y couler, non point pour notre rachat puisque la république n’a jamais fait acte de repentir, -elle qui pourtant a souvent la repentance à la bouche lorsqu’il s’agit de dégrader un peu plus l’honneur flétri de notre pays, mais pour notre terrible destinée d’héritiers dépouillés et errants, vivant dans les guenilles spirituelles d’un faste perdu. « Le sang de Louis Capet est de l’eau bénite » dira un des enragés assistant à l’exécution tandis que la foule bat des mains. La terre de France, celle qui avait reçu l’eau du baptême de Clovis et de ses guerriers, celle qui avait été purifiée par le sang de tant de martyrs, a bu le sang du Roi et des victimes de la Révolution. Ce sang innocent ne crie pas vengeance car telle n’est pas l’attitude du témoin qui donne sa vie pour la foi. La punition est celle que s’inflige notre pays en refusant de courber la tête et de tourner le dos à ses erreurs et à ses crimes. Les révolutionnaires voulurent réduire à néant l’âme millénaire de la France en créant un monde nouveau, libéré de Dieu, mais ils ne réussirent qu’à instaurer des ténèbres qui ne cessent de s’épaissir puisque les « valeurs républicaines » sont le plus souvent des armes contre le droit naturel et la grâce surnaturelle.

Il est légitime de s’appliquer à retracer le martyre de Louis XVI, vraiment tué  par haine du divin. L’Église, en France, n’a guère combattu, sauf exceptions, pour canoniser le Roi, la Reine, le malheureux Dauphin, Madame Élisabeth et tous ceux assassinés eux aussi comme symboles d’une société, certes pécheresse, mais vivant sous le regard de Dieu. Notre Roi pourtant, sans calcul ni affectation, imita dans son abaissement  la Passion de Notre Seigneur. L’abbé Edgeworth, accompagnant le condamné jusqu’au dernier instant, rapporta comment Louis XVI, refusant d’avoir les mains liés, se laissa faire lorsque son ultime confesseur lui dit, dans les larmes et au milieu des roulements de tambours :

«  Sire, dans ce nouvel outrage, je ne vois qu’un dernier trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense. »

Et le Roi de répondre, les yeux vers le ciel :

« Assurément, il ne faut rien de moins que son exemple pour que je me soumette à un pareil affront. »

Puis, s’adressant aux bourreaux :

«  Faites ce que vous voudrez, je boirai le calice jusqu’à la lie. »

Une telle attitude de noblesse, de courage et d’abandon à la divine volonté n’est pas une posture, et ses ennemis eux-mêmes ne s’y sont point trompés car les bougres étaient tout entiers pétris de farine chrétienne. Le procureur-syndic de la Commune Pierre Manuel ,qui participa aussi aux massacres de juin et de septembre 1792, et qui se repentira par la suite, déclara, pour s’en lamenter, au journal La Révolution de 92 le 18 janvier 1793, trois jours donc avant l’exécution :

« Si Louis XVI subit son jugement, comme il n’est plus possible d’en douter, la mort de Louis de Louis XVI sera la mort d’un saint. »

Prudhomme, dans Les Révolutions de Paris, écrira de même :

« Les prêtres et les dévotes qui déjà cherchent sur le calendrier une place à Louis XVI parmi les martyrs, ont fait un rapprochement de son exécution et de la Passion de leur Christ. »

Hébert, dans l’épouvantable publication Le Père Duchesne, partagera une prédiction semblable :

« Le pape va en faire un nouveau saint ; déjà les prêtres achètent ses dépouilles et en font des reliques ; déjà les vieilles dévotes racontent des miracles de ce nouveau saint. »

Hélas, si les petites gens et le bas clergé ne se trompèrent point sur la conformité étonnante, presque un décalque, entre la mort du Roi et la Passion du Sauveur, la prophétie des révolutionnaires, qui eurent là une conviction unanime, ne trouva aucun écho à Rome, ni alors, ni par la suite, et le haut clergé de la Restauration ne montra guère d’enthousiasme à élever le Roi martyr sur les autels car sa mort soulignait trop les lâchetés, les abandons et les apostasies de cette époque tragique. Le bourreau Sanson semble avoir reçu plus de lumière surnaturelle lorsqu’il envoie une lettre au journal Le Thermidor, publiée le 22 février 1793 :

« Et pour rendre hommage à la vérité, il (le roi) a soutenu tout cela avec un sang-froid et une fermeté qui nous a tous étonnés. Je reste très convaincu qu’il avait puisé cette fermeté dans les principes de la religion dont personne plus que lui ne paraissait pénétré ni persuadé. »

La voix des ennemis et des persécuteurs fait plus autorité que les panégyriques faciles pour affirmer et révéler la vérité. Tel fut le cri du centurion et des soldats gardant les condamnés du Golgotha lorsque Notre Seigneur expira : « Vraiment, celui-ci était le fis de Dieu. »

Par sa mort ignominieuse, Louis XVI scelle de façon glorieuse sa vocation de Lieutenant du Christ. Il n’est jamais aussi grand, -lui qui, contrairement à la légende entretenue y compris parmi les nobles de la Cour, ne fut jamais médiocre et petit, que lorsqu’il offre sa vie pour son Dieu et pour ses peuples. Lorsque le 2 septembre 1792, furent massacrés, au couvent des Carmes de la rue de Vaugirard, bien des prêtres et des religieux, dont le père général des Eudistes, Hébert qui était le confesseur de Louis XVI, les révolutionnaires trouvèrent sur tous les corps une image au double Cœur, Celui Sacré de Jésus et Celui Immaculé de Marie, et une prière à la Très Sainte Vierge « que les personnes pieuses sont invitées à réciter tous les jours pour le Roi. » Elle commence par ces mots :

« Divine mère de mon Sauveur, qui, dans le temple de Jérusalem avez offert à Dieu le Père, Jésus-Christ son fils et le vôtre, je vous offre à vous-même notre roi bien-aimé Louis XVI. C’est l’héritier de Clovis, de sainte Clothilde, de Charlemagne, le fils de la pieuse Blanche de Castille, de saint Louis, de Louis XIII, de la vertueuse Marie de Pologne et du religieux prince Louis dauphin, que je vous présente. »

Voici donc le roi présenté par ses sujets au Maître de tous, ceci dans un acte d’offrande qui ne peut conduire qu’au sacrifice suprême car, comme Jésus  dans le temple des holocaustes, tout agneau doit finir égorgé. Sur l’échafaud, Louis XVI connaît le dernier rite de son  sacre de Reims. Celui qui fut oint doit verser son sang, non point pour la malédiction des bourreaux mais pour le pardon de ceux qui ne savent ce qu’ils font. La garde révolutionnaire eut ordre de couvrir toute tentative de prise de parole du Roi près de la guillotine. Il parla cependant mais ne fut entendu que de quelques-uns, qui rapportèrent tous les mêmes paroles :

« Je meurs innocent de tous les crimes qu’on m’impute, je pardonne à mes ennemis, et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France. » Puis, plaçant la tête sous le couperet : « Je remets mon âme à Dieu. »

Le Roi a pardonné, comme Notre Seigneur a pardonné, mais nous sommes marqués comme Caïn car l’orgueil du régime politique dans lequel nous essayons de survivre n’a jamais voulu fléchir. Depuis plus de deux siècles, malgré quelques éclaircies trop brèves, la révolution philosophique et bourgeoise, a poursuivi ses méfaits, vidant peu à peu de sa substance l’âme de la France en légalisant tous les crimes, toutes les immoralités, en imposant sa marque sur tout être et sur toute chose. La république installée dans les palais royaux croit sans doute que son règne durera mille ans. Elle se trompe, car les colosses ont toujours des pieds d’argile. Elle n’est qu’une pauvresse face à l’héritage des siècles et ses géants sont lilliputiens comparés à nos ancêtres les plus humbles. Il est tentant de la moquer et de la mépriser, en rejetant sur elle toutes les causes de nos maux, mais nous ne devons pas oublier que nous participons de son jeu, ne serait-ce que par notre silence et notre inaction. Dédaigner ne suffit pas. Louis XVI a été roi jusqu’au bout, même dépouillé de ses titres, de son pouvoir , de sa liberté. Il le fut car d’abord chrétien. Georges Bernanos s’adressait ainsi aux Français durant la dernière guerre :

« Le grand malheur de ce monde, la grande pitié de ce monde, ce n’est pas qu’il y ait des impies, mais que nous soyons des Chrétiens si médiocres, car je crains de plus en plus que ce soit nous qui perdions le monde, que ce soit nous qui attirions sur lui la foudre. »

Si chaque baptisé était habité par la foi d’un Louis XVI, la morgue républicaine se serait effacée depuis longtemps. Le Roi ne s’est pas contenté de demeurer sur la défensive. Il a vécu et parlé en lieutenant du Christ jusqu’à la fin. Ceux qui approchaient Notre Seigneur lui donnaient le titre de « Fils de David ». Louis XVI fut fils de saint Louis, et plus encore, fils du Christ après avoir été son serviteur et son lieutenant. À l’image de son Souverain, il s’humilia lui-même en se faisant obéissant jusqu’à la mort. Qu’il intercède pour nous, pauvres soldats toujours dans la tourmente et sous la mitraille.

Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

P. Jean-François Thomas, s. j.

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