Chretienté/christianophobie

Il y a cinq-cents ans, le 31 octobre 1517…

…Martin Luther lançait la Réforme de l’Église catholique

    Peu d’hommes, dans l’Histoire, auront autant personnifié, non seulement un courant de pensée théologique mais, surtout, un mouvement religieux qui, en quelques mois seulement, s’étendit à tout un continent, puis l’embrasa, et finalement se répandit dans le monde entier. Selon ses formes, le protestantisme compte aujourd’hui entre 300 et 900 millions de fidèles, dont les deux tiers d’Évangélistes plus ou moins «  dévisseurs d’ampoules » («  Fous de Dieu » dans le langage réformé), soit près de 40% des Chrétiens sur la planète. Son seul équivalent, mais dans l’ordre purement temporel, est celui de Karl Marx, dont nous avons parlé ici le 17 juillet dernier.

    Tout cela à partir d’une simple affiche placardée, le 31 octobre 1517, sur la porte d’une petite église d’Allemagne et sans autre objectif que d’alimenter la discussion sur un sujet certes sensible mais nullement crucial au sein de l’Église catholique de l’époque.

    Infatigable, et même acharné, chercheur en théologie, le moine Martin Luther, de l’ordre des Augustins, avait une trentaine d’années lorsque, après déjà beaucoup d’études sur les Saintes Écritures, il reçut ce qu’il appela plus tard «  l’illumination de la tour ». Durant l’hiver de 1512-1513, il s’enferma dans la tour du monastère de Wittenberg (en Saxe-Anhalt au bord de l’Elbe)  afin d’y approfondir l’exégèse de l’épître de Paul aux Romains et en ressortit transformé par la compréhension, jusqu’ici encore brumeuse à ses yeux, de la notion de justice de Dieu. Soudain, tout était devenu lumineux : les termes en cause ne désignaient pas la justice que Dieu réclame de l’homme ni la condamnation que l’homme doit subir par voie de conséquence, lui le «  pauvre pécheur », mais la justice que Dieu fonde sur le sacrifice de son Fils  et qu’il offre à l’homme pour qu’il soit sauvé par la foi.

    Même si Luther ne réalise pas immédiatement que sa découverte implique une profonde révision de la théologie dominante, il en tire cependant des conséquences immédiates et pratiques s’agissant d’un sujet qui, depuis quelque temps, fait polémique au sein de l’Église : celui des indulgences.

    Cette pratique remontait au temps des Croisades où, pou recruter des hommes et faire rentrer l’argent nécessaire à leur équipement, l’Église, se considérant comme une sorte de banque spirituelle, offrait aux volontaires la possibilité de racheter certaines de leurs peines. Elle en avait toutefois entouré l’exercice de sérieuses garanties : l’indulgence n’abolissait que les peines du purgatoire et non celles de l’enfer ; elle devait être précédée d’une confession ; enfin, elle devait être accordée gratuitement aux pauvres.

    Mais le système, sous la pression bien établie des choses du siècle, avait rapidement dégénéré : les besoins financiers croissants de l’Église, notamment en vue de l’achèvement de la basilique Saint-Pierre à Rome (déjà en ce temps là, les devis n’étaient pas tenus) la poussaient à multiplier les indulgences et à dépêcher partout en Europe des missionnaires chargés d’en vendre le plus grand nombre possible et au tarif le plus élevé, comme l’auraient fait de vulgaires démarcheurs commerciaux. Ainsi du dominicain Johann Tetzel qui, en 1515, sillonnait toute l’Allemagne dans ce but.

   Jusqu’ici Luther, comme tous les autres religieux, séculiers comme réguliers, n’avaient rien à trouver à redire aux indulgences mais voici que, d’une part leur  brocantage confinait à l’abus, d’autre part, que la certitude « révélée » dans la gratuité du pardon de Dieu les rendait évidemment intolérables. Selon l’usage du temps, Luther voulait en discuter et non prononcer une condamnation à laquelle il ne se reconnaissait aucun droit. Il commença donc par écrire à plusieurs évêques afin de recueillir leurs réflexions et fut déçu de ne recevoir aucune réponse bien qu’il fût un théologien déjà réputé en Allemagne. Il décida alors d’user de son privilège de docteur en cette matière pour en appeler à une sorte de consultation publique. C’est ainsi que, le 31 octobre 1517, peu avant midi, il afficha sur la porte de l’église du château de Wittenberg un texte manuscrit et en latin, composé de 95 articles défendant une seule et même thèse destinée à alimenter un débat entre pairs. 

    Luther ne se veut alors ni révolutionnaire, ni populaire. Bien sûr, son placard réfute la prétention du pape à pardonner les péchés mais il se veut surtout positif en reprenant dans l’Évangile, notamment de Jean, confirmée selon lui par Paul et par Augustin, le fameux «  faites pénitence » de Jésus, désormais compris comme constituant la vie entière des fidèles, et ce jusqu’à l’entrée dans le Royaume de Dieu. L’Église ne peut donc offrir aux hommes une consolation facile, car rémunérée, puisque elle les priverait alors de la rencontre salutaire avec Dieu lui-même dans sa miséricorde et son amour infini.

   Chose curieuse pour les habitudes religieuses du temps, aucun docteur ne répond à l’interpellation de Luther. On feint de n’avoir rien vu. Mais, surprise, le peuple, lui, dresse l’oreille, et très vite. Des étudiants traduisent le texte en allemand. On l’imprime et on le diffuse largement, dans cet électorat de Saxe où la censure est très limitée. Les «  thèses » se répandent ensuite dans toute l’Allemagne en quatre semaines : une stupéfiante rapidité pour l’époque.  Puis elles traversent les frontières. Un des amis de l’auteur – il en a quand même quelques uns – Friedrich Myconius, du même monastère, écrit alors : «  il semble que les anges eux-mêmes aient fait l’office de courriers pour mettre les thèses sous les yeux du monde. »

    La Réforme est lancée et, déjà, la contre Réforme : ulcéré, Tetzel a publiquement fait brûler le texte de Luther avant de rédiger une réponse, que les étudiants d’Erfurt et d’Heidelberg brûlent à leur tour. Les princes ne s’en mêlent pas encore mais cela sent déjà la guerre de religion, évidemment évitable comme la plupart des guerres …

Daniel de Montplaisir

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