L’homme schizophrène, par Antoine Michel

Nous ne sommes pas schizophrène et tout homme est un. Dire cela semble une évidence, mais elle ne l’est pas tant que cela dans le monde contemporain : tant de gens ne sont pas « entiers » comme on dit, et change de visage et de personnalité en fonction des gens et des lieux. Mieux, il arrive souvent que l’on agisse « à tel titre » plutôt qu’à un autre.
Dans une certaine mesure cela peut être légitime, tant qu’il n’y a pas de contradictions ni que cela justifie des péchés : on peut être président de telle association, directeur de tel entreprise, père de famille, etc., et donc avoir différentes missions et charges, et certaines actions sont plus pour certaines charges que d’autres. S’il y a conflit entre plusieurs charges, ce qu’on appellerait conflits d’intérêts aujourd’hui – de façon très pauvre – l’ordre moral prime, la vertu prime, et les missions principales priment. Tout cela de façon prudentielle : le père de famille doit savoir se sacrifier pour sa famille, même si cela va contre son intérêt d’individu, comme le roi se sacrifie dans son existence même pour son royaume, en lui appartenant complétement. La nature étant bien faite les différents ordres, comme l’ordre est bon et légitime, ne se contredisent que rarement : un roi doit se sacrifier pour son royaume, mais il est mauvais qu’il meurt sans héritier, qu’il règne peu et prenne de trop grands risques non plus, car les conséquences pour le bien commun et la paix pourraient être terribles.
Certes, donc, on peut agir à plusieurs titres, et dans une certaine mesure il est bon d’en user habilement tant que c’est pour le bien. Comme dit l’évangile ma main droite n’a pas besoin de savoir ce que fait ma main gauche. Cela ne doit pas pourtant faire perdre de vue l’unicité de l’intention, et le danger serait de tomber dans la duplicité – double intention, ou plus, justement cette schizophrénie maladive si contemporaine – et l’hypocrisie. Le monde moderne pousse à rendre les gens schizophrènes et par la perfide et hypocrite, à ne pas assumer ce qu’ils sont ni leurs intentions… Pour restaurer une société saine battons-nous contre cette tentation et sachons que nous sommes purement un, et que cette unité nous interdit de ne pas être entier. Je ne suis pas un jour catholique et un autre jour non, ni un jour chef et un autre non, ni un jour légitimiste mais un autre non. On incarne tous les titres que nous pouvons avoir et aucun n’efface l’autre – sinon c’est qu’il y a un gros problème et que quelque chose ne tourne pas rond.
Quand on est roi on l’est tout le temps, et catholique c’est la même chose.
Idem pour le chef d’entreprise. Donc le chef d’entreprise catholique ne peut qu’affirmer sa foi, par le port d’une médaille miraculeuse par exemple, et sans que cela n’empêche de faire son travail. Idem, on est légitimiste tout le temps, même si on est par ailleurs universitaire ou directeur d’entreprise. On peut être prudent et ne pas tout dire tout le temps, mais il ne faut jamais faire quoi que ce soit qui puisse paraître comme un scandale, une compromission, une omission volontaire de ce qui n’est pas négociable, d’autant plus quand on atteint une position de pouvoir ou d’influence : la responsabilité n’en est plus grande, et la confiance à la Providence doit primer sur les intérêts matériels.
On en revient ainsi toujours au fameux adages salésiens et augustiniens : user des choses de ce monde sans en jouir et jouir des choses de Dieu sans en user. L’intention doit toujours être une, puisque Dieu nous a créé ainsi.
Le monde révolutionnaire, comme destructeur de la nature, veut au contraire nous rendre schizophrène, hypocrite, duplice.
Ne nous laissons pas avoir !
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Antoine Michel
