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Tenir son rang au vingt-et-unième siècle, par Paul-Raymond du Lac

Archives départementales du Rhône, Preuves de Malte
Archives départementales du Rhône, Preuves de Malte

Tenir son rang est peut-être une expression connue encore de nos contemporains mais tout à fait étrangère à nos compréhensions modernes. On a la vague image, si encore il reste une image, d’aristocrates défraîchis qui dépensent trop pour se représenter dans le monde. Ce n’est pas tout à fait cela.

Que signifie tenir sans rang ? Cela signifie faire en sorte de correspondre aux exigences de son rang, qui, quand les choses fonctionnent bien, n’est pas vide de sens, et surtout s’il est honorifique. Puisque l’honneur vient de ce qui a été fait. Correspondre aux exigences de son rang possède un étroit rapport avec l’honneur. Normalement le rang dans la société est conditionné à un ordre juste, aux fonctions pour le bien commun dans l’accord de notre nature humaine, donc en se fondant sur les familles et les lignées. L’honneur devient avant tout un devoir de correspondre à sa mission, un devoir de justice de rendre à ses ancêtres les honneurs par sa propre action conforme à la vertu et à ses missions aujourd’hui. Tenir son rang n’est ainsi pas du tout une simple représentation, mais un devoir d’incarner publiquement ce que l’on est. Le phare doit briller en haut de la montagne pour être vu : le fait de tenir son rang veut avant tout dire s’efforcer à la vertu et à l’accomplissement de ses missions.

Or, tenir son rang pour un noble, pour un chef, ou pour un dépositaire du bien public signifie aussi manifester concrètement ses devoirs d’exemplarité et de libéralité envers ses subordonnées. C’est pourquoi tout chef, comme d’ailleurs tout clerc, se doit de s’habiller selon sa condition et s’y tenir : non pas par vaine gloire ou par plaisir, mais bien pour conserver la dignité de sa fonction, de sa mission, s’aider dans cette mission contre nos propres faiblesses, et manifester un exemple à tout pour les tirer vers le haut.

En matière politique, tenir son rang signifie aussi être libéral, incarner la paix sociale en y contribuant concrètement, par l’organisation de célébrations légitimes et larges. Toute la France fêtait la naissance d’un Prince royale et son baptême, et c’était l’occasion pour le Roi d’être libéral envers ses sujets, de renouveler ce lien étroit entre la royauté et ses sujets. Louis XIV a poussé certainement cet esprit de tenir son rang à tel point qu’il n’était que la personne publique sans plus de personne privée. Il va jusque là dans son sacrifice. Quand on est un chef, on l’est tout le temps, même seul dans sa chambre. C’est le sacrifice pour le bien commun. Le roi, père des pères de famille, à la tête de la famille des familles, a, pour ainsi dire, comme famille tous ses sujets : il est donc juste et de son devoir d’associer tous ses sujets aux joies et aux tristesses de sa famille (naissances, mariages, funérailles).

Il est intéressant de constater que même dans le monde révolutionnaire ce fait anthropologique, cette nécessité politique de notre nature – repérée entre autres par un Levi-Strauss dans Tristes tropiques quand il observe que le chef doit donner encore et encore – apparaît même quand institutionnellement le rang, l’aristocratie et l’autorité sont niés. On passe de l’honneur aux honneurs, certes, mais la nature humaine ne changeant pas, les rangs reparaissent, et même à corps défendant, des lignées réapparaissent, en affaire, en politique, ou dans les officines secrètes. Nous sommes faits comme cela. Simplement tout devient tordu, détourné, vide de sens, et on passe du souci du bien commun à la vaine gloire, à la vanité, à la recherche des honneurs et à l’orgueil.

Et il est aussi intéressant de constater qu’aussi révolutionnaire soient les dirigeants de notre temps ils ne peuvent pas ne pas tenir son rang dans une certaine mesure, ils y sont forcés : on se souvient par exemple du tollé qu’avait provoqué l’accoutrement de Zelensky lors de sa visite à Trump tantôt… C’est une question non seulement de respect, mais de nécessité : comment peut-on penser que quelqu’un qui n’est même pas capable d’être propre sur soi puisse assumer des responsabilités aussi grandes que la paix et la guerre, que le bien commun…

Tenir son rang est ainsi une réalité non négligeable de la politique de tous les temps. Il s’agit aussi de la restaurer chacun à son niveau.

Comment faire ? En restaurant comme on, peut l’esprit « familial » du rang, en associant par exemple largement, en fonction justement de sa condition, de sa fonction et de son rang, ceux qui nous sont liés. Et cela demande beaucoup de sacrifices. Un chef d’entreprise, contre son sentiment s’il le faut, devrait célébrer même des événements familiaux avec ses employés ; car il ne peut pas être schizophrène, et si on veut sortir de la politique froide et totalitaire de la révolution, il faut bien mettre de l’humanité, c’est bien restaurer ce lien féodal, contre les institutions républicaines, contre le flot majoritaire, contre le respect humain… Cela demande de s’exposer et de prendre des risques, mais c’est aussi de l’apostolat, et il faut être libéral, car quand on est généreux les gens, même mauvais, ne peuvent que se taire.

Tenir son rang c’est déjà faire œuvre de restauration, surtout quand il s’agit de tenir son rang de catholique et d’enfant de Dieu. Il s’agit ainsi de faire son bénédicité, de parler de Dieu, de ne pas se censurer, d’agir chrétiennement, d’avoir des familles nombreuses, d’être de bons clercs.

C’est encore une œuvre de restauration quand il s’agit de tenir son rang de sujet du roi, de chevalier, d’une noblesse spirituelle, en étant libéral, courageux, déterminé.

En pratique cela passe aussi par la libéralité matérielle et cet esprit familial dirions-nous, qui n’hésitent pas à sacrifier beaucoup de son confort – et aujourd’hui surtout de son confort moral – pour faire du bien à sa famille élargie (sa paroisse, son entreprise, son quartier, sa ville, etc.).

Tenir son rang n’est pas une chose facile : il est tellement plus confortable de ne pas organiser une coûteuse réception pour fêter le baptême de son enfant, et de rester entre proches et amis, plutôt que d’élargir à tous ceux qui nous liés, et de faire l’effort de bien recevoir, de parler un peu à tout le monde, etc. Mais en fonction de son rang, il faut savoir sacrifier ce confort.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

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