Idées

Propositions royalistes pour un revenu universel

Dans cette campagne chaotique et entachée par les soupçons d’affaires et de corruption, le dénigrement et peut-être la diffamation, climat dans lequel nous ramènent régulièrement les médias et, depuis peu, la pire fange de l’extrême gauche (qui n’aurait sinon aucun moyen d’exister politiquement), une idée neuve aurait véritablement mérité d’être approfondie : celle du revenu universel.

Pourtant, le débat ne l’a pas permis : le format imposé du « débat politique », nécessitant des idées chocs, des arguments courts et des répartie cinglantes, les fameuses « punchlines », interdit toute pensée nuancée ou tout réel échange d’idée. 

Le revenu universel n’est pourtant pas une idée neuve. Et, ce n’est pas parce que le socialiste Benoît Hamon est le seul à l’avoir portée dans cette campagne (avant de le raboter par souci électoraliste jusqu’à lui faire perdre toute sa substance) qu’il faudrait l’ignorer ou l’abandonner.

Cette proposition n’est pas le monopole des socialistes : si Antoine Reverchon la fait remonter aux communistes pour la gauche, il la découvre aussi au XVIIIème siècle pour la tradition libérale. Plus près de nous, le libéral Maurice Druon n’hésitait pas à en faire la promotion lors d’un colloque organisé en 2004 par Christine Boutin. Prenons plaisir à une petite espièglerie en leur signalant que cette idée, en réalité, est d’abord et avant tout chrétienne… et peut-être même française et royale !

Bien avant les libéraux ou les communistes, on retrouve par exemple trace d’un rêve de revenu de base, ou revenu universel, sous la plume de Louis XIV : « Si Dieu me fait la grâce d’exécuter tout ce que j’ai dans l’esprit, je tâcherai de porter la félicité de mon règne jusqu’à faire en sorte, non pas à la vérité qu’il n’y ait plus ni pauvre ni riche, car la fortune, l’industrie et l’esprit laisseront éternellement cette distinction entre les hommes, mais au moins qu’on ne voie plus dans le royaume ni indigence ni mendicité, je veux dire personne, quelque misérable qu’il puisse être, qui ne soit assuré de sa subsistance, ou par son travail ou par un secours ordinaire et réglé » écrit-il en dans ses Mémoires (1662). 

Que l’on soit favorable ou hostile à cette mesure, reconnaissons que son idée méritait un débat bien plus serein, posé et nuancé, que les invectives et moqueries qui ont fusé pendant et après la primaire de la gauche.

Au XXIème siècle, que pourrait-être un revenu universel dans une proposition royaliste ?

Evacuons d’emblée l’argument selon lequel le revenu universel créerait une « société d’assistés ». D’abord, rappelons que ce « dividende de base » n’a jamais été sérieusement envisagé comme un gros revenu : entre 400 et 800 euros mensuels. Il ne s’agit pas de permettre de vivre dans l’opulence : bien au contraire, c’est un revenu de subsistance, qui permet de vivre dans un minimum de décence. 

Une autre objection ne tiendrait au fait que ce revenu désinviterait au travail. Un chrétien pourrait s’appuyer sur le Compendium de la doctrine sociale de l’Église dans lequel l’on peut lire que « aucun chrétien, du fait qu’il appartient à une communauté solidaire et fraternelle, ne doit se sentir en droit de ne pas travailler et de vivre aux dépens des autres ». C’est la suite de l’argument précédent, et le contre-argument habituel (généralement socialiste) rétorque qu’il s’agit là d’un mépris envers ceux qui ne trouvent pas de travail.

La seule réponse qui permettrait de mettre un terme à cette polémique est elle-même un argument polémique ; risquons-nous à la formuler : oui, il existe en France des fraudeurs, des individus qui ont pour seul objectif de profiter des failles du système social pour vivre aux dépens des autres. Mais toutes les démarches visant à les combattre n’ont fait qu’aggraver la situation de ceux, réellement dans le besoin, qui cherchaient à s’extraire d’une mauvaise passe. Qui a travaillé dans un service social ou dans un service de conseil juridique le sait très bien : les fraudeurs savent toujours tirer parti des failles du système (au point parfois de bénéficier de revenus supérieurs à ceux qui travaillent) ; et les barrières que l’on tente de leur opposer pénalisent surtout ceux que l’on devrait aider.

D’où d’énormes frustrations, rancœurs, injustices, et une aigreur qui infuse insensiblement notre société depuis des décennies.

Sous cet angle, le revenu universel a un mérite : il rétablit une justice fondamentale et cessant de dresser un parcours d’obstacles pour ceux qui ont temporairement besoin de l’aide de la collectivité, et s’assure que le travail redevienne clairement incitatif.

Le revenu universel n’est en effet pas un RSA, comme la communication socialiste l’a maladroitement laissé entendre. Sa philosophie en diffère radicalement car il n’est pas conditionné, tout le monde en bénéficie : les travailleurs et les chômeurs, les enfants (même si, pour eux, ce revenu pourrait être plus faible) comme les retraités.

Au revenu universel s’ajoute ensuite le salaire que l’on toucherait en travaillant (si l’on travaille). Dès lors, le travail redevient incitatif (économiquement enrichissant) quand, aujourd’hui, de nombreuses aides qu’un chômeur touche disparaissent lorsqu’il trouve un emploi : on arrive à cette situation ubuesque où reprendre un travail devient parfois économiquement pénalisant pour des personnes sans emploi.

Enfin, le revenu universel rend au salarié une liberté que le capitalisme moderne lui a arrachée, et rétablit une forme d’équilibre entre le salariat et le patronat. Dans un contexte de chômage structurel, peu de salariés sont capables de renoncer à un emploi éprouvant, parfois illégal (dans ses conditions d’exercice, dans les horaires qu’il impose), ou faire face à des situations de harcèlement moral, de troubles psychosociaux causés par un environnement hostile… le revenu universel permet à un salarié de partir sans mettre en péril son existence même.

Ajoutons en outre que l’existence même du revenu universel permettrait aussi d’envisager plus sereinement un assouplissement des règles de licenciement.[1]

Enfin, le revenu universel pourrait se révéler un atout précieux pour toute personne souhaitant monter son entreprise. L’absence de bénéfices durant les premières années d’une activité n’empêcherait pas pour autant au nouveau chef d’entreprise de vivre avec ce « minimum de décence » qui permet également d’appréhender avec moins d’effroi le risque de l’aventure entrepreneuriale. Des aides existent aujourd’hui, elles sont loin de correspondre aux réels besoins des entrepreneurs et elles en laissent un grand nombre sur le bas-côté.

En revanche, l’instauration d’un revenu universel ne saurait se faire sans une série de conditions préalables qui le rendraient à la fois économiquement réaliste et efficient dans son application.

La première condition est la suppression de toutes les allocations : RSA, allocations logement, allocations de revenu pour personnes handicapées (sauf pour les frais médicaux qui relèvent de l’assurance maladie), allocations familiales (remplacées par le revenu des enfants, versés aux parents dotés de la garde et de l’autorité parentale)…  

Le revenu universel est une allocation unique, dépourvue de toute condition d’âge ou de ressource, et qui se substitue à toutes les allocations actuelles, pléthoriques et dédaléennes, du système français qui se retrouve ainsi considérablement simplifié. La contrepartie, c’est qu’il n’existe aucune autre allocation superfétatoire.

En revanche, ni l’assurance maladie, ni l’assurance chômage ne devraient être remises en cause par ce revenu universel. Même si la mise en place de celui-ci pourrait permettre plus facilement de rendre dégressive et de limiter dans la durée l’indemnité du chômage. 

Et c’est peut-être là que l’on conçoit que le revenu universel n’est pas une invention socialiste à prétention égalitariste, il n’a pas vocation à instaurer l’égalité entre les hommes, mais il institue une solidarité entre tous les citoyens d’une nation.

On en arrive à une condition supplémentaire : cette allocation doit être réservée aux Français ou, si elle est accessible aux étrangers, celle-ci devrait être limitée à ceux disposant d’un travail avec une période de carence préalable.

En effet, il serait absurde pour des raisons évidentes, d’offrir cette allocation à toute personne résidant sur le territoire, sans restriction de nationalité : d’abord cela constituerait un appel d’air phénoménal pour l’immigration (point que la gauche feint d’ignorer), et pèserait alors très lourdement sur l’économie nationale (en sus des problèmes classiques générés par l’immigration massive).

En outre, si un étranger est présent régulièrement sur le sol français, il ne serait absolument pas anormal de conditionner l’obtention du revenu universel à une présence préalable en France d’un ou deux ans, pour que la venue en France n’ait pas pour unique motivation l’obtention de ce revenu, et la possession d’un emploi stable. C’est en effet l’emploi qui finance le revenu universel. Un étranger n’ayant pas d’emploi pèse sur la solidarité nationale sans rien y apporter. Alors que cette solidarité peut-être conçue comme inconditionnelle pour les Français (le revenu universel est alors une extension à la nation de la solidarité familiale), aucun principe moral ou philosophique n’imposerait d’étendre une générosité aussi substantielle à la planète entière.

Cela n’interdit pas, bien sûr, une forme de solidarité avec les étrangers, mais celle-ci relève d’une autre politique : la politique étrangère, l’aide humanitaire, l’aide au co-développement, etc.

Enfin, ajoutons que le revenu universel étant une allocation délivrée sans condition, rien n’interdit en revanche de la retirer ou de la diminuer en guise de sanction. Les crimes, les délits, la fraude de toute nature, la carence parentale, les actes de terrorisme bien entendu, pourraient être des motifs inscrits dans la loi permettant à un juge de diminuer le montant ou de retirer temporairement ou indéfiniment à quelqu’un son revenu universel : la solidarité est une vertu… tant qu’elle n’est pas naïve ! 

Le revenu universel est-il réalisable ? Il ne l’était pas encore du temps de Louis XIV, lorsque celui-ci en caressait le rêve. L’est-il aujourd’hui ? Répondre à cette question nécessiterait la réunion d’experts, d’économistes, d’hommes d’Etat.

Malheureusement, le cirque républicain, surtout dans un climat aussi tendu, enterre toute possibilité d’un débat serein sur cette question, pourtant tellement d’intérêt général et qui trouve des partisans aussi bien à droite qu’à gauche.

Quel régime politique serait capable de porter une idée innovante, au service de l’intérêt général, rassemblant au-delà des clivages droite-gauche ? 

Stéphane Piolenc

[1] L’auteur de ces lignes n’y est pas favorable. Mais le débat se poserait dans des conditions plus propices.

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