Idées

[Ex-Libris] Charles X ou le sacre de la dernière chance

 

Landric Raillat, Charles X ou le sacre de la dernière chance, Olivier Orban, Paris, 1991.

 

Laissons d’abord la parole à l’intéressé :

« Le sacre, s’il ne confère pas le pouvoir royal, en définit l’esprit. Il est la pierre d’angle de la monarchie. Il est la cérémonie par laquelle tous ces principes se matérialisent, le lien entre la doctrine et les institutions. Lors de chaque accession au trône, le sacre consacre la légitimité du souverain qui a régulièrement reçu son pouvoir en vertu de la loi salique. Chaque sacre est l’occasion de réaffirmer l’origine divine du pouvoir. Le pacte de Tolbiac est chaque fois renouvelé : le roi des Francs prend l’engagement solennel de servir le Christ, dans l’union à l’Église. Il représente aussi une garantie de catholicité : le roi ne saurait communier ni recevoir la couronne de la main d’un prélat s’il n’avait confiance en l’Église catholique. Par le serment du sacre, il promet de gouverner selon certains principes fondamentaux qu’il ne peut violer. Le sacre constitue donc pour le peuple un rempart contre la tyrannie. Durant la cérémonie, de façon implicite ou explicite, le roi affirme sa soumission à la doctrine de charité et de justice enseignée par l’Église.

Cette précision permet de mieux comprendre l’absolutisme. L’absolutisme ne signifie pas que le roi peut faire absolument tout ce qui lui plaît. « S’il n’est pas limité par des loi humaines (leges), il est soumis à certaines jura – le droit naturel, divin, et (en France) fondamental -et peut-être par la même occasion à certaines leges isolées et indispensables. »[1] Le sacre confirme également le principe d’inaliénabilité du royaume : le souverain s’engage à conserver intactes les bases juridiques et économiques de son pouvoir. Enfin le sacre atteste de l’union organique de la société. Le chef (la tête), chargé de guider le peuple (le corps) contracte avec lui une alliance mystique : le roi épouse la France. « Le royaume, corpus mysticum, est un ensemble organique dans lequel le caput et les membres participent d’une indissoluble unité faite de l’obéissance des uns à la volonté des autres. »[2] La volonté du roi EST celle de ses sujets. Mais surtout, la cérémonie du sacre, suite d’actes matériels, affirme le caractère sacré du pouvoir et de son dépositaire. S’il ne « fait pas le roi », en revanche c’est lui qui confère au roi son caractère sacré. C’est de ce caractère que découle l’aspect inviolable du roi.

On voit bien ici à quel point la Charte de 1814 est pleinement enracinée dans les principes d’Ancien Régime. L’article 13 réaffirme que « la personne du roi est inviolable et sacrée ». Cette attestation est d’autant plus lourde de sens que le régicide venait d’attenter trente-deux ans auparavant à ce double caractère de la personne du roi. Le sacre était pourtant censé conjurer les risques d’attentat à la vie du monarque en le plaçant sur une sorte de piédestal, en le faisant l’objet d’un culte quasi religieux. Cela relève d’une dimension spécifique de la monarchie française, le développement au cours des siècles d’un mythe royal, sorte de religion du pouvoir. »[3]

 

Nous présentons aujourd’hui un livre coup de cœur, œuvre d’historien et assez méconnu malgré sa grande justesse sur le sujet traité : Charles X vue au prisme du sacre.

Pourquoi recommander un second livre sur le sujet du sacre après notre recension de la semaine dernière[4] ? Outre l’importance du sujet que constitue le sacre en lui-même, l’œuvre commis par Landric Raillac permet de préciser les idées sur un sacre particulier, et non des moindres, celui de Charles X en 1825, et de remarquer à quel point la continuité est essentiellement respecté malgré les affres révolutionnaires et la singerie napoléonienne, pâle imitation de mauvais goût du sacre de toujours.

Plus encore, c’est aussi une mine d’informations sur toute l’organisation du sacre, dans toutes ses parties, et l’analyse quasi-exhaustive de tout ce qui tourne autour du sacre et de sa réception à l’époque. Les pendules sont remises à l’heure, et le sacre à sa place : on a voulu en minorer l’importance, mais il faut bien reconnaître sa place capitale, tant du point de vue royal, que par la participation populaire. Les malades des écrouelles furent touchés, et des guérisons constatées : le nombre de touchers, certes plus bas que pour Louis XVI, n’est pas du à une soi-disant désaffection populaire, mais à des tentatives d’annulation des touchers dans l’entourage du roi qui conduisent à annoncer une annulation peu avant le sacre, puis à finalement réaliser quand même le toucher sur les quelques centaines de malades qui n’étaient pas repartis de la ville de Reims. Ainsi que la forte participation populaire au sacre de Charles X, ou encore la volonté certaine d’un Louis XVIII de se faire sacrer s’il avait pu.

Soulignons encore les concessions faites dans la liturgie même, certes mineures, mais qui dénote une certaine frilosité des royalistes même les plus ultras – ce qui se reflète aussi dans la pingrerie des finances accordée à l’organisation du sacre, jurant avec les largesses de l’Ancien Régime, petits signes des conséquences de l’esprit révolutionnaire au cœur même de la Restauration qui devait tout restaurer.

 

Bref, ce livre bien écrit et bien documenté, avec une bonne bibliographie, allie à la fois une fine analyse de la valeur et du sens du sacre – avec en particulier une sensibilité tout à fait salutaire pour l’aspect liturgique du sacre, indispensable pour comprendre son sens qui transpire à travers la liturgie – ainsi que l’importance du sacré.

 

Landric Raillat, d’ailleurs devenu quelques années plus tard moine, remet le sacre de Charles X à sa juste place dans son règne, c’est-à-dire au centre.

C’est aussi un enseignement : la restauration ne peut commencer que dans le sacre qui ne peut que venir couronner une restauration spirituelle de notre pays, prérequis pour toute renaissance temporelle, fruit naturel de principes bons.

 

 

Rémi Martin

 

Sommaire

  1. Le Roi de France s’est toujours fait sacrer
  2. Quel sacre possible en 1825 ?
  3. La Fièvre des préparatifs
  4. La Montée vers Reims
  5. Le Régime révélé
  6. La Kermesse du roi thaumaturge
  7. L’Enjeu : la France unie
  8. Beaucoup de bruit pour rien
  9. Les Français jugent le sacre

 

[1] Richard A. Jackson, Vivat Rex, […]. Un autre incontournable sur la question, plus aride mais essentiel pour l’historiographie contemporaine du sacre.

[2] Jean Barbey, La Fonction royale, […].

[3] Landric Raillat,Charles X ou le sacre de la dernière chance, Olivier Orban, Paris, 1991, pp.22-23

[4] http://vexilla-galliae.fr/royaute/idees/2673-ex-libris-le-sacre-du-roi

Une réflexion sur “[Ex-Libris] Charles X ou le sacre de la dernière chance

  • Ce livre est en effet remarquable. Il est à compléter avec celui du Pr Demouy.

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