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Le mensonge comme règle : une réalité japonaise méconnue, par Paul de Beaulias

Toyohara Chikanobu, Naikoku kangyo hakurankai kaijo goshiki no zu, 1877
Toyohara Chikanobu, Naikoku kangyo hakurankai kaijo goshiki no zu, 1877

Le Japon vit sur un mythe sur sa propre nature, son histoire et sa réalité. Le mythe nourri d’orgueil national est si puissant que de nombreux japonais et étrangers le prennent au pied de la lettre.

Je me souviens encore d’un ponte japonais, historien de l’art et universitaire, qui répétait à loisir et sans sourciller que les Japonais étaient doux et bons, et qu’ils ne mentaient jamais… Rousseau au Japon ou le mythe du bon japonais.

Feu professeur Takigawa, professeur d’histoire du droit fameux au Japon, présente de façon explicite que l’époque de EDO de 1600 à 1848 se fonde sur le mensonge admis et institutionnalisé, seule façon d’adoucir un système totalitaire et dur…

La restauration révolutionnaire de Meiji a corrigé les pires abus de ce temps ancien, mais les habitudes païennes et cette mentalité ne changent pas… On le retrouve en particulier dans ce couple « tatemae-honne », qui signifie quelque chose comme « façade et vraie sens » et qui justifie en pratique moralement l’hypocrisie comme une qualité… Mieux vaut ne pas faire de vague et ne pas dire ce que l’on pense plutôt que de dire ses intentions ou ses pensées, même quand c’est clef et important… On est parfois dans le mensonge, ou du moins la duplicité de dire le contraire de ce que l’on pense, et cela est admis comme bon et même une vertu sociale…

Je prendrai trois exemples réels et récents de mensonges grossiers et éhontés que même le païen a du mal à cacher, et se voit obliger finalement de reconnaître la faute.

Le premier cas est un livreur, que l’on paie en espèce pour le produit livré. On lui tend un billet. Il dit brutalement qu’il n’a pas de monnaies et qu’il ne prend pas le billet… sauf que de sa banane dépassent des liasses de petits billets qui permettent visiblement de faire la monnaie sur le gros billet tendu… On fixe avec insistance ce qui dépasse, le livreur remarque, se tait et prend le billet comme si de rien n’était… mais gêné et vexé d’être pris la main dans le sac. Il sera dorénavant désagréable à chaque livraison.

Autre exemple : pour une raison fortuite, on doit se rendre à un club équestre au Japon, récupéré une selle que l’on avait mise là dans un local contre location. Au téléphone on nous dit qu’on ne peut pas venir, car c’est plein à craquer… On dit que ce n’est pas pour monter puisqu’on n’a pas réservé, mais pour récupérer l’objet. On peut s’y rendre. On arrive : pas un chat. Aucun client. Le personnel fait une tête d’enterrement… Il apparaît qu’il y a eu un petit incendie et que quelques bêtes sont mortes, d’autres blessés. Dans la mentalité païenne, ce coup du sort est a priori attribué à l’écurie, même si c’est purement accidentel, donc la pression sociale fait qu’ils préfèrent mentir que s’exposer… c’est une sorte de vieux réflexe qui vient de anciennes institutions totalitaires de l’ancien Japon.

Troisième exemple. Dans une boutique pour bébé, je demande deux sièges autos, dont un est à l’étalage. La vendeuse m’emmène un des sièges et me dit qu’il n’y en pas d’autres… on est devant l’autre objet exposé, et je ne peux m’empêcher de dire qu’il y en a un autre juste là, devant nous… Elle corrige, elle dit que ce n’est pas à vendre. Je ne cherche même pas à me battre – il y aurait dans la psychologie japonaise une sorte de réflexe primitif pur/impurs : on ne saurait prendre un objet en étalage puisque tout le monde peut le toucher…

Ce n’est que quelques menus exemples mais qui illustrent quelque chose de profond.

Les japonais mentent, et le mensonge est institutionnel au point qu’ils ne se rendent presque plus compte qu’ils mentent. D’autre part cet état des faits est voilé au point que de nombreux thuriféraires tant japonais qu’étrangers arrivent à dire que les Japonais ne mentent… contre tout bon sens puisque là où l’homme est, il pêche, et le mensonge est un de ces péchés si classique, malheureusement, qu’il se retrouve partout. Ici, simplement, malgré le dégoût naturel que suscite le péché, ou plutôt à cause de ce dégoût inscrit dans nos cœurs, le mensonge institutionnalisé permet de faire taire la conscience au minimum… au point que les mensonges énormes et grossiers dont nous avons cité quelques exemples sont monnaie courante…

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul de Beaulias

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