Les Japonais sont-ils honnêtes ?
La question m’a été posée, et mon interlocuteur, touriste au Japon, penchait pour un oui, juste en constatant de la serviabilité des Japonais envers les étrangers, et l’aspect « sûr » de celui qui fait ce qu’il dit.
La question m’avait surprise, car, sans avoir jamais réfléchi expressément sur le sujet, il était évident de mon expérience ici et par ma connaissance historique, que non. J’ai répondu à côté de la question, en évoquant que dans toute supérette on trouvait des revues pornographiques à portée de main et de vue d’enfants.
Mon interlocuteur répond avec justesse que cela montre bien que les Japonais sont impurs et s’adonnent à la luxure, mais que cela ne signifie pas qu’ils sont honnêtes.
Peut-on être impur et honnête ?
Cet article vise à mettre un peu d’ordre dans cette question d’honnêteté et, comme souvent, je me suis rendu compte que tout dépendait de ce qu’on entendait par honnête.
Prenons ce que dit l’académie française dans sa dernière définition de l’honnêteté :
« Qualité d’une personne honnête, de ce qui est honnête.
1. Conformité habituelle et naturelle à la vertu, à la probité, à l’honneur. L’honnêteté de sa personne, de sa conduite, de ses mœurs, de ses intentions. L’honnêteté de ses principes. Des actions d’une grande honnêteté. Spécialement. Chasteté, pudeur. Des paroles contre l’honnêteté, contraires à l’honnêteté. Des plaisanteries qui bravent, qui blessent l’honnêteté.
2. Bienséance, respect des usages de la société. Cela est contre les règles de l’honnêteté. L’honnêteté exige que vous vous y rendiez. Par extension. Civilité, politesse. Il n’a pas eu l’honnêteté de l’aller voir. Il nous a reçus avec beaucoup d’honnêteté. Par métonymie. Acte de civilité (vieilli). Il le reçut, le traita avec toutes sortes d’honnêtetés. Il lui a fait mille honnêtetés, toutes les honnêtetés imaginables.
3. Qualité d’une personne qui a souci de ne pas tromper, notamment en matière d’argent, d’intérêt ; qualité de ce qui est sans fraude, sans tromperie. Il est d’une honnêteté scrupuleuse, d’une parfaite honnêteté. Il a géré cette affaire avec honnêteté. Honnêteté douteuse, discutable. L’honnêteté d’une transaction, d’un marché.
▪ En parlant des choses de l’esprit. Il a eu l’honnêteté de vous reconnaître la paternité de cette invention. Honnêteté intellectuelle, franchise, respect de la vérité dans le raisonnement, la manière de penser. Loc. En toute honnêteté, en vérité, avec franchise, avec sincérité. En toute honnêteté, cette faute ne saurait lui être imputée. »
Au sens premier, les Japonais ne sont pas honnêtes, car ils ne se conforment ni à la vertu, ni à l’honneur, ni à la probité, dans leur sens de vertus. Le mot honnêteté aujourd’hui en français à une forte connotation de « vertueux », certes de conformité, mais de conformité à la morale et à la probité.
Les Japonais ne sont ainsi pas honnêtes puisqu’ils ne se conforment aux diktats de la société que par crainte servile, ou par orgueil national (et ils ne se comportent pas pareil envers un étranger occidental, un Chinois ou face à un autre Japonais inférieur). De plus la morale ici est relativiste : pas vu, pas pris ; tant que cela n’a pas de conséquences sociales, on peut faire ce que l’on veut. Tant que c’est caché, ou que les gens font semblant de ne pas voir, on fait ce que l’on veut. Est-ce de l’honnêteté que d’avoir un masque en permanence et d’ajuster son comportement en fonction de la personne en face ? D’obéir au fameux « honne, tatemae » qui légitime l’hypocrisie, en pouvant dire le contraire de ce que l’on pense juste par bienséance ? Est-ce de l’honnêteté d’obéir aveuglément au principe du « pas de vague » par crainte permanente de l’ostracisme, et comme une réminiscence de l’ancien ordre totalitaire de l’époque Edo qui prenait comme principe le « kenka ryoseibai », qui en clair signifie « un conflit, les deux parties mis à mort » ?
Prenons un exemple : j’ai récemment changé de travail et je suis passé de dernier subordonné à directeur d’une entreprise ; moi-même je suis le même, et pourtant les relations au travail ont changé du tout au tout.
Est-ce de l’honnêteté, donc une conformité à l’honneur et à la vertu, que de changer d’attitude en fonction du moment et des personnes ? Non, cela va contre « l’honnêteté des mœurs, des intentions » ?
Disons en revanche qu’au sens second « d’honnête homme », celui qui se conforme à la bienséance, et au sens trois, d’être sûr en affaire, le Japonais est honnête. Il est en effet obsédé par la conformité aux règles sociales, mêmes les plus injustes, même les plus absurdes, pour rester tranquille. Et en affaires il évitera de tromper positivement par crainte de perdre ses affaires et du fait des coutumes sociales qui sont impitoyables envers ceux qui ne respectent pas cette bienséance des affaires.
Si on se réfère à la définition de l’honnêteté de l’académie française à sa création, en 1694, on trouve les références suivantes :
« 1694 ■ Bienseance. Il n’est pas de l’honnesteté de faire des choses trop familieres devant des gens à qui on doit du respect. Cela est contre les regles de l’honnesteté.
Il signifie aussi, Civilité. Il n’a pas eu l’honnesteté de l’aller voir. Il ne luy a pas fait la moindre honnesteté du monde. Il le receut, il le traita avec toute sorte d’honnesteté. Il luy a fait toutes les honnestetez imaginables.
Il signifie encore, Maniere d’agir obligeante & officieuse. L’honnesteté de son procedé. Il en a usé avec la plus grande honnesteté du monde.
On dit, Faire une honnesteté, pour dire, Faire un present par reconnoissance, & par recompense. Il m’avoit rendu un service, et je luy ay fait une honnesteté.
Honnesteté, signifie encore, Chasteté, pudeur, modestie. Des paroles contre l’honnesteté. Cela repugne à l’honnesteté. cela blesse, Cela choque l’honnesteté. l’honnesteté des mœurs. »
Dans le sens classique de l’honnêteté, qui se borne à la bienséance et aux règles de modestie sociale, on pourrait dire que le Japonais, au Japon, est honnête. Simplement il y a une différence de taille avec l’honnête homme des temps modernes français : les institutions elles-mêmes et la moralité ne sont pas bonnes dans l’histoire du Japon, là où dans un pays très chrétien, les institutions étaient calquées sur une morale naturellement et surnaturellement parfaite, et donc la conformité à ces institutions et à la bienséance qui en découle faisait travailler la vertu.
Ici au Japon, l’honnêteté comme conformité à la bienséance peut au contraire enseigner le vice…et même si on considère les progrès acquis par la modernisation du Japon en la matière (monogamie contre polygamie pratique, etc.).
Notre temps aujourd’hui en France illustre bien cela : un honnête homme contemporain au sens de la conformité à la bienséance sera un affreux révolutionnaire, avorteur, euthanasiste, glorifié par la société et désigné comme vertueux, là où dans le sens de la première définition il est évidemment malhonnête.
Le glissement du sens d’honnêteté en français entre le XVIIe siècle et aujourd’hui témoigne de notre histoire : à l’époque bienséance et morale étaient en harmonie, issues l’une de l’autre disons. Depuis que la société révolutionnaire prône les structures du péché, la moralité et l’honneur véritables sont déconnectés de la bienséance, des honneurs et des « valeurs de la République », d’où la dichotomie entre les deux nuances d’honnêteté.
Cette dichotomie en pays païen n’est pas visible, puisque sans moralité, la seule honnêteté ne peut être que la conformité aux diktats de la société, et non pas la conformité à une loi supérieure, à la loi naturelle, aux vraies règles de l’honneur, et cela même contre la bienséance et les règles sociales s’il le faut…
Donc en définitive les Japonais ne sont pas honnêtes, ils sont simplement conformistes.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul de Beaulias