Le bon conseil

Nos temps ne savent plus ni conseiller ni recevoir le conseil, malgré d’ailleurs toutes ces boîtes de « conseils » qui ne sont là que pour donner une sorte de garantie à des décisions le plus souvent déjà prises et qui ne doivent pas aller trop contre le payeur qui demande des conseils, tout en étant soulignant suffisamment les plus grands écueils…
Un conseil payant est la règle de notre temps…qui ne connaît plus ni la justice ni la charité : autrefois – et heureusement encore aujourd’hui – le sage laissait sa porte ouverte pour donner conseil à qui voulait. Ermites, anciens, etc. ils étaient pléthores.
Un ami chrétien ira sans hésiter donner conseil à son ami chrétien, sans le faire payer et tant que cela est juste – car il faut bien vivre aussi, et les frais existent – que ce soit un médecin, un avocat, un notaire, un expert-comptable.
Cette habitude du conseil gracieux se perd dans un monde où tout devient « mercantilisable » …
Rappelons que le conseil, par définition, n’est pas impératif ni obligatoire – et ce point est souvent oublié aujourd’hui, dans un monde moderne qui veut fuir la responsabilité de la décision, c’est-à-dire la responsabilité de l’autorité. Puisque justement l’autorité est niée, tout encourage à fuir ses responsabilités qui naissent de l’autorité qui, quoique niée, ne disparaît certainement pas pour autant.
Le conseil pseudo-impératif qui émerge d’une ambiance démocratisant, et même dans les milieux les plus traditionnels et catholiques, manifeste une certaine re-paganisation de la société, qui balance entre autoritarisme tyrannique de la volonté d’un chef qui serait comme divine et à laquelle il faudrait obéir absolument – paradoxale conséquence de la démocratie triomphante – et mollesse générale qui craint tellement toute décision qu’on consacre le conseil comme impératif, ce qui évacue complétement la notion de conseil.
Ceci dit, que dit la sagesse biblique sur le conseil ? Car le conseil, nous le savons, est une caractéristique essentielle de toute société politique traditionnelle, et notre ancienne France régnait en conseil : toute décision était prise après conseil, pour qu’elle soit prudente et éclairée… sans que ces conseils ne soient jamais impératifs. En dernière instance le Roi décide en son for intérieur, contre les conseils s’il le faut – le lit de justice est en-cela une sorte de manifestation institutionnelle du refus du conseil institutionnel des Parlements.
Que dit la sagesse biblique ? Comme d’habitude tout ce que nous avons besoin de savoir, à commencer dans notre vie pratique de tous les jours :
« Tout conseiller donne des conseils, mais il en est qui conseillent dans leur propre intérêt. Vis-à-vis d’un conseiller, tiens-toi sur tes gardes, et cherche d’abord à savoir quel est son intérêt, — car c’est pour lui-même qu’il conseillera, — afin qu’il ne jette pas le sort sur toi, et qu’il ne dise pas : « Ta voie est bonne » ; puis il se tiendra de l’autre côté pour voir ce qui t’arrivera. » (Eccl. 37, 7-9)
Le caractère pratique de ce précepte est puissant : tout conseil n’est pas bon, et tout conseiller ne l’est pas non plus : cherchons d’abord quel est l’intérêt du conseiller ! Tout chef d’entreprise qui réussit connaît au fond ce précepte, au moins intuitivement : un bon chef, pour simplifier la vie de tout le monde, va faire en sorte que ses conseillers et ses subordonnés aient des intérêts communs à lui-même. C’est ce que dit Maurras d’un point de vue naturel sur la monarchie : les intérêts du roi sont ceux de la nation, et les intérêts du peuple sont ceux du roi, c’est pourquoi déjà naturellement c’est le meilleur des régimes.
D’où d’ailleurs l’intérêt de christianiser la société : ainsi le vertueux chrétien ne donnera des conseils que dans l’intérêt spirituel de l’âme du conseillé…et parfois des conseils qui peuvent être très déplaisants.
Continuons de lire la sagesse qui égrène quelques conseils très pratiques et très parlants – il ne faut pas demander conseil à tout le monde et en toute matière ! c’est évident mais en pratique si rarement respecté :
« Ne consulte pas un homme qui te regarde en-dessous (NdA : signifiant avec arrière-pensées), et cache ta résolution à celui qui te jalouse. Ne consulte pas une femme sur sa rivale, un lâche sur la guerre, un marchand sur un échange, un acheteur sur une vente, un envieux sur la reconnaissance, un homme sans compassion sur un acte charitable, un paresseux sur un travail quelconque, un mercenaire de la maison sur l’achèvement d’un travail, un esclave paresseux sur une grosse besogne : ne fais fonds sur ces gens pour aucun conseil. Mais sois assidu près d’un homme pieux, que tu connais comme observateur des commandements, dont le cœur est selon ton cœur, et qui, si tu tombes, souffrira avec toi. »1 (Eccl. 37, 10-12)
Le bon conseiller est l’homme pieux qui souffrira avec celui qu’il conseille au jour de l’adversité ! C’est ainsi un ami (cf. notre article sur le sujet) avant tout !
Mais finissons sur la parole sainte qui n’oublie pas l’essentiel : le conseil n’est qu’un conseil, et en dernier lieu c’est toujours dans son cœur que l’on doit se résoudre. La responsabilité de la décision nous incombe, et n’incombe jamais au conseiller : s’il est mauvais à nous de nous rendre compte, d’être prudent et de ne pas nous laisser influencer !
« 13 Ensuite tiens-toi à ce que ton cœur te conseille, car personne ne t’est plus fidèle que lui. 14 Car l’âme de l’homme annonce parfois plus de choses que sept sentinelles postées sur une hauteur pour observer. 15 Et avec tout cela prie le Très-Haut,
afin qu’il dirige sûrement ta voie. » (Eccl. 37, 13-15)
Ce petit précepte est aussi en pratique connu intuitivement de tout chef qui a de l’expérience et qui s’assume comme chef : nous sommes toujours seul devant la décision, et finalement c’est bien la « prudence » qui fait la différence – et Aristote qui ne connaissait pourtant pas l’Ecriture ne fait que décrire cela quand il dit que le meilleur chef est l’homme prudent, au sens qui prend les bonnes décisions au bon moment dans les circonstances données.
Sauf que le chrétien n’est pas seul : il prie le Très-Haut afin qu’il dirige sûrement sa voie. Il a fait ce qu’il pouvait naturellement, il a pris conseil (en priant) et il a décidé (en priant), il s’abandonne ensuite au Seigneur, et cela le repose dans la joie d’avoir ce qu’il devait et ce qu’il pouvait, en attendant de se corriger s’il le faut, ou de tenir ferme contre les attaques s’il le faut.
Restaurons ainsi un vrai conseil, et de vraies décisions !
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac
1 Ou encore la traduction de Fillon, plus proche de la vulgate, qui ajoute ou dit différemment ces conseils :
« Consulte un homme sans religion sur les choses saintes, un injuste sur la justice, une femme sur celle dont elle est jalouse, un lâche sur la guerre, un marchand sur le trafic, un acheteur sur une vente, un envieux sur la reconnaissance, un impie sur la piété, un malhonnête sur l’honnêteté, celui qui travaille aux champs sur un ouvrage quelconque, un ouvrier à l’année sur ce qu’il doit faire pendant un an, un serviteur paresseux sur un grand travail. Ne compte nullement sur le conseil de ces gens-là ; mais tiens-toi sans cesse auprès d’un homme saint, que tu auras reconnu fidèle à la crainte de Dieu, dont l’âme a de l’affinité avec la tienne, et qui, lorsque tu auras fait un faux pas dans les ténèbres, aura pour toi de la sympathie. »
