La réalité du phénomène « Sanseitô » : espoir ou mythe ?
De nombreux articles et commentaires à travers le monde dans la sphère dite « dissidente » se réjouissent1 de la (timide) percée du partie Sanseitô au Japon le 20 juillet dernier qui a gagné 14 places de sénateurs (7 au suffrage direct, 7 au suffrage direct proportionnel) dans un scrutin qui mettait en jeu 125 sièges de la chambre haute, sur 250 sièges (la chambre haute est renouvelée tous les 3 ans par moitié).
On parle de parti trumpiste, de percée d’un parti d’extrême-droite, etc. Un certain nombre d’amis japonais peu fréquentables par l’extrême-centre se réjouissent parfois de cette victoire, après que toutes les théories « complotistes » ont été ignorées pendant des années. Pourtant la plupart de mes amis japonais restent lucides quand on discute tranquillement sur la réalité de ce parti et de cette victoire.
Qu’en est-il ?
Pour le dire brutalement il vaut mieux être plus que prudent, car ce parti est au fond révolutionnaire, démocratique, païen, messianique sans véritable ligne directrice.
Le nom du parti déjà signifie, le « parti de la participation politique directe », et le président répète à loisir que le parti n’est là que pour faire remonter l’avis des membres…dont la voix au chapitre est proportionnelle à ce qu’ils paient. Derrière les imprécations de « vive l’empereur ! » et « l’empereur au centre », la réalité de ce parti dit d’extrême-droite est une acceptation massive de la modernité politique, de la démocratie, de la liberté politique et d’expression dénoncées en leur temps par les papes du XIXe siècle… Et ils sont impérialistes tant que l’empereur reste un symbole sans autorité ni pouvoir qui correspond à l’idée de certains propagandistes et démagogues.
Le parti, tout récent qui fut fondé en 2020 par un transfuge du PLD, le parti au pouvoir depuis 80 ans, a déjà essuyé des scandales financiers en interne et des divisions de chefs malgré un tout jeune âge… Nous sommes loin d’un Front national au président charismatique qui a été parachutiste, président de corpo, meneur d’une opération humanitaire et dès le départ combattant du bien commun par la fédération des petits en campagne dans le poujadisme. Ici le Sanseitô vogue sur le mensonge institué en vérité et promulgué par les Etats et les médias de par le monde tant sur le corona, l’Ukraine, la Palestine, mais aussi bien d’autres. Il est devenu ici au Japon l’égout collecteur de tous les complotismes : réaction démesurée, réaction sans réflexion, on passe d’un noir à un autre noir.
Je me retrouvais encore l’autre jour dans une conférence pour la paix mondiale organisée par des gens bien placés et gravitant dans ces sphères sympathisantes au Sanseitô qui assénaient sans rire et avec une assurance absolue que les reptiliens dominaient la planète… Il faut savoir raison garder.
Un bon ami me disait que son épouse, qui n’avait jamais voté de toute sa vie, avait voté Sanseitô, par réaction, mais aussi par racisme xénophobique. Je pèse mes mots : en tant qu’étranger ici, qui travaille et paie beaucoup d’impôts, qui suit venu par choix et qui connaît souvent mieux le Japon que les Japonais, je me heurte toujours à un racisme latent qui, s’il se formalisait d’un point de vue politique, serait terrible. Là encore rien à voir avec la politique légitime d’un front national, rassemblant beaucoup d’anciens de l’Algérie française, et qui a toujours eu dans ses rangs beaucoup de membres d’ascendants extra-européennes, véritablement serviteurs de la France.
Alors comment résumer ?
Un parti contestataire qui vogue sur un simplisme de toutes les contestations, dirigées dans une ambiance démocratique révolutionnaire à la Rousseau et par des dirigeants qui ne sont que des anciens transfuges politiciens, n’ayant rien fait de leur vie à part parler, et faisant beaucoup d’argent à travers le parti, qui comme tout parti ici au Japon, fonctionnent de façon relativement « sectaire ». Selon encore un autre ami, qui s’est éloigné de certains autres amis trop impliqués dans le Sanseitô, il serait financé de façon assez importante par plusieurs sectes religieuses (ce qui est ici quelque chose de normale dans la pratique). Le parti n’a pas de colonnes vertébrales idéologiques, si ce n’est la révolution et la contestation. Il vogue certes sur les mensonges éhontés de la révolution institutionnelle, mais elle est le parangon d’une autre révolution contre la révolution dénoncée par Maistre.
D’un point de vue réaliste, que peut-il se passer ? Il est très peu probable que dans le court terme le pouvoir change de main : deux alternances en 80 ans, et un système fait pour éviter l’alternance (avec une dose de proportionnelle importante). Un clientélisme important qui fait que les campagnes votent massivement pour le PLD et restent surreprésentées comparées à la population. Un PLD certes corrompu, mais avec des corrompus connus, souvent descendants des dirigeants de la fin du XIXe siècle, avec une stabilité certaine et des intérêts qui sont situés plus au Japon qu’ailleurs. Le PLD est en effet aujourd’hui, malgré tous ses défauts, un rempart contre le mondialisme ici, et c’est pourquoi il est attaqué virulemment depuis quelques années (assassinat d’Abe, révélations de pseudo-scandales de façon opportune, etc.) : il freine en effet les changements les plus radicaux malgré des compromis de plus en plus importants depuis l’assassinat d’Abe (LGBT, libéralisme économique, carte d’identité, immigration).
Le PLD est attaqué sur sa gauche, et sur sa droite, dans cette opposition contrôlée idiote qui ne se rend pas compte qui si demain le PLD tombe les changements vers le totalitarisme, l’inféodation aux États-Unis, etc., ne pourront qu’accélérer.
Le problème de fond vient évidemment d’un pays en train de mourir : perdant plus de 500 mille âmes par ans depuis plusieurs années, l’immigration augmente mécaniquement. Faire travailler les femmes ne suffit plus, et la descente aux enfers est importante. Il y aura de plus en plus de frictions, sauf qu’ici l’immigration est sage et pas du tout revendicatrice comme chez nous. Mieux elle sera certainement l’occasion pour le Japon de se remettre en cause et de se convertir. La question sera de savoir si le vieux fond raciste japonais sera contenu, ou gagnera pour finir sur une extermination des étrangers, et un suicide collectif de la société japonaise déjà en cours.
Quoiqu’il en soit la percée du Sanseitô, même si elle ne devrait pas changer grand-chose politiquement dans le court terme – à part forcer le PLD à élargir une coalition à plus de partis dans une atmosphère du consensus – témoigne du début d’un changement générationnel qui peut inquiéter. La vieille génération qui respecte quelques lois de vertu naturelle et a un sens de la communauté, de la politique pratique, se voit remplacée peu à peu par des jeunes lessivés par le modernisme et l’individualisme, vivant dans la virtualité de façon constante – et le Sanseitô fait partie de cette virtualité – esseulée, ayant grandi dans des familles sans frères ni sœurs, et avec personnes à la maison.
Espérons du moins que tout cela permette de donner un choc salutaire à tant de bonnes volontés japonaises aveuglées par la conviction obsessionnelle de la supériorité japonaise et que tout va bien dans ce pays – aveuglement entretenue par le confort matériel et social, qui durera le temps qu’il durera.
Un ami me disait que ce pays avait pour religion le « confort », ce n’est pas faux : que se passera-t-il quand les temps se durciront ?
Paul de Beaulias