DiversLes chroniques du père Jean-François ThomasTribunes

De l’éducation du dauphin

Depuis Mentor, le précepteur de Télémaque, fils d’Ulysse, les maîtres célèbres ayant formé les rois sont nombreux : Aristote et Alexandre, Sénèque et Néron… ceci avec des bonheurs et des réussites divers. La France fut riche en hautes figures ayant dispensé leur science à leurs princiers élèves, tels Gilles de Rome et Guillaume d’Ercuis auprès de Philippe le Bel, avec les conséquences fâcheuses des positions de Aegidius Colonna (Gilles de Rome) en faveur de l’autorité spirituelle du pape contre l’autorité temporelle du roi. Pensons aussi au saint évêque Jean-Gilles du Coëtlosquet, précepteur de trois rois : Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, dont la bonté ne fut pas toujours à la hauteur pour répondre au défi posé par les Lumières envahissantes à la cour. L’éducation variée et soignée comporte alors histoire et géographie, écriture, morale, religion, mathématiques et physique, droit public, danse, dessin, escrime, langues étrangères (anglais, allemand, italien)…Le caustique duc de la Vauguyon affuble d’un sobriquet les quatre élèves royaux, les « Quatre F » : le Fin (duc de Bourgogne) qui mourra très jeune à neuf ans, le Faible (duc de Berry), futur Louis XVI, le Faux (comte de Provence), par la suite Louis XVIII et le Franc (comte d’Artois), notre dernier roi de France régnant, Charles X. Tous sont, en tout cas, instruits, ceci grâce à la réforme opérée dès Henri IV pour l’éducation des princes, réforme portée à sa perfection, comme beaucoup d’autres choses, par Louis XIV.

                                          Une historienne française, Pascale Morniche, a beaucoup écrit sur la légitimation de la formation des princes à partir de Louis XIV, comme partie intégrante d’une nouvelle conception de la monarchie. Ces études sont passionnantes car elles soulignent en fait, sans avoir besoin de le dire (ou sans vouloir le dire), la faiblesse interne du système républicain où ceux qui gouvernent émergent au hasard, sans préparation au préalable, préparation de tout l’homme, cœur, foi, raison, et non point simplement spécialisation dans un domaine particulier et limité.

                                          Un an après son mariage avec Marie-Thérèse d’Autriche en 1660, Louis XIV reçoit un héritier en la personne de Louis de France, appelé « Monseigneur » pour la première fois, devenu le « Grand Dauphin » à sa mort en 1711. Le jeune roi va aussitôt se pencher sur l’éducation de celui qui devrait normalement lui succéder. Ses choix de gouvernantes puis de précepteurs sont éminemment politiques et reflètent le génie de ce monarque qui va donner le ton à toutes les cours d’Europe y compris pour la formation des princes. Les cousins des enfants royaux, les Condé, Conti et Orléans, bénéficieront également de cette révolution pédagogique, inspirée par l’enseignement des Jésuites mais aussi par l ‘émergence de la querelle des Anciens et des Modernes. Géraud de Cordemoy, qui fut sous-précepteur du Dauphin, écrit dans « De la réformation d’un état » : « […] les enfans se gouvernant aisément par l’exemple (ce qui marque qu’ils refléchissent beaucoup sur tout ce qu’ils voyent) il suffit de leur en donner de bons, pour les exciter à bien faire. […] il [Louis XIV] ne laissera point prendre de fausses idées au jeune Prince, dont il luy [le duc de Montausier] a confié la conduite. Il a toute la force qu’il faut pour resister à ce torrent, qui emporte la plupart du monde, & sur tout les jeunes Princes, à suivre plutôt une mauvaise coûtume, que la raison, & si quelqu’un peut trouver de grands moyens pour rendre la France heureuse, par l’éducation de toutes les personnes qui la doivent soûtenir un jour, c’est de luy sans doute, qu’on peut attendre ce secours » Ainsi l’éducation se devait d’être exemplaire. Louis XIV avait déjà bénéficié des lumières de Richelieu, de Mazarin et des hommes qu’ils avaient sélectionnés pour la formation du prince. Mais les circonstances politiques troublées n’avaient pas permis d’établir un programme structuré comme cela sera le cas pour les enfants de Louis XIV.

                                          Jusqu’à l’âge de sept ans, les garçons sont confiés aux femmes, et ensuite, pour sept ans supplémentaires, aux hommes, achevant ainsi une solide éducation qui doit permettre au jeune prince de monter sur le trône si nécessaire. Le Grand Dauphin aura comme gouvernante, jusqu’à ses trois ans, la célèbre Madame de Montausier, la femme la plus cultivée de son temps à Paris. Elle va occuper une fonction curiale car elle doit prendre la parole à la place du jeune dauphin lors de la réception des ambassadeurs et des personnages importants. C’est le début de l’expression française qui, bientôt, va se répandre dans toutes les cours d’Europe. La naissance n’est plus une condition suffisante pour être un bon roi. Il faut savoir s’exprimer dans tous les domaines. Naître roi n’empêche pas qu’il faut aussi le devenir. Cette gouvernante se fait aider par l’abbé Claude-Oronce Fine de Brianville qui va composer pour le jeune prince des livres illustrés, -dont sa célèbre Histoire sacrée en tableaux, afin qu’il puisse apprendre plus aisément. Ensuite la gouvernante sera Madame de La Mothe-Houdancourt. Le bilan de l’éducation du Grand Dauphin, qui a à peine quatre ans, est impressionnant : « Si l’on fait le bilan des connaissances du dauphin vers 1665, on s’aperçoit qu’il a un maître d’italien, qu’il est capable de répondre lorsqu’un ambassadeur lui parle en espagnol. Il a une bonne connaissance des prières et des cérémonies liturgiques à la cour. Il a appris par cœur un certain nombre de maximes morales. Il sait parfaitement se comporter à la cour en se présentant en couple princier avec sa cousine derrière ses parents lors de cérémonies. Ses goûts militaires se sont affirmés puisqu’il a déjà reçu des cadeaux tels que des épées, un pistolet (…) » précise Pascale Morniche. Octave de Périgny sera le premier homme à intervenir dans cette éducation, avant les sept ans du prince, âge auquel il aura alors autour de lui une dizaine de précepteur, sous-précepteurs et professeurs, équipe extrêmement diverse, montrant à quel point Louis XIV a le souci de l’éclectisme, jugeant de la valeur des hommes et non point de leur caractère, de leur religion, de leurs réseaux. Le fin philologue Pierre-Daniel Huet est chargé de la culture littéraire. L’année 1670 est décisive car Bossuet entre en scène. Il crée ce qu’il nomme le Petit Concile, ceci afin de renouveler les études des Saintes Ecritures et, à partir de ce groupe, va construire un ambitieux programme de préceptorat afin que le futur roi soit préparé à gouverner en prince chrétien : le latin comme fondation mais dans le but de gouverner, une éducation en français, le modèle des personnages antiques et bibliques, un apprentissage de l’histoire afin de créer des racines. C’est ainsi que va se définir peu à peu l’image d’un nouveau roi. Louis XIV lui-même, âgé d’à peine trente ans, va écrire ses Mémoires pour l’instruction du dauphin montrant comment un roi doit être un chrétien exemplaire par sa foi, un lettré, un homme de goût, un expert militaire, un modèle pour son royaume et pour les autres pays. Il est intéressant de comparer la liste des auteurs que le Grand Dauphin a lu, aux différentes étapes de son éducation, avec celle des collèges jésuites et celle des règlements des études jansénistes. Tout a été choisi en fonction de l’utilité des textes pour le futur gouvernement du jeune prince : « À treize ans, le Grand Dauphin peut déchiffrer quarante vers d’Ovide au pied levé, mais ses précepteurs lui conseillent de s’appliquer à construire des phrases bien souples » continue Pascale Morniche. Dans l’histoire des hommes, il puise des modèles, et sur le terrain très jeune, accompagnant son père au cœur des batailles, il apprend à connaître son royaume et à s’initier aux affaires militaires. Il sera d’ailleurs un excellent soldat. A cela s’ajoute son aisance dans les relations à la cour et dans les ambassades car il doit remplacer son père, alors qu’il n’est qu’enfant, lors des absences de ce dernier.

                                          Le résultat est parfait : « Bossuet rédige des ouvrages pour l’éducation du dauphin. Des « manuels scolaires » s’élaborent avec des intentions, des savoirs variés, un contenu et des mises en page pédagogiques, et c’est la première fois dans l’histoire de l’éducation. Bossuet rend cette éducation exemplaire, tandis que dans les autres domaines œuvrent Colbert, Louvois, Le Brun, Le Nôtre pour la plus grande gloire de Louis XIV.

Une formule d’éducation princière a été mise au point qui intègre les plus récentes connaissances, les ouvrages les mieux choisis, servis par les plus prestigieux intellectuels. Entre éducation et pouvoir, un lien s’est mis en place. » poursuit notre historienne. Cela se répercute sur l’enseignement de tous les enfants de France, comme le décide Louis XIV à l’invitation de Colbert.                                         Nous en sommes les héritiers, malgré les coupes sombres et les destructions opérées par l’ « instruction publique » et l’ « éducation nationale » républicaines. Il en demeure peu de chose aujourd’hui, mais malgré tout, la France immortelle demeure dépositaire de cette page magnifique. Les vertus personnelles ne suffisent pas à guider un peuple. Il faut qu’elles soient nourries, dès le berceau, par tout ce que l’homme possède comme connaissances. Nous pouvons espérer qu’une telle renaissance s’opère pour le bien de notre pauvre pays.

                                                                      P.Jean-François Thomas s.j.

                                                                      26 janvier 2019

                                                                      S.Polycarpe

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