Paix de Dieu, Paix du monde
La modernité révolutionnaire, qu’elle soit politique ou ecclésiale, nous fait croire à une paix mollassonne, bien éloignée de la paix véritable du Christ, pour s’identifier peu ou prou à la paix païenne totalitaire du « pas de vague », et on « enfonce le clou qui dépasse ».
La liberté d’expression, soit dit en passant, est tout aussi révolutionnaire puisqu’elle veut ériger en principe le droit à la rébellion, sans souci de la vérité… L’homme vivant dans un pays totalitaire et persécuté, pour dire certaines vérités, ne doit pas revendiquer la liberté d’expression. Il ne fait que se soumettre au devoir d’affirmer à temps et contre-temps la vérité, même au prix de sa vie, car la vérité est plus aimable que le mensonge, lequel tue toujours bien plus sûrement les âmes que les corps.
Le Japon est en cela un exemple type de cette fausse « paix », aussi traduit par harmonie (和Wa), qui ne soucie jamais de vérité mais simplement de « statu quo social » même contre la justice, même contre la vérité, même au prix de l’exclusion des impurs et des hors castes, même au prix de la soumission des inférieurs comme esclaves. Lesquels sont soumis non plus à des chefs qui sont eux-mêmes soumis à des lois supérieures (au nom desquelles on peut leur résister sans se rebeller quand ils abusent de leur autorité), mais à des chefs à la volonté divinisée, dont toute décision positive devient une loi absolue – le positivisme juridique n’est pas une invention spécifique de la Révolution française et de la modernité ! La modernité n’a fait que remettre au goût du jour par le positivisme, l’absolutisme de la volonté humaine en ses dirigeants cachés, ou non.
Tout cela n’est pas nouveau, et Saint Augustin en parlait déjà bien mieux que nous dans La Cité de Dieu au chapitre XXXI du livre premier, dans une traduction absolument délicieuse. Il dénonce l’accusation faite par les païens contre les Chrétiens d’être la cause de leurs maux présents alors que tout indique – et les premiers livres de la Cité de Dieu le démontrent – que leurs maux proviennent de leur vice, et du faux ordre, de la fausse paix que la cité du monde, la cité de l’homme, veut ériger en véritable paix et ordre :
« Mais les esprits de perversité ont eu sur vous plus de crédit pour vous séduire que les hommes de prévoyance pour vous sauver. Aussi vous ne vous laissez pas imputer le mal que vous faites, et vous imputez au christianisme le mal que vous souffrez ; car, dans la sécurité, ce n’est pas la paix de la république, c’est l’impunité du désordre que vous aimez ; la prospérité vous a dépravés et l’adversité vous trouve incorrigibles. » (édition 19410, traduit et annoté par le chanoine Bardy).
Tout est dit : la paix du Christ est la tranquillité de l’ordre (divin et donc aussi naturel) là où la paix contemporaine, la paix moderne, la paix révolutionnaire est l’impunité du désordre érigé en ordre !
C’est le vice érigé en vertu, et le mensonge qui veut s’aveugler pour ne pas se réformer et s’imputer le mal subi – car le désordre et le péché entraînent toujours des conséquences dommageables, étant par définition contre l’ordre divin et naturel, et donc nous détruisant.
Saint Augustin continue : « Il voulait ce grand Scipion, que la crainte de l’ennemi vous préservât de la défaillance dans le vice ; et vous, brisé par l’ennemi, vous ne vous êtes pas même retournés contre le vice ; vous perdez le fruit du malheur, devenus les plus misérables sans cesser d’être les plus méchants des hommes. »
Les Pères de l’Église, dans la grande charité, ne mâchaient pas leurs mots. Saint Augustin le premier, étant issu du paganisme féroce et ayant été lui-même le sectateur, un temps avant sa conversion, de l’impunité du désordre.
Il a voulu dénoncer le désordre maquillé en ordre, le désordre singeant l’ordre, la paix du démon plutôt que la paix de Dieu. Ainsi, depuis les temps modernes, les divers révolutionnaires veulent « restaurer » la paix du démon, comme les révolutionnaires cléricaux depuis 60 ans veulent instituer un nouvel ordre ecclésiologique, qui est l’impunité du désordre dans la discipline, les sacrements, la liturgie et le magistère. Ces nouveaux clercs ne prononcent plus d’anathèmes, ne condamnent plus, n’affirment plus la vérité à temps et à contre-temps.
Saint Augustin conclut enfin, d’une façon si chrétienne, pour que les âmes de bonne volonté se rendent compte de cette situation et se convertissent : « Et vous vivez pourtant ; et c’est un bienfait de Dieu, lui dont la clémence vous invite à vous corriger par la pénitence, lui qui a déjà permis à votre ingratitude d’échapper, sous le nom de ses serviteurs, dans les monuments de ses martyrs, à la fureur de vos ennemis. »
Le dernier membre de phrase mérite explication : c’est le sac de Rome de 410, qui, quoique terrible, manifesta la clémence inattendue de « nombreux barbares », déjà respectueux du Christ, plus respectueux que les Romains, face aux vaincus qui se réfugiaient dans les églises chrétiennes, ne voulant pas porter la main sur ces espaces sacrés, de refuge. Ce qui, comme l’explique saint Augustin, et que l’anthropologie prouve, est inhabituel : jamais dans l’histoire païenne on ne fait clémence, et on épargne les espaces sacrés.
Ainsi, les mêmes qui accusent les Chrétiens de leurs maux ont en fait été sauvés grâce aux Chrétiens… Saint Augustin relève la contradiction et appelle à la conversion.
Bref, que d’enseignements pour nos jours : nous ne sommes pas en paix, mais dans une situation de guerre diabolique contre tout ce qui est chrétien, et tout ce qui est naturel. En politique, cela s’appelle la république, la modernité, la révolution. Les fausses « paix » bisounours des années 60 et suivantes, les faux lendemains qui chantent diverses idéologies communistes, des Lumières et autres révolutionnaires ne sont rien d’autre qu’une impunité du désordre instituée comme ordre, et devant clouer le bec des bonnes volontés, et paralyser les actions des défenseurs légitimes du bien commun. Les conséquences parlent d’elles-mêmes ! Le désordre est aujourd’hui patent à tous les niveaux !
Ce désordre impénitent qui consacre son immunité peut tenter de se cacher derrière un masque de respectabilité mondaine, se maquiller comme le singe de Dieu derrière de bonnes intentions, mais il ne peut plus cacher ses conséquences mortifères et néfastes : explosion de la société, destruction de la famille, la mort prônée partout, et la mort de l’âme d’abord, qui aboutit aujourd’hui à la mort des corps aussi (morts volontaires en voie de légalisation, assassinat des bébés, etc.), à la scarification normalisée (tatouages, contraception, transition de genre, etc.) et bien d’autres.
Alors oui, nous sommes en guerre. Il faut le constater et le savoir, et notre devoir est de nous battre, à notre place et comme nous pouvons, en protégeant le bien commun, à commencer par le nôtre, le plus proche (famille, amis, paroisse, village ou quartier, sociétés diverses d’intérêt ou d’œuvres).
La situation révolutionnaire politique ne s’arrête malheureusement pas aux démocraties libérales : la situation de l’immunité du désordre, de la fausse paix s’est introduite dans l’Église catholique depuis 60 ans. L’état de guerre se nomme ici habituellement la « crise de l’Église » et la « crise de l’autorité pontificale », et requiert aussi notre combat pour le restauration de la paix du Christ. Cette tranquillité de l’ordre est fondée sur la vérité dites et redites à temps et à contre-temps, et une vie chrétienne intégrale sans compromis aucun, à commencer par la restauration d’une obéissance bien comprise et traditionnelle, et de l’abandon des excès (compréhensibles en leur temps) de l’ultra-montanisme aboutissant sur une sorte de papolâtrie absolutisant un pouvoir qui est de nature vicarial et limité…
Pour nous, légitimistes, cela est évident : le roi n’est absolu qu’en ce que son autorité ne dépend pas de la volonté des hommes, et qu’en France, son avènement ne dépend pas non plus de la volonté des hommes mais des lois fondamentales. Il est lieutenant de Dieu, et donc soumis à la loi divine comme naturelle : les sujets du Roi, sans jamais se rebeller, ont toujours résisté au Roi quand il outrepassait ses prérogatives, quand il attaquait les immémorables coutumes de ses peuples, de ses églises, quand son plaisir (sa volonté) allait contre la volonté divine, et la coutume du Royaume.
L’Église est aussi une société politique, d’un autre ordre certes, et avec une fin surnaturelle, mais le fonctionnement de l’autorité ne diffère pas fondamentalement : le Pape est soumis aux lois supérieures, préposées à la protection du dépôt de la Foi et des trésors liturgiques et spirituels de l’Église, et à sa transmission à tous les hommes.
Tout ce qui va contre cela est mauvais.
Et la fausse « paix » dans les discours pontificaux de ces dernières décennies est absolument frappantes : quand Jean-Paul II organise les rencontres d’Assise en 1987 pour que tous les représentants prient pour la paix, il a oublié de lire Saint Augustin. Pour quelle « paix » voulait-il faire prier ? Et qui priaient-ils ? Si ce n’est les démons, car hors du culte catholique, tout culte ne peut qu’être tourné vers « le culte abominable des démons », comme le dit encore saint Augustin.
Il dit encore : « Au reste, ces esprits du mal, que les païens prennent pour des dieux, n’ont d’autre but, en se laissant attribuer de faux crimes, que de prendre les âmes dans ces fictions comme dans des filets, et de les entraîner avec eux dans le supplice où ils sont prédestinés ; soit que des hommes qu’ils se plaisent à faire passer pour des dieux, afin de recevoir à leur place par mille artifices les adorations des mortels, aient en effet commis ces crimes, soit qu’aucun homme n’en étant coupable, ils prennent plaisir à les voir imputer aux dieux, pour donner ainsi aux actions les plus méchantes et les plus honteuses l’autorité du ciel. C’est ainsi que les Grecs, esclaves de ces fausses divinités, n’ont pas cru que les poètes dussent les épargner eux-mêmes sur la scène, ou par le désir de se rendre en cela semblables à leurs dieux, ou par la crainte de les offenser, s’ils se montraient jaloux d’avoir une renommée meilleure que la leur. » (Livre II, chapitre XX, wikisource)
Tout cela est désordonné, du fait de l’oubli de la paix du Christ, qui est tranquille, mais acérée, qui reste constante et ne se plie pas au monde, comme le montre la Passion de Notre-Seigneur. Dans le monde politique comme dans le monde ecclésial, que la véritable paix soit remise au goût de jour : c’est là où nous avons un devoir, soit de résistance, soit de correction fraternelle, soit de combat franc et charitable contre les ennemis qui nous assaillent. L’état de notre monde actuel, sous couvert de paix, est celui de l’impunité du désordre, c’est un état de guerre qui ne s’avoue pas mais qui est de plus en plus patent.
« Don’t act » : pour nous, il nous suffit de nous battre chrétiennement.
Sans se voiler la face et sans tenter d’imputer le mal aux autres, mais là où il se trouve, compris en nous-mêmes.
Nous ne sommes pas contre-révolutionnaires et légitimistes pour dire nos responsabilités et imputer le mal aux autres comme des étrangers, mais bien pour prendre nos responsabilités, comme membres de la société politique et ecclésiale, expier les fautes, les nôtres et celles des autres ; tout en « usant du monde sans en user » comme dit saint Augustin ailleurs, pour la gloire de Dieu, le bien commun de l’Église et le bien commun du Royaume de France.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac