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La mort volontaire est toujours un crime !

La mort volontaire est toujours un crime, comme l’enseigne l’Église, et comme le démontre la raison. La littérature sur le sujet est interminable. De nombreuses civilisations, depuis les suicides antiques jusqu’aux suicides rituels des « samouraïs » nourrissent les fantasmes et voudraient esthétiser ce qui n’est qu’un meurtre coupable. Il serait intéressant de constater que vouloir légitimer la mort volontaire n’est qu’une forme d’orgueil assumé qui veut contrôler même la mort, et veut faire croire à la puissance humaine sur cette mort, en déterminant le moment où elle arrive… quelle grossière erreur ! Se tuer ou tuer ne permet en rien de dominer la mort qui, au contraire, reste dominatrice de toute notre vie, et pire encore que cette mort soit accentuée par la volonté morbide de se révolter contre le plan de Dieu et de se jeter soi-même en enfer.

Nous ne parlons même pas ici de l’euthanasie, qui va bien plus loin que le suicide : c’est le meurtre d’autrui légitimé. Nous sommes certes dans la continuité du suicide : car qui est près de commettre un crime contre lui-même est forcément prêt à faire le même crime contre autrui, puisqu’on traite les autres comme on se traite, in fine.

Pour comprendre à quel point la mort volontaire est criminelle il suffit de revenir à saint Augustin qui a définitivement clôt la question dès l’Antiquité, puisque comme souvent en terres païennes, si ce n’est tout le temps, la mort volontaire esthétisée et légitimée était monnaie courante.

Il analyse combien c’est toujours un crime, qui ajoute du crime au crime et qui est un enfant de l’orgueil.

Il commence par présenter le cas de la vierge Lucrèce, violée contre son gré, et qui « pour défendre son honneur » se suicide… L’explication vient après de magnifiques pages sur le martyre des chrétiennes, et les réflexions sur le fait que si elles ne sont pas consentantes même si elles sont souillées, elles n’ont aucune culpabilité ; que ce qui arrive au corps ne présage en rien à ce qui arrive à l’âme. C’est au livre II de la Cité de Dieu.

« CHAPITRE XIX. DE LUCRÈCE, QUI SE DONNA LA MORT POUR AVOIR ÉTÉ OUTRAGÉE.

Nous soutenons que lorsqu’une femme, décidée à rester chaste, est victime d’un viol sans aucun consentement de sa volonté, il n’y a de coupable que l’oppresseur. Oseront-ils nous contredire, ceux contre qui nous défendons la pureté spirituelle et aussi la pureté corporelle des vierges chrétiennes outragées dans leur captivité ? Nous leur demanderons pourquoi la pudeur de Lucrèce, cette noble dame de l’ancienne Rome, est en si grand honneur auprès d’eux ? Quand le fils de Tarquin eut assouvi sa passion infâme, Lucrèce dénonça le crime à son mari, Collatin, et à son parent, Brutus, tous deux illustres par leur rang et par leur courage, et leur fit prêter serment de la venger ; puis, l’âme brisée de douleur et ne voulant pas supporter un tel affront, elle se tua[62]. Dirons-nous qu’elle est morte chaste ou adulte ? Poser cette question c’est la résoudre. J’admire beaucoup cette parole d’un rhéteur qui déclamait sur Lucrèce : « Chose admirable ! » s’écriait-il ; « ils étaient deux, et un seul fut adultère ! » Impossible de dire mieux et plus vrai. Ce rhéteur a parfaitement distingué dans l’union des corps la différence des âmes, l’une souillée par une passion brutale, l’autre fidèle à la chasteté, et exprimant à la fois cette union toute matérielle et cette différence morale, il a dit excellemment : « Ils étaient deux, un seul fut adultère ».

Mais d’où vient que la vengeance est tombée plus terrible sur la tête innocente que sur la tête coupable ? Car Sextus n’eut à souffrir que l’exil avec son père, et Lucrèce perdit la vie. S’il n’y a pas impudicité à subir la violence, y a-t-il justice à punir la chasteté ? C’est à vous que j’en appelle, lois et juges de Rome ! Vous ne voulez pas que l’on puisse impunément faire mourir un criminel, s’il n’a été condamné. Eh bien ! supposons qu’on porte ce crime à votre tribunal : une femme a été tuée ; non-seulement elle n’avait pas été condamnée, mais elle était chaste et innocente : ne punirez-vous pas sévèrement cet assassinat ? Or, ici, l’assassin c’est Lucrèce. Oui, cette Lucrèce tant célébrée a tué la chaste, l’innocente Lucrèce, l’infortunée victime de Sextus. Prononcez maintenant. Que si vous ne le faites point, parce que la coupable s’est dérobée à votre sentence, pourquoi tant célébrer la meurtrière d’une femme chaste et innocente ? Aussi bien ne pourriez-vous la défendre devant les juges d’enfer, tels que vos poètes nous les représentent, puisqu’elle est parmi ces infortunés

« Qui se sont donné la mort de leur propre main, et sans avoir commis aucun crime, en haine de l’existence, ont jeté leurs âmes au loin… »

Veut-elle revenir au jour ?

« Le destin s’y oppose et elle est arrêtée par l’onde lugubre du marais qu’on ne traverse pas[63] ». »

Saint Augustin, avec cet exemple, montre combien le suicide est grave. Mais il va plus loin, et suppose encore que Lucrèce ne soit pas exempte de consentement lors de son viol, et qu’elle soit en fait en partie coupable.

« Mais peut-être n’est-elle pas là ; peut-être s’est-elle tuée parce qu’elle se sentait coupable ; peut-être (car qui sait, elle exceptée, ce qui se passait en son âme), touchée en secret par la volupté, a-t-elle consenti au crime, et puis, regrettant sa faute, s’est-elle tuée pour l’expier, mais, dans ce cas même, son devoir était, non de se tuer, mais d’offrir à ses faux dieux une pénitence salutaire. Au surplus, si les choses se sont passées ainsi, si on ne peut pas dire : « Ils étaient deux, un seul fut adultère » ; si tous deux ont commis le crime, l’un par une brutalité ouverte, l’autre par un secret consentement, il n’est pas vrai alors qu’elle ait tué une femme innocente, et ses savants défenseurs peuvent soutenir qu’elle n’habite point cette partie des enfers réservée à ces infortunés « qui, purs de tout crime, se sont arraché la vie ». Mais il y a ici deux extrémités inévitables : veut-on l’absoudre du crime d’homicide ? on la rend coupable d’adultère ; l’adultère est-il écarté ? il faut qu’elle soit homicide ; de sorte qu’on ne peut éviter cette alternative : si elle est adultère, pourquoi la célébrer ? si elle est restée chaste, pourquoi s’est-elle donné la mort ?

Quant à nous, pour réfuter ces hommes étrangers à toute idée de sainteté qui osent insulter les vierges chrétiennes outragées dans la captivité, qu’il nous suffise de recueillir cet éloge donné à l’illustre Romaine : « Ils étaient deux, un seul fut adultère ». On n’a pas voulu croire, tant la confiance était grande dans la vertu de Lucrèce, qu’elle se fût souillée par la moindre complaisance adultère. Preuve certaine que, si elle s’est tuée pour avoir subi un outrage auquel elle n’avait pas consenti, ce n’est pas l’amour de la chasteté qui a armé son bras, mais bien la faiblesse de la honte. Oui, elle a senti la honte d’un crime commis sur elle, bien que sans elle. Elle a craint, la fière Romaine, dans sa passion pour la gloire, qu’on ne pût dire, en la voyant survivre à son affront, qu’elle y avait consenti. À défaut de l’invisible secret de sa conscience, elle a voulu que sa mort fût un témoignage éclatant de sa pureté, persuadée que la patience serait contre elle un aveu de complicité. (NdA : voilà en tout éclat l’orgueil qui se cache derrière une fausse gloire).

Telle n’a point été la conduite des femmes chrétiennes qui ont subi la même violence. Elles ont voulu vivre, pour ne point venger sur elles le crime d’autrui, pour ne point commettre un crime de plus, pour ne point ajouter l’homicide à l’adultère ; c’est en elles-mêmes qu’elles possèdent l’honneur de la chasteté, dans le témoignage de leur conscience ; devant Dieu, il leur suffit d’être assurées qu’elles ne pouvaient rien faire de plus sans mal faire, résolues avant tout à ne pas s’écarter de la loi de Dieu, au risque même de n’éviter qu’à grand’peine les soupçons blessants de l’humaine malignité. »

Nous devrions lire et relire saint Augustin qui est définitif sur ce sujet. Après cet exemple déjà si profond, saint Augustin explique pourquoi la mort volontaire n’est jamais permise en chrétienté.

« CHAPITRE XX. LA LOI CHRÉTIENNE NE PERMET EN AUCUN CAS LA MORT VOLONTAIRE.

Ce n’est point sans raison que dans les livres saints on ne saurait trouver aucun passage où Dieu nous commande ou nous permette, soit pour éviter quelque mal, soit même pour gagner la vie éternelle, de nous donner volontairement la mort. Au contraire, cela nous est interdit par le précepte : « Tu ne tueras point ». Remarquez que la loi n’ajoute pas : « Ton prochain », ainsi qu’elle le fait quand elle défend le faux témoignage : « Tu ne porteras point faux témoignage contre ton prochain[64] ». Cela ne veut pas dire néanmoins que celui qui porte faux témoignage contre soi-même soit exempt de crime ; car c’est de l’amour de soi-même que la règle de l’amour du prochain tire sa lumière, ainsi qu’il est écrit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même[65] ». Si donc celui qui porte faux témoignage contre soi-même n’est pas moins coupable que s’il le portait contre son prochain, bien qu’en cette défense il ne soit parlé que du prochain et qu’il puisse paraître qu’il n’est pas défendu d’être faux témoin contre soi-même, à combien plus forte raison faut-il regarder comme interdit de se donner la mort, puisque ces termes : « Tu ne tueras point », sont absolus, et que la loi n’y ajoute rien qui les limite ; d’où il suit que la défense est générale, et que celui-là même à qui il est commandé de ne pas tuer ne s’en trouve pas excepté. Aussi plusieurs cherchent-ils à étendre ce précepte jusqu’aux bêtes mêmes, s’imaginant qu’il n’est pas permis de les tuer[66]. Mais que ne l’étendent-ils donc aussi aux arbres et aux plantes ? car, bien que les plantes n’aient point de sentiment, on ne laisse pas de dire qu’elles vivent, et par conséquent elles peuvent mourir, et même, quand la violence s’en mêle, être tuées. C’est ainsi que l’Apôtre, parlant des semences, dit : « Ce que tu sèmes ne peut vivre, s’il ne meurt auparavant[67] », et le Psalmiste : « Il a tué leurs vignes par la grêle[68] ». Est-ce à dire qu’en vertu du précepte : « Tu ne tueras point », ce soit un crime d’arracher un arbrisseau, et serons-nous assez fous pour souscrire, en cette rencontre, aux erreurs des Manichéens[69] ? Laissons de côté ces rêveries, et lorsque nous lisons : « Tu ne tueras point », si nous ne l’entendons pas des plantes, parce qu’elles n’ont point de sentiment, ni des bêtes brutes, qu’elles volent dans l’air, nagent dans l’eau, marchent ou rampent sur terre, parce qu’elles sont privées de raison et ne forment point avec l’homme une société, d’où il suit que par une disposition très-juste du Créateur, leur vie et leur mort sont également faites pour notre usage, il reste que nous entendions de l’homme seul ce précepte : « Tu ne tueras point », c’est-à-dire, tu ne tueras ni un autre ni toi-même, car celui qui se tue, tue un homme. »

Saint Augustin, en passant, car ce n’est pas son sujet, balaie d’un revers de main notre animalisme et notre environnementalisme, qui existait déjà dans l’antiquité dans le manichéisme, et qui existe encore en terres païennes, dans les chamanismes, animismes et bouddhismes macrocosmiques. Il faudrait ici se reporter à des articles que nous avons commis sur ce sujet, à partir de Bossuet, qui ne fait que développer définitivement l’explication psychologique de cet animalisme et montre combien il est erroné, contre notre réalité et notre nature.

La dénonciation de la mort volontaire va forcément très loin, car ensuite saint Augustin aborde forcément cet autre sujet que notre monde contemporain abhorre tant : les meurtres qui n’impliquent pas l’homicide, soit la peine de mort et la légitime défense. Il va en fait peu développer ces deux aspects, tellement ils semblent évidents – et il suffit de se reporter à n’importe quel catéchisme un peu poussé pour mieux comprendre ces exceptions. Il s’attarde au contraire sur les cas de l’Ancien testament, exceptions expresses, qui sont plus difficiles à comprendre à première vue, et peuvent scandaliser ; il n’en est rien en fait, l’homme est instrument d’une Providence qui nous dépasse.

« CHAPITRE XXI. DES MEURTRES QUI, PAR EXCEPTION, N’IMPLIQUENT POINT CRIME D’HOMICIDE.

Dieu lui-même a fait quelques exceptions à la défense de tuer l’homme, tantôt par un commandement général, tantôt par un ordre temporaire et personnel (NdA : saint Augustin pense ici aux ordres exprès dans l’Ancien Testament de tuer telle ou telle personne ou tel ou tel peuple). En pareil cas, celui qui tue ne fait que prêter son ministère à un ordre supérieur ; il est comme un glaive entre les mains de celui qui frappe, et par conséquent il ne faut pas croire que ceux-là aient violé le précepte : « Tu ne tueras point », qui ont entrepris des guerres par l’inspiration de Dieu, ou qui, revêtus du caractère de la puissance publique et obéissant aux lois de l’État, c’est-à-dire à des lois très-justes et très-raisonnables, ont puni de mort les malfaiteurs. L’Écriture est si loin d’accuser Abraham d’une cruauté coupable pour s’être déterminé, par pur esprit d’obéissance, à tuer son fils, qu’elle loue sa piété[70]. Et l’on a raison de se demander si l’on peut considérer Jephté comme obéissant à un ordre de Dieu, quand, voyant sa fille qui venait à sa rencontre, il la tue pour être fidèle au vœu qu’il avait fait d’immoler le premier être vivant qui s’offrirait à ses regards à son retour après la victoire[71]. De même, comment justifie-t-on Samson de s’être enseveli avec les ennemis sous les ruines d’un édifice ? en disant qu’il obéissait au commandement intérieur de l’Esprit, qui se servait de lui pour faire des miracles[72]. Ainsi donc, sauf les deux cas exceptionnels d’une loi générale et juste ou d’un ordre particulier de celui qui est la source de toute justice, quiconque tue un homme, soi-même ou son prochain, est coupable d’homicide. »

Saint Augustin continue d’avancer dans sa réflexion, et arrive à un point central : la mort volontaire n’est jamais le signe d’une grandeur d’âme malgré tous les masques et les paillettes qu’elle peut revêtir ! A partir de là, il devient simple d’appliquer la réflexion de saint Augustin aux cas particuliers à la mode qui peuvent exister encore aujourd’hui, dont l’histoire japonaise, mais pas seulement. Et saint Augustin comprend tout finement : il reconnaît que l’acte de se tuer peut-être grand, mais n’est jamais la conséquence d’une grandeur d’âme mais toujours d’une faiblesse et d’une petitesse d’âme.

« CHAPITRE XXII. LA MORT VOLONTAIRE N’EST JAMAIS UNE PREUVE DE GRANDEUR D’ÂME.

On peut admirer la grandeur d’âme de ceux qui ont attenté sur eux-mêmes, mais, à coup sûr, on ne saurait louer leur sagesse. Et même, à examiner les choses de plus près et de l’œil de la raison, est-il juste d’appeler grandeur d’âme cette faiblesse qui rend impuissant à supporter son propre mal ou les fautes d’autrui ? Rien ne marque mieux une âme sans énergie que de ne pouvoir se résigner à l’esclavage du corps et à la folie de l’opinion. Il y a plus de force à endurer une vie misérable qu’à la fuir, et les lueurs douteuses de l’opinion, surtout de l’opinion vulgaire, ne doivent pas prévaloir sur les pures clartés de la conscience. Certes, s’il y a quelque grandeur d’âme à se tuer, personne n’a un meilleur droit à la revendiquer que Cléombrote, dont on raconte qu’ayant lu le livre où Platon discute l’immortalité de l’âme, il se précipita du haut d’un mur pour passer de cette vie dans une autre qu’il croyait meilleure[73] ; car il n’y avait ni calamité, ni crime faussement ou justement imputé dont le poids pût lui paraître insupportable ; si donc il se donna la mort, s’il brisa ces liens si doux de la vie, ce fut par pure grandeur d’âme. Eh bien ! je dis que si l’action de Cléombrote est grande, elle n’est du moins pas bonne ; et j’en atteste Platon lui-même, Platon, qui n’aurait pas manqué de se donner la mort et de prescrire le suicide aux autres, si ce même génie qui lui révélait l’immortalité de l’âme, ne lui avait fait comprendre que, cette action, loin d’être permise, doit être expressément défendue[74].

Mais, dit-on, plusieurs se sont tués pour ne pas tomber en la puissance des ennemis. Je réponds qu’il ne s’agit pas de ce qui a été fait, mais de ce qu’on doit faire. La raison est au-dessus des exemples, et les exemples eux-mêmes s’accordent avec la raison, quand on sait choisir ceux qui sont le plus dignes d’être imités, ceux qui viennent de la plus haute piété. Ni les Patriarches, ni les Prophètes, ni les Apôtres ne nous ont donné l’exemple du suicide. Jésus-Christ, Notre-Seigneur, qui avertit ses disciples, en cas de persécution, de fuir de ville en ville[75], ne pouvait-il pas leur conseiller de se donner la mort, plutôt que de tomber dans les mains de leurs persécuteurs ? Si donc il ne leur a donné ni le conseil, ni l’ordre de quitter la vie, lui qui leur prépare, suivant ses promesses, les demeures de l’éternité[76], il s’ensuit que les exemples invoqués par les Gentils, dans leur ignorance de Dieu, ne prouvent rien pour les adorateurs du seul Dieu véritable. »

Cette dernière réflexion est importante : l’histoire des maux et des péchés ne sauraient en jamais justifier ces maux et ces péchés. Là encore nous avons la description d’un phénomène très moderne : les méchants utilisent le fait accompli pour justifier la légitimation de spires vices et péchés ! L’histoire montre au contraire combien, si on la regarde objectivement, ces péchés ont de terribles conséquences.

(à suivre)

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

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