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La domesticité, par Antoine Michel

Jean-Baptiste Greuze, Le gâteau des rois, 1774
Jean-Baptiste Greuze, Le gâteau des rois, 1774

La réalité de la domesticité n’est plus à la mode, elle serait même abhorrée par le monde contemporain : le domestique est, littéralement, celui qui vit dans la maison, dans la famille au sens large. Le monde de 2025 a non seulement évincé la domesticité mais a détruit la maison elle-même : les sirènes du temps veulent que toute la journée et toute l’année il n’y ait personne à la maison. Le père non seulement devrait être en permanence dehors, mais la femme, sorte d’homme par assimilation (et pour sa destruction) aussi ; et les enfants, s’il y en a encore, aussi, entre écoles, clubs ou, pour les moins aisés, zonages dans les rues (puisque la maison reste désespérément vide).
Nous sommes encore plutôt dans une hypothèse optimiste puisqu’on suppose encore une famille constituée : combien de gens seuls, non par choix d’un célibat volontaire que sous-tend une vocation, et donc par sacrifice, mais par force… Et cette triste imposition d’une situation de solitude et de faiblesse par rapport à l’Etat et à toute force extérieure arrive parfois à devenir intériorisé dans un tour de l’orgueil et de la manipulation diabolique des états révolutionnaires : d’aucuns se convainquent qu’en refusant les enfants, qu’en ne se mariant et en pourrissant dans leur solitude égoïste ou autre, ils sauvent la planète, ils accomplissent les diktats du monde moderne appelant à l’individualisme et se conforment ainsi aux lois… Comme toujours, comme par un clin d’œil de la Providence, l’homme reste homme et donc, étant un homme politique avant tout, il se conforme. Sauf que quand on se conforme à une loi contre-nature, on s’auto-détruit… d’où l’importance des institutions, d’où l’importance de la restauration d’un Roi très chrétien avec des institutions conformes à la loi divine, par conséquent à la loi naturelle.

Revenons à la domesticité. La stratégie révolutionnaire, consciente ou non, est pourtant claire. La société était forte des ses familles, au sens large et comprenant donc domesticité et gens : ces petites royautés se retrouvaient autour du roi, père des pères des familles, pour former une société saine, ordonnée, hiérarchique, où chacun avait une place, parce que chacun était à sa place.
Le démon haineux de cet ordre reflétant l’ordre divin, où personne n’est égal à personne en politique, ce qui rend tout un chacun unique et ainsi épais de sa singularité, veut une société égalitaire, uniforme, de la guerre de tous contre tous (voilé sous le nom de la compétition, de la destruction créatrice, de la démocratie, et de toutes autres idéologies aux noms chantants mais aux réalités toujours terribles), qui aboutit in fine sur la loi du plus fort où les faibles et moins « performants » sont mis en retrait, victimisés mais jamais aimés, « assistés » mais jamais vraiment aidés… Le paradoxe n’est qu’apparent, car les conséquences sont en fait froidement inévitables : la société humaine est en soi inégalitaire, car Dieu l’a voulu ainsi, et cela est bon. Nous sommes cependant libre de le refuser : alors c’est la guerre de tous contre tous, et la société moderne. Ou nous pouvons l’accepter, et nous avons alors une société ordonnée, où les forts protègent les faibles, ou les puissants se conforment à des lois supérieures et se font un point d’honneur de faire la justice, où chacun est le serviteur de quelqu’un, et le maître de quelque chose d’autre.

La société révolutionnaire a voulu détruire la société traditionnelle, et donc, comme nous le disions, détruire les maisons.
Pour cela il s’agit d’abord de détruire l’habitude de la domesticité : ces Maisons étaient puissantes car largement autonomes et autosuffisantes, suffisamment pour ne pas se faire marcher par les pieds par les autres, pas assez pour chercher une domination totale (et quand l’équilibre se rompt, voilà les guerres si fréquentes dans l’histoire qui se déclenchent). Du moins l’économie de la Maison, par son ampleur, son ordre et sa hiérarchie, freinait en soit toute explosion de passion et de colère : le chef de la Maison, le seigneur, le maître avait un rang à tenir, et ce rang à tenir était requis par toute sa maisonnée, qui exigeait de son chef contre sa fidélité de lui faire honneur, et de lui donner la fierté de pouvoir dire qu’il sert un bon maître.
C’est comme pour un fils envers son père : le fils sera d’autant plus fidèle et pieux envers son père que le père sera honorable, exemplaire et digne de son rang de père.
La maison élargissait cela à une échelle bien plus importante : la présence de domestiques en permanence, à toute heure de la journée, et partout, forçait le maître à se tenir mieux et à ne pas se relâcher que tout ce qu’il aurait pu faire juste avec les gens de son sang – qui sont si proches, et dont le lien est par définition imbrisable, que la psychologie humaine a tendance à s’y reposer, et donc à se relâcher insensiblement.

La présence d’un domestique forcera ainsi une maisonnée à tenir sa langue, à éviter les égards de langage et toutes les façons de parler durs qui sont si courantes quand on est dans son intimité. La domesticité brise ainsi déjà cette mauvaise intimité qui fait croire que personne nous voit. La domesticité rappelle au contraire de façon constante la réalité que Dieu nous voit toujours et partout, mais de façon plus concrète pour l’homme faible par sa chair, et si porté au relâchement.
La domesticité est aussi une école de la relation hiérarchique, et de l’obéissance, de la fidélité et de l’amour entre chefs et subordonnés, c’est une école de justice et d’apprentissage pour le chef à être chef, à tenir son rang, mais aussi à prendre les bonnes décisions.

La domesticité est encore une nécessité pour les grandes œuvres qui ne sont possibles que par la libération des tâches serviles pour ceux qui sont capables de ces grandes œuvres : quel gâchis qu’un grand mathématicien, qu’un grand médecin, qu’un grand avocat, qu’un grand artisan ne puisse pas exercer son métier car il est forcé de perdre son temps dans des tâches serviles domestiques qu’un autre que lui pourrait faire – là où son art si rare n’est exerçable que par lui.
Et la grandeur de ses œuvres rejaillit sur toutes les maisons, où chacun a cette fierté de savoir que son travail surtout servile est nécessaire, et permet de plus grandes œuvres.

La Révolution, par son obsession égalitariste, a voulu supprimer la domesticité. Ensuite elle a ainsi dénudé les maisons de leur force et leur gloire, pour les réduire à la « famille nucléaire » qui, avec les successions égales, vrille rapidement à l’explosion, à la décadence morale. Nous en sommes déjà à l’étape suivante du délitement de toute sorte de famille.
Et le résultat des courses c’est qu’en croyant libérer les domestiques, on a surtout fait de tout un chacun un esclave enchaîné aux tâches serviles, seules, et sans possibilité de les ne sublimer ni dans des vertus morales d’obéissance, de fidélité et d’honneur (puisqu’on est seul), ni dans cette joie profonde de se savoir un maillon nécessaire, utile et bénéfique d’un tout qui fait une grande œuvre à laquelle on participe, et dont on bénéficie de toute la gloire et des bonnes retombées…

La domesticité est ainsi naturelle à la société humaine, et, sans jamais être univoque, elle s’adapte à toutes les situations.
Notre société contemporaine et révolutionnaire dénigre et détruit la domesticité en principe. Elle rend tout terrible, elle fait de ce qui reste de domesticité non plus une domesticité, mais des « sous-boulots » réglés par une logique mercenaire qui refuse que « la femme de ménage » ou « l’employé de maison » fasse partie de la maison, en y vivant par exemple.

Cette société moderne rend institutionnellement impossible la domesticité, et pourtant force est de constater que certaines traditions, malgré tout, en France existent : il reste relativement normal d’avoir des femmes de ménage ou des nourrices, les traditions de la « fille au pair » existent encore. Tout cela n’est pas du luxe, mais bien aussi des nécessités pour des familles nombreuses, ou des métiers qui nécessitent d’être libérés de tâches serviles.

Il est intéressant de constater que ce genre de restes de domesticités n’existe plus du tout dans un pays comme le Japon, pourtant réputé pour être traditionnel : la cause est certainement que sans le christianisme la réalité de la domesticité devient dure, comme l’image que nous pourrions avoir des « maîtres bourgeois » du XIXe siècle, si arrogant et si méprisant envers leurs gens… Alors on jette le bébé avec l’eau du bain…

La domesticité, quelque soit la mauvaise presse qu’elle peut avoir aujourd’hui, est pourtant une réalité humaine nécessaire et naturelle et, quand elle se christianise, devient le creuset et le lieu des plus belles vertus chrétiennes et de leur apprentissage.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Antoine Michel

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