Littérature / Cinéma

Un taxi pour Tobrouk (1961)

Ce film avec Lino Ventura est d’un autre temps, manifestant une France qui semble perdue, ou en train de se perdre. Il est produit en 1961 en pleine guerre d’Algérie, dans une France qui sait encore ce que se battre veut dire, mais qui en même temps est en train de tout lâcher pour céder aux sirènes de la modernité ecclésiale (le concile qui vient) et politique (mai 68 qui vient). Les deux grandes digues ne se sont pas encore brisées pourtant, et la France de 1961, pour tous les fidèles serviteurs de la France, est marquée avant tout par la trahison de de Gaulle malgré son retour pour protéger l’Algérie française, le lâchage programmé de l’Algérie et la félonie à venir envers les harkis.

Le film ne parle pas de cela, pourtant on sent qu’il en parle sans en parler. Avant d’expliquer rappelons rapidement les grandes lignes du scénario.

Nous sommes pendant la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, dans le Sahara oriental, au moment aux environs du basculement en faveur des Alliés. Alamein et les Afrika Trupps de Rommel sont toujours là. Tout cela n’est que la toile du fond qui se concentre sur l’histoire de quatre soldats français, tous d’armes différentes, tous résistants de la première heure, pour des raisons bien différentes, et qui se retrouvent à devoir survivre dans le désert pour rejoindre les lignes alliés.

Le chef improvisé de cette troupe hétéroclite de quatre est le fusiller marin (Lino Ventura). Ils tombent en panne et sont en danger de mort, mais ils tombent sur une voiture allemande et cinq Allemands, qu’ils prennent par surprise. Ils en abattent quatre, mais un cinquième, caché, est survivant. Ils en font un prisonnier de guerre, et ils se retrouvent ainsi à 5 en plein désert, seuls, pour aller survivre.

Je vous passe les péripéties, mais pour faire simple les Français vont fraterniser peu à peu avec cet officier de la Wehrmacht, francophone et francophile, qui a l’honneur du soldat, comme eux. Ils respectent d’ailleurs avec grande fidélité le code de la guerre et le traitement des prisonniers alors même que rien ni personne ne les force à faire cela.

L’Allemand les sauvera plusieurs fois et vice versa.

Vers la fin du film Lino se trouve devant un dilemme : ils s’approchent des lignes alliées, et ils vont devoir livrer leur prisonnier, qui est devenu leur ami, comme prisonnier ; mais là ce ne sera pas le même avenir pour lui. Alors il réfléchit à le faire s’enfuir : les autres camarades accepteraient, sauf le docteur juif qui fait passer l’idéologie nazi avant la relation d’amitié (dans l’action de se sauver la vie les uns des autres) avec cet officier… Cela reflète-t-il la réalité du sentiment commun de l’époque sur ce sujet et une certaine réalité ?

Le dilemme se trouve réglé violemment : des troupes alliées les attaquent à vue, sans sommation, car ils sont pris pour des Allemands comme ils montent une voiture allemande : c’est une ligne de tank en surnombre. Ils auraient pu être capturés sans difficulté. Mais les alliés américains, canadiens et autres détruisent et ensuite réfléchissent… Rien de nouveau sous le soleil.

Cette incurie de l’allié outre-Atlantique est encore manifesté plus tôt dans le film quand les alliés bombardent de si haut des lignes ennemies qu’ils manquent de se faire bombarder… J’ai l’impression d’entendre mon grand-père qui fut à Mont Cassino et où la moitié des pertes alliés au sol (essentiellement des Français, Britanniques ou Italiens) sont dues au bombardement des avions américains…

Seul Lino Ventura, qui s’était éloigné peu avant l’attaque surprise de la voiture, survit. Fondu et la dernière scène est sur les champs Élysées et le défilé de la victoire. Cette victoire et cette gloire dont les quatre, avant le drame, avait parlé.

Lino Ventura est dans l’assistance au milieu des autres qui crient hourra. Lui est interdit, l’air sombre, le chapeau sur le chef. Son voisin remarque son attitude et lui lance quelque chose comme « Alors tu ne te découvres pas ? Tu n’es pas patriote ? »

Dernière scène, zoom sur les yeux sombres de Lino Ventura. On comprend ce qu’il pense : « les Américains défilent avec les autres. Ceux-là sont ceux qui ont abattu mes amis ».

Tout cela raisonne beaucoup avec ce qui se passe en Algérie à ce moment, le putsch, l’ultimatum de de Gaulle, sa trahison qui détruit l’honneur du soldat et son sacrifice…

Un bon film donc

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Antoine Michel

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