Gouverner c’est prévoir
Ce petit dicton repris dans la bouche d’un chef énonce une vérité de la politique qu’il est bon de rappeler dans nos temps de court-termisme et de démocratie où tous les programmes pseudo-prévisionnels ne sont que des cache-misères du laxisme et de la manipulation qu’induisent le régime parlementaire et démocratique. La démocratie parlementaire nie en effet par principe l’autorité, et donc refuse de reconnaître de véritables chefs : nous avons ainsi à la place des tyrans qui sont d’autant plus virulents qu’ils savent leurs jours comptés, et d’autant plus inconstants que leur refusant une pleine autorité ils jouissent de ses fruits, soit un pouvoir étendu et contraignant comme jamais nos rois n’en ont eu dans le passé. La nature refuse de plus les fumisteries égalitaires et démocratiques : en pratique il y a des gens qui ont le pouvoir, car notre nature politique l’exige. Simplement, refusant de reconnaître cette nature politique, ces potentats ne s’assument pas comme chefs, et n’assument pas les responsabilités qui en découlent : ils ne savent qu’en abuser.
Gouverner c’est prévoir. Cet adage reste un fondement de toute pratique politique concrète, de tout exercice de la direction, que ce soit en entreprise, dans une paroisse, dans des associations, dans la famille. Que ce soit un père, un capitaine d’industrie, un président, ou tout autre chef d’un groupe d’hommes, le chef, pour être bon et œuvrer pour le bien commun doit prévoir.
Cela est si vrai qu’Aristote dans sa Politique constate l’existence de la hiérarchie parmi les hommes, et il explique que les « libres », c’est-à-dire les aristocrates, ou encore dans la société antique ceux qui dirigent et décident, le sont car ils ont la capacité de prévoir, et donc de gouverner. Et que cet exercice de la direction rend un service important à tous les dirigés (chez Aristote les esclaves) qui ne sont pas libres car ils n’ont justement pas cette capacité de prévoir.
« C’est la nature qui, par des vues de conservation, a créé certains êtres pour commander, et d’autres pour obéir. C’est elle qui a voulu que l’être doué de raison et de prévoyance commandât en maître ; de même encore que la nature a voulu que l’être capable par ses facultés corporelles d’exécuter des ordres, obéît en esclave ; et c’est par là que l’intérêt du maître et celui de l’esclave s’identifient. »1 (Aristote, Politique, Livre I)
Ne soyons pas ébroué par le mot d’esclave chez Aristote : il ne s’agit que de désigner ceux qui sont dirigés. Notre temps soi-disant « libre » est en pratique une population de citoyens où plus personne ne prévoit, et où plus personne ne dirige : nous sommes en pratique tous des esclaves selon la définition d’Aristote ! Sauf que nous ne savons même pas qui est notre maître, puisque le système nie l’existence du maître et du rapport hiérarchique, pourtant naturel…
Alors oui, si nous voulons être libre il nous faut être maître, et être maître signifie diriger, et pour diriger il faut prévoir, et pour prévoir il faut savoir et étudier, exercer la vertu de prudence et augmenter son expérience. C’est un long travail, et une éducation qui s’inculque aux enfants dès le plus jeune âge dans la famille.
En tant que légitimistes nous devons apprendre à prévoir, à diriger : et pour bien diriger et bien prévoir il faut aussi apprendre à obéir, car nous sommes toujours subordonnés de quelqu’un, et aussi pratiquement toujours le chef de quelqu’un à un certain titre et pour une certaine période. Au moins de soi-même, enfin il faut y travailler… Nous devons en effet être maître de soi-même et de ses passions.
Gouverner c’est prévoir.
Aristote définit comme naturel, c’est-à-dire de façon native et essentielle, le rapport hiérarchique de gouvernement qui définit l’exercice de la politique. Et il le définit par la prévoyance, qui permet de protéger le bien commun, car celui qui prévoit et use bien de ses subordonnés œuvre pour eux.
La sagesse biblique dit la même chose, sur un autre registre, de façon toute poétique :
« Un assemblage de charpente bien lié pour un édifice ne sera pas disjoint par un tremblement de terre : ainsi le cœur fixé dans un dessein mûrement réfléchi sera sans crainte au moment critique. Le cœur qui s’appuie sur une pensée de sagesse est comme l’enduit mêlé de sable sur un mur poli. Une palissade sur une hauteur ne tient pas contre le vent : ainsi un cœur timide avec ses folles résolutions ne résistera pas à la crainte. » (Eccl. 22, 14-16)
Elle ajoute même un élément important : c’est cette prévoyance qui permet au cœur, c’est-à-dire à la volonté, de se fixer dans son plan qui tend à une fin et ainsi d’être prêt à l’adversité.
Et si ce plan est appuyé sur « une pensée de sagesse », c’est-à-dire commandé par une fin bonne, vraie et juste, et ultimement par Dieu, alors il ne pourra être que parfait, comme le mur poli par un enduit : il est non seulement solide dans sa charpente, mais en plus fini.
En revanche le timide irrésolu qui manque de prévoyance ne pourra que céder à la crainte paralysante qui oublie la seule et bonne véritable crainte, celle de Dieu, qui nous tourne vers Lui, et ainsi apaise toutes nos autres craintes.
Apprenons à prévoir, et pour cela il faut étudier et connaître les bons principes, et ensuite les pratiquer sans chercher la perfection : qui ne fait rien n’obtient rien, et qui ne fait rien ne subit pas l’échec peut-être, mais il ne réussit pas non plus. L’échec est une gloire puisqu’elle est le fruit d’une pratique, et elle est une chance tant que l’on garde la raison de l’analyser et d’améliorer notre pratique, toujours à la lumière des bons principes.
La restauration passe aussi par la restauration de la politique fondamentale et pratique.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac
1 https://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/politique1.htm