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La mort volontaire est toujours un crime ! (suite)

La mort volontaire est toujours un crime, malgré toutes les apparences de respectabilité, voire de courage et de sacrifice, qu’elle puisse vouloir se donner. Saint Augustin, qui vivait dans un contexte gréco-romain païen imprégné par une mort volontaire légitimée et quasiment institutionnalisée – parfois mâtinée de « peine de mort », le suicide n’étant que la façon de « sauver la face » après une condamnation à mort, nous explique en détail pourquoi la mort volontaire est toujours mauvaise.

Il nous manifeste aussi une méthode argumentative tout à fait actuelle : analyser tout simplement les « topos » célèbrent d’un temps, qui parlent à tout le monde, pour mieux souligner en quoi ils sont erronés.

Suivons-le dans l’exemple de Caton :

« CHAPITRE XXIII. DE L’EXEMPLE DE CATON, QUI S’EST DONNÉ LA MORT POUR N’AVOIR PU SUPPORTER LA VICTOIRE DE CÉSAR.

Après l’exemple de Lucrèce, dont nous avons assez parlé plus haut, nos adversaires ont beaucoup de peine à trouver une autre autorité que celle de Caton, qui se donna la mort à Utique[77] : non qu’il soit le seul qui ait attenté sur lui-même, mais il semble que l’exemple d’un tel homme, dont les lumières et la vertu sont incontestées, justifie complètement ses imitateurs. Pour nous, que pouvons-nous dire de mieux sur l’action de Caton, sinon que ses propres amis, hommes éclairés tout autant que lui, s’efforcèrent de l’en dissuader, ce qui prouve bien qu’ils voyaient plus de faiblesse que de force d’âme dans cette résolution, et l’attribuaient moins à un principe d’honneur qui porte à éviter l’infamie qu’à un sentiment de pusillanimité qui rend le malheur insupportable. Au surplus, Caton lui-même s’est trahi par le conseil donné en mourant à son fils bien-aimé. Si en effet c’était une chose honteuse de vivre sous la domination de César, pourquoi le père conseille-t-il au fils de subir cette houle, en lui recommandant de tout espérer de la clémence du vainqueur ? Pourquoi ne pas l’obliger plutôt à périr avec lui ? Si Torquatus a mérité des éloges pour avoir fait mourir son fils, quoique vainqueur, parce qu’il avait combattu contre ses ordres[78], pourquoi Caton épargne-t-il son fils, comme lui vaincu, alors qu’il ne s’épargne pas lui-même ? Y avait-il plus de honte à être vainqueur en violant la discipline, qu’à reconnaître un vainqueur en subissant l’humiliation ? Ainsi donc Caton n’a point pensé qu’il fût honteux de vivre sous la loi de César triomphant, puisqu’autrement il se serait servi, pour sauver l’honneur de son fils, du même fer dont il perça sa poitrine. Mais la vérité est qu’autant il aima son fils, sur qui ses vœux et sa volonté appelaient la clémence de César, autant il envia à César (comme César l’a dit lui-même, à ce qu’on assure[79]), la gloire de lui pardonner ; et si ce ne fut pas de l’envie, disons, en termes plus doux, que ce fut de la honte. »

Le suicide ici fil de l’envie, de l’orgueil et de la fierté, et qui reste toujours incohérent puisque ses principes mouvants sont enracinés dans le vice !

L’exemple de Caton est d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’une grande figure « respectable » des auteurs romains, intouchables à son époque. Le chrétien vivant de la grâce, sans haine, sans chercher ni le scandale ni la provocation, ne prend pourtant pas de gants et va écorner justement même les icônes idolâtres de ces colosses et héros faits d’argile et de boue. Tout cela pour simplement mieux souligner combien même les plus grands hommes, sans Dieu, sont invariablement médiocres pour ne pas dire minables.

Saint Augustin continue, et après avoir souligné les contradictions et les erreurs de l’action de certains grands « héros » comme Caton ou Lucrèce, il va ensuite mettre en perspective vertu naturelle et vertus chrétiennes, surnaturelles. En prenant l’exemple de Régulus, qui refuse de se donner la mort et qui est loué pour cela, il souligne que le fond naturel de l’homme, qui veut la vertu, répugne à la mort volontaire, et « la loi naturelle » dicte bien à tous les hommes qu’elle est intrinsèquement mauvaise : la preuve en est la louange des vertus de Regulus malgré un monde païen légitimant la mort volontaire ! Et tout cela, si on le compare aux plus grands saints chrétiens, n’est rien que de bien petit : Régulus n’arrive pas à la cheville du saint Job… Voyons directement :

« CHAPITRE XXIV. LA VERTU DES CHRÉTIENS L’EMPORTE SUR CELLE DE RÉGULUS, SUPÉRIEURE ELLE-MÊME À CELLE DE CATON.

Nos adversaires ne veulent pas que nous préférions à Caton le saint homme Job, qui aima mieux souffrir dans sa chair les plus cruelles douleurs, que de s’en délivrer par la mort, sans parler des autres saints que l’Écriture, ce livre éminemment digne d’inspirer confiance et de faire autorité, nous montre résolus à supporter la captivité et la domination des ennemis plutôt que d’attenter à leurs jours. Eh bien ! prenons leurs propres livres, et nous y trouverons des motifs de préférer quelqu’un à Marcus Caton : c’est Marcus Régulus. Caton, en effet, n’avait jamais vaincu César ; vaincu par lui, il dédaigna de se soumettre et préféra se donner la mort. Régulus, au contraire, avait vaincu les Carthaginois. Général romain, il avait remporté, à la gloire de Rome, une de ces victoires qui, loin de contrister les bons citoyens, arrachent des louanges à l’ennemi lui-même. Vaincu à son tour, il aima mieux se résigner et rester captif que s’affranchir et devenir meurtrier de lui-même. Inébranlable dans sa patience à subir le joug de Carthage, et dans sa fidélité à aimer Rome, il ne consentit pas plus à dérober son corps vaincu aux ennemis, qu’à sa patrie son cœur invincible. S’il ne se donna pas la mort, ce ne fut point par amour pour la vie. La preuve, c’est que pour garder la foi de son serment, il n’hésita point à retourner à Carthage, plus irritée contre lui de son discours au Sénat romain que de ses victoires. Si donc un homme qui tenait si peu à la vie a mieux aimé périr dans les plus cruels tourments que se donner la mort, il fallait donc que le suicide fût à ses yeux un très-grand crime. Or, parmi les citoyens de Rome les plus vertueux et les plus dignes d’admiration, en peut-on citer un seul qui soit supérieur à Régulus ? Ni la prospérité ne put le corrompre, puisqu’après de si grandes victoires il resta pauvre[80] ; ni l’adversité ne put le briser, puisqu’en face de si terribles supplices il accourut intrépide. Ainsi donc, ces courageux et illustres personnages, mais qui n’ont après tout servi que leur patrie terrestre, ces religieux observateurs de la foi jurée, mais qui n’attestaient que de faux dieux, ces hommes qui pouvaient, au nom de la coutume et du droit de la guerre, frapper leurs ennemis vaincus, n’ont pas voulu, même vaincus par leurs ennemis, se frapper de leur propre main ; sans craindre la mort, ils ont préféré subir la domination du vainqueur que s’y soustraire par le suicide. Quelle leçon pour les chrétiens, adorateurs du vrai Dieu et amants de la céleste patrie ! avec quelle énergie ne doivent-ils pas repousser l’idée du suicide, quand la Providence divine, pour les éprouver ou les châtier, les soumet pour un temps au joug ennemi ! Qu’ils ne craignent point, dans cette humiliation passagère, d’être abandonnés par celui qui a voulu naître humble, bien qu’il s’appelle le Très-Haut ; et qu’ils se souviennent enfin qu’il n’y a plus pour eux de discipline militaire, ni de droit de la guerre qui les autorise ou leur commande la mort du vaincu. Si donc un vrai chrétien ne doit pas frapper même un ennemi qui a attenté ou qui est sur le point d’attenter contre lui, quelle peut donc être la source de cette détestable erreur que l’homme peut se tuer, soit parce qu’on a péché, soit de peur qu’on ne pèche à son détriment ? »

Saint Augustin continue en désamorçant tous les spécieux arguments diaboliques de ceux qui voudraient justifier la mort volontaire :

« CHAPITRE XXV. IL NE FAUT POINT ÉVITER UN PÉCHÉ PAR UN AUTRE.

Mais il est à craindre, dit-on, que soumis à un outrage brutal, le corps n’entraîne l’âme, par le vif aiguillon de la volupté, à donner au péché un coupable contentement ; et dès lors, le chrétien doit se tuer, non pour éviter le péché à autrui, mais pour s’en préserver lui-même. Je réponds que celui-là ne laissera point son âme céder à l’excitation d’une sensualité étrangère qui vit soumis à Dieu et à la divine sagesse, et non à la concupiscence de la chair. De plus, s’il est vrai et évident que c’est un crime détestable et digne de la damnation de se donner la mort, y a-t-il un homme assez insensé pour parler de la sorte : Péchons maintenant, de crainte que nous ne venions à pécher plus tard. Soyons homicides, de crainte d’être plus tard adultères. Quoi donc ! si l’iniquité est si grande qu’il n’y ait plus à choisir entre le crime et l’innocence, mais à opter entre deux crimes, ne vaut-il pas mieux préférer un adultère incertain et à venir à un homicide actuel et certain ; et le péché, qui peut être expié par la pénitence n’est-il point préférable à celui qui ne laisse aucune place au repentir ? Ceci soit dit pour ces fidèles qui se croient obligés à se donner la mort, non pour épargner un crime à leur prochain, mais de peur que la brutalité qu’ils subissent n’arrache à leur volonté un consentement criminel. Mais loin de moi, loin de toute âme chrétienne, qui, ayant mis sa confiance en Dieu, y trouve son appui, loin de nous tous cette crainte de céder à l’attrait honteux de la volupté de la chair ! Et si cet esprit de révolte sensuelle, qui reste attaché à nos membres, même aux approches de la mort, agit comme par sa loi propre en dehors de la loi de notre volonté, peut-il y avoir faute, quand la volonté refuse, puisqu’il n’y en a pas, quand elle est suspendue par le sommeil ? »

Cette profonde réflexion, universelle, porte des conséquences aussi sur notre action en général et pas seulement sur le sujet du suicide : nous ne sommes pas in fine responsables des péchés des autres et de leurs actions. Jamais un péché d’autrui ne peut justifier que nous péchions nous-même : et si raisonnablement parlant nous avons ce qui était en notre pouvoir pour corriger, ou reprendre, ou faire connaître la vérité, ou faire du bien à un pécheur sur le point de commettre le péché, mais qu’il ne se réforme pas et persévère dans son péché, cela peut nous attrister mais certainement pas nous inquiéter ni nous faire culpabiliser. A l’impossible nul n’est tenu, et nous ne sommes pas responsables du mal fait par les autres.

Répétons-le, ce point est important car souvent c’est la technique insidieuse qui est utilisée par tous les manipulateurs pour pousser les bons à pêcher, au moins par omission ou par lâcheté, parfois positivement, et sinon à les faire culpabiliser pour rien et ainsi détruire la tranquillité d’âme native à tout âme pleinement en état de grâce. Ne nous laissons pas avoir !

Saint Augustin va encore plus loin : il n’est pas un rhéteur polémiste versé dans l’éristique, il ne cherche pas à gagner pour gagner, il sert la vérité qui s’impose d’elle-même et il se soucie ainsi avant tout des âmes qu’il doit convaincre. Il n’évite ainsi aucune question difficile, et au contraire il les précède, comme dans le chapitre suivant sur la question des saints qui semblent se suicider :

« CHAPITRE XXVI. IL N’EST POINT PERMIS DE SUIVRE L’EXEMPLE DES SAINTS EN CERTAINS CAS OÙ LA FOI NOUS ASSURE QU’ILS ONT AGI PAR DES MOTIFS PARTICULIERS.

On objecte l’exemple de plusieurs saintes femmes qui, au temps de la persécution, pour soustraire leur pudeur à une brutale violence, se précipitèrent dans un fleuve où elles devaient infailliblement être entraînées et périr. L’Église catholique, dit-on, célèbre leur martyre avec une solennelle vénération[81]. Ici je dois me défendre tout jugement téméraire. L’Église a-t-elle obéi à une inspiration divine, manifestée par des signes certains, en honorant ainsi la mémoire de ces saintes femmes ? Je l’ignore ; mais cela peut être. Qui dira si ces vertueuses femmes, loin d’agir humainement, n’ont pas été divinement inspirées, et si, loin d’être égarées par le délire, elles n’ont pas exécuté un ordre d’en haut, comme fit Samson, dont il n’est pas permis de croire qu’il ait agi autrement[82] ? Lorsque Dieu parle et intime un commandement précis, qui oserait faire un crime de l’obéissance et accuser la piété de se montrer trop docile ? Ce n’est point à dire maintenant que le premier venu ait le droit d’immoler son fils à Dieu, sous prétexte d’imiter l’exemple d’Abraham. En effet, quand un soldat tue un homme pour obéir à l’autorité légitime, il n’est coupable d’homicide devant aucune loi civile ; au contraire, s’il n’obéit pas, il est coupable de désertion et de révolte[83]. Supposez, au contraire, qu’il eût agi de son autorité privée, il eût été responsable du sang versé ; de sorte que, pour une même action, ce soldat est justement puni, soit quand il la fait sans ordre, soit quand ayant ordre de la faire, il ne la fait pas. Or, si l’ordre d’un général a une si grande autorité, que dire d’un commandement du Créateur ? Ainsi donc, permis à celui qui sait qu’il est défendu d’attenter sur soi-même, de se tuer, si c’est pour obéir à celui dont il n’est pas permis de mépriser les ordres ; mais qu’il prenne garde que l’ordre ne soit pas douteux. Nous ne pénétrons, nous, dans les secrets de la conscience d’autrui que par ce qui est confié à notre oreille, et nous ne prétendons pas au jugement des choses cachées : « Nul ne sait ce qui se passe dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui[84] ». Ce que nous disons, ce que nous affirmons, ce que nous approuvons en toutes manières, c’est que personne n’a le droit de se donner la mort, ni pour éviter les misères du temps, car il risque de tomber dans celles de l’éternité, ni à cause des péchés d’autrui, car, pour éviter un péché qui ne le souillait pas, il commence par se charger lui-même d’un péché qui lui est propre, ni pour ses péchés passés, car, s’il a péché, il a d’autant plus besoin de vivre pour faire pénitence, ni enfin, par le désir d’une vie meilleure, car il n’y a point de vie meilleure pour ceux qui sont coupables de leur mort. »

Pédagogie est avant tout répétition : et saint Augustin martèle encore et encore. Véritable Père de l’Église, saint Augustin n’est ni fidéiste ni rationaliste : il met chaque chose à sa place, et nous montre dans le chapitre précédent combien il faut se garder de notre terrible fond arrogant qui veut tout savoir, et qu’il ne faut pas chercher à tout comprendre, en particulier quand cela dépasse visiblement et évidemment nos capacités naturelles. On peut contempler des mystères, s’en laisser imprégner, saisir leur cohérence, mais certainement les comprendre au sens propre : comment une minuscule main d’enfant pourrait-elle saisir l’univers vaste et immense qui nous dépasse ?

Saint Augustin continue et va jusqu’au bout des objections potentielles :

« CHAPITRE XXVII. SI LA MORT VOLONTAIRE EST DÉSIRABLE COMME UN REFUGE CONTRE LE PÉCHÉ.

Reste un dernier motif dont j’ai déjà parlé, et qui consiste à fonder le droit de se donner la mort sur la crainte qu’on éprouve d’être entraîné au péché par les caresses de la volupté ou par les tortures de la douleur. Admettez ce motif comme légitime, vous serez conduits par le progrès du raisonnement à conseiller aux hommes de se donner la mort au moment où, purifiés par l’eau régénératrice du baptême, ils ont reçu la rémission de tous leurs péchés. Le vrai moment, en effet, de se mettre à couvert des péchés futurs, c’est quand tous les anciens sont effacés. Or, si la mort volontaire est légitime, pourquoi ne pas choisir ce moment de préférence ? quel motif peut retenir un nouveau baptisé ? pourquoi exposerait-il encore son âme purifiée à tous les périls de la vie, quand il lui est si facile d’y échapper, selon ce précepte : « Celui qui aime le péril y tombera[85] ? » pourquoi aimer tant et de si grands périls, ou, si on ne les aime pas, pourquoi s’y exposer en conservant une vie dont on a le droit de s’affranchir ? est-il possible d’avoir le cœur assez pervers et l’esprit assez aveuglé pour se créer ces deux obligations contradictoires : l’une, de se donner la mort, de peur que la domination d’un maître ne nous fasse tomber dans le péché ; l’autre, de vivre, afin de supporter une existence pleine à chaque heure de tentations, de ces mêmes tentations que l’on aurait à craindre sous la domination d’un maître, et de mille autres qui sont inséparables de notre condition mortelle ? à ce compte, pourquoi perdrions-nous notre temps à enflammer le zèle des nouveaux baptisés par de vives exhortations, à leur inspirer l’amour de la pureté virginale, de la continence dans le veuvage, de la fidélité au lit conjugal, quand nous avons à leur indiquer un moyen de salut beaucoup plus sûr et à l’abri de tout péril, c’est de se donner la mort aussitôt après la rémission de leurs péchés, afin de paraître ainsi plus sains et plus purs devant Dieu ? Or, s’il y a quelqu’un qui s’avise de donner un pareil conseil, je ne dirai pas : Il déraisonne ; je dirai : Il est fou. Comment donc serait-il permis de tenir à un homme le langage que voici : « Tuez-vous, de crainte que, vivant sous la domination d’un maître impudique, vous n’ajoutiez à vos fautes vénielles quelque plus grand péché », si c’est évidemment un crime abominable de lui dire : « Tuez-vous, et aussitôt après l’absolution de vos péchés, de crainte que vous ne veniez par la suite à en commettre d’autres et de plus grands, vivant dans un monde plein de voluptés attrayantes, de cruautés furieuses, d’illusions et de terreurs ». Puisqu’un tel langage serait criminel, c’est donc aussi une chose criminelle de se tuer. On ne saurait, en effet, invoquer aucun motif qui fût plus légitime ; celui-là ne l’étant pas, nul ne saurait l’être. »

Saint Augustin parle à des hommes pétris des évidences de la Foi : nous pourrions ajouter à l’esprit rationalisant du contemporain quelques arguments supplémentaires pour faire comprendre combien tuer un nouveau baptisé pour soi-disant lui épargner tout péché est fou.

C’est un blasphème contre Dieu qui manifeste clairement la défiance contre le Dieu tout puissant et tout miséricordieux de donner tout ce qu’il faut au nouveau saint.

C’est un péché mortel qui entraîne l’âme en enfer et ne lui assure en aucun cas la rédemption, dans le cas du suicide.

C’est aussi une insulte au plan divin, même dans le cas du meurtre d’autrui, et une négation pratique de la Croix : car vouloir soi-disant empêcher les tribulations c’est nier la nécessité de la Croix, et donc de ce que nous manifeste le plus Jésus-Christ quand il nous invite à la suivre. Se donner la mort ou donner la mort c’est refuser de prendre sa croix et de suivre Jésus ! C’est de plus d’une méchanceté incroyable car tuer autrui soi-disant pour lui éviter la souffrance c’est surtout lui dérober les mérites célestes, sa possibilité de faire du bien, et donc de faire charité en suivant le Christ, et indirectement c’est la preuve d’un orgueil immense qui veut plutôt justifier ses insuffisances personnelles dans la vie chrétienne en empêchant autrui de devenir un saint en le supprimant… Ne voulant pas voir pourquoi il ne se convertit pas assez, le faux bon mais vrai méchant va décider que personne ne peut résister aux tribulations !

Cela fait froid dans le dos.

Revenons à saint Augustin : il lie la question de la mort volontaire à la question du martyre des vierges chrétiennes, car cela posait visiblement certaines questions parmi les chrétiens. Il conclut ce long passage sur la mort volontaire sur le morceau suivant, d’un esprit très chrétien que l’on aimerait bien qu’il soit retrouvé et répandu aujourd’hui aussi :

« CHAPITRE XXVIII. POURQUOI DIEU A PERMIS QUE LES BARBARES AIENT ATTENTÉ À LA PUDEUR DES FEMMES CHRÉTIENNES.

Ainsi donc, fidèles servantes de Jésus-Christ, que la vie ne vous soit point à charge parce que les ennemis se sont fait un jeu de votre chasteté. Vous avez une grande et solide consolation, si votre conscience vous rend ce témoignage que vous n’avez point consenti au péché qui a été permis contre vous. Demanderez-vous pourquoi il a été permis ? qu’il vous suffise de savoir que la Providence, qui a créé le monde et qui le gouverne, est profonde en ses conseils ; « impénétrables sont ses jugements et insondables ses voies[86] ». Toutefois descendez au fond de votre conscience, et demandez-vous sincèrement si ces dons de pureté, de continence, de chasteté n’ont pas enflé votre orgueil, si, trop charmées par les louanges des hommes, vous n’avez point envié à quelques-unes de vos compagnes ces mêmes vertus. Je n’accuse point, ne sachant rien, et je ne puis entendre la réponse de votre conscience ; mais si elle est telle que je le crains, ne vous étonnez plus d’avoir perdu ce qui vous faisait espérer les empressements des hommes, et d’avoir conservé ce qui échappe à leurs regards. Si vous n’avez pas consenti au mal, c’est qu’un secours d’en haut est venu fortifier la grâce divine que vous alliez perdre, et l’opprobre subi devant les hommes a remplacé pour vous cette gloire humaine que vous risquiez de trop aimer. Âmes timides, soyez deux fois consolées ; d’un côté, une épreuve, de l’autre, un châtiment ; une épreuve qui vous justifie, un châtiment qui vous corrige. Quant à celles d’entre vous dont la conscience ne leur reproche pas de s’être enorgueillies de posséder la pureté des vierges, la continence des veuves, la chasteté des épouses, qui, le cœur plein d’humilité[87], se sont réjouies avec crainte de posséder le don de Dieu[88], sans porter aucune envie à leurs émules en sainteté, qui dédaignant enfin l’estime des hommes, d’autant plus grande pour l’ordinaire que la vertu qui les obtient est plus rare, ont souhaité l’accroissement du nombre des saintes âmes plutôt que sa diminution qui les eût fait paraître davantage ; quant à celles-là, qu’elles ne se plaignent pas d’avoir souffert la brutalité des barbares, qu’elles n’accusent point Dieu de l’avoir permise, qu’elles ne doutent point de sa providence, qui laisse faire ce que nul ne commet impunément. Il est en effet certains penchants mauvais qui pèsent secrètement sur l’âme, et auxquels la justice de Dieu lâche les rênes à un certain jour pour en réserver la punition au dernier jugement. Or, qui sait si ces saintes femmes, dont la conscience est pure de tout orgueil et qui ont eu à subir dans leur corps la violence des barbares, qui sait si elles ne nourrissaient pas quelque secrète faiblesse, qui pouvait dégénérer en faste ou en superbe, au cas où, dans le désordre universel, cette humiliation leur eût été épargnée ? De même que plusieurs ont été emportés par la mort, afin que l’esprit du mal ne pervertît pas leur volonté[89], ces femmes ont perdu l’honneur par la violence, afin que la prospérité ne pervertît pas leur modestie. Ainsi donc, ni celles qui étaient trop fières de leur pureté, ni celles que le malheur seul a préservées de l’orgueil, n’ont perdu la chasteté ; seulement elles ont gagné l’humilité ; celles-là ont été guéries d’un mal présent, celles-ci préservées d’un mal à venir.

Ajoutons enfin que, parmi ces victimes de la violence des barbares, plus d’une peut-être s’était imaginée que la continence est un bien corporel que l’on conserve tant que le corps n’est pas souillé, tandis qu’elle est un bien du corps et de l’âme tout ensemble, lequel réside dans la force de la volonté, soutenue par la grâce divine, et ne peut se perdre contre le gré de son possesseur. Les voilà maintenant délivrées de ce faux préjugé ; et quand leur conscience les assure du zèle dont elles ont servi Dieu, quand leur solide foi les persuade que ce Dieu ne peut abandonner qui le sert et l’invoque de tout son cœur, sachant du reste, de science certaine, combien la chasteté lui est agréable, elles doivent nécessairement conclure qu’il n’eût jamais permis l’outrage souffert par des âmes saintes, si cet outrage eût pu leur ravir le don qu’il leur a fait lui-même et qui les lui rend aimables, la sainteté. »

Alors, la mort volontaire jamais !

Si Dieu veut, nous prendrons l’exemple des « suicides » rituels japonais pour montrer combien saint Augustin n’a pas pris une ride (puisqu’il ne fait que parler de la vérité du Christ) et combien la vacuité de l’homme déchu est sans fond.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

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