La correction fraternelle : une charité nécessaire et délicate
Les temps modernes oscillent entre une naïveté mielleuse déconcertante, suintant le « bisounours» et le « tout-le-monde-il-est-gentil », et « en même temps » une violence crue, noire, barbare et terrible, tant physique que psychologique et morale.
Ces tendances paganisantes reflètent l’incapacité de la nature déchue, sans la Grâce, de faire mieux qu’une fausse paix superficielle, une harmonie vide et de façade et qu’une véritable impunité du désordre et de la loi du plus fort.
La grâce de Notre Seigneur vient ici tout réparer, et tout restaurer dans la vie divine, en apportant en particulier la charité, sorte de point d’orgue de toutes les charités tant cardinales que théologales. « Sans la charité tout est vain » comme disait saint Paul.
Cette charité n’est pas un amour doucereux et idiot, cette charité n’est pas un laxisme lénifiant ni une berceuse odieuse qui endort et rend bête comme chou. C’est au contraire la charité de la Croix, la charité du Précieux Sang de Notre-Seigneur qui se déverse sur nous par la plaie qu’il daigne nous ouvrir sur Son côté, afin de nous donner sa vie de la grâce par son Eglise et ses sacrements ! C’est la charité de la colère juste de Jésus qui chasse les marchands du temple, qui aime la gloire de son Père et qui ne peut supporter de voir ces hommes se dévoyer dans des actions si indignes de leur raison d’être, de cette mission donnée par Dieu dans la Création des hommes, qui est d’imiter Dieu et de revenir à Lui, pour partager sa félicité éternelle.
Cette charité est celle des martyrs qui versent leur sang pour l’amour de Jésus. Cette charité est celle des saints inquisiteurs qui protègent le bien commun de la Foi et se préoccupent en même temps de la conversion des âmes des hérétiques au plus haut point. Cette charité est une douceur extrême qui n’est pas molle mais forte, forte de la justice divine, qui n’existe que dans cette justice. Cette charité se manifeste même par la punition des méchants et par l’enfer, qui acte comment le refus par les êtres libres de l’amour de Dieu conduit au désastre, et combien la miséricorde et la charité ne signifient jamais l’injustice.
Cette charité, enfin, c’est l’amour du prochain pour l’amour de Dieu, du chrétien qui ne peut pas supporter de voir son ami se fourvoyer et s’engager dans la voie de la damnation.
Tout cela est manifestée dans le Nouveau Testament, mais se trouve déjà dans l’Ancien, montrant combien il est limpide que le même Dieu a préparé la venue du Christ pour notre Salut depuis les débuts des temps, en communiquant la Vérité, souvent sous un voile.
Prenons le passage de l’Ecclésiastique suivant qui illustre cette correction fraternelle :
« Reprends ton ami, de peur qu’il n’ait pas compris, et qu’il ne dise : Je n’ai pas fait cela ; ou, s’il l’a fait, afin qu’il ne recommence pas. Reprends ton prochain, qui peut-être n’a rien dit, afin que, s’il a parlé, il ne recommence pas. Reprends ton ami, car on fait souvent de faux rapports ; et ne crois pas tout ce qui se dit. Tel pèche par la langue, mais non de cœur ; car quel est celui qui ne pèche point par sa langue ? Reprends ton prochain avant de le menacer, et donne lieu à la crainte du Très-Haut ; car toute sagesse consiste dans la crainte de Dieu ; c’est-elle qui apprend à craindre Dieu, et en toute sagesse est l’obéissance à la loi » (Ecclésiastique, 19, 13-18)
La correction fraternelle est un devoir, même s’il est désagréable souvent, et qu’il nécessite une grande douceur. Il faut pourtant le faire « de peur qu’il n’ait pas compris » : ce petit morceau de verset vient dénoncer toute la modernité politique, ainsi que la modernité ecclésiale. Il n’y a rien de pire que de laisser quelqu’un dans l’erreur, même involontaire, ou pas complétement volontaire, car ses erreurs et ses péchés auront leur conséquence et ne changeront pas le terme. Il faut au contraire permettre à l’ignorant de savoir, et de poser pleinement un acte qui ira dans le respect de la loi divine, pour son salut, ou, hélas, contre la loi divine, pour son malheur. Mais cela n’est pas de notre responsabilité, car perdu dans les limbes de l’ignorance, il reste du côté ennemi.
Il faut reprendre nos amis, car nous voulons le meilleur pour eux, et ne pas reprendre c’est interdire à nos amis de bonne volonté de progresser dans les vertus. La sagesse biblique va même plus loin : on peut questionner son ami, le reprendre même si on n’est pas sûr, pour s’assurer que tout va bien, et tout en sachant que l’homme est calomniateur. Il ne faut pas trop y croire, mais une douce réprimande infondée ne peut pas blesser l’ami qui se sait innocent – dans le cas bien sûr où la prudence permet de juger que la probabilité de cette parole pourrait être vraisemblablement fondée. Parfois encore il vaut mieux retenir sa langue avant de parler, il ne s’agit pas de parler à tout bout de champs !
La même sagesse biblique nous prévient d’ailleurs de nous garder d’une trop grande naïveté face à l’homme pécheur ; il faut écouter certes mais pas tout croire :
« Celui qui croit trop vite est un cœur léger, et celui qui tombe dans cette faute pèche contre son âme. Celui qui prend plaisir à de sots discours sera condamné, et celui qui hait le bavardage se préserve du mal. Ne répète jamais une parole, et tu n’encourras aucun dommage. Ne la redis ni à un ami ni à un ennemi, et, à moins qu’il n’y ait faute pour toi, ne la révèle pas. Car, s’il t’entend, il se gardera de toi, et, le moment venu, il se montrera ton ennemi. » (Ecclésiastique, 19, 4-9)
La correction fraternelle présuppose ainsi l’enracinement dans la charité et le désir du bien d’autrui. Toute parole n’est pas bonne ; mieux, toute vérité n’est pas bonne à entendre non plus, si elle n’est pas véritablement charitable.
La justice sans charité comme la parole dure sans douceur ni bonté travaillent à notre perte et au désordre, et non pas au bien ! Encore un enseignement que les grincheux contemporains, qui parfois se disent catholiques, oublient allégrement.
Voici ce que nous dit la sagesse biblique encore :
« Il y a une réprimande qui n’est pas opportune, et tel se tait qui fait preuve de prudence. Mieux vaut reprendre que de brûler d’une colère contenue ; et celui qui avoue sera préservé de dommage. Comme l’eunuque qui désire déflorer une jeune fille, ainsi est celui qui rend la justice avec violence. Qu’il est beau, quand on est repris, de témoigner du repentir !
C’est ainsi que tu échapperas au péché volontaire.
Tel en se taisant se montre sage, et tel se rend odieux par son intempérance de langage. Tel se tait parce qu’il n’a rien à répondre ; tel autre se tait parce qu’il connaît le temps propice. Le sage se tait jusqu’au moment favorable, mais le fanfaron et l’inconsidéré passent par-dessus. Celui qui multiplie les paroles sera détesté, et celui qui se donne pleine licence se rendra odieux. » (Ecclésiastique, 20, 1-7, trad. Crampon – autre trad Fillon)
Pourquoi lire autre chose que la Bible et écouter autre chose que la Tradition ? Dieu parlant aux hommes, il n’y a rien de mieux qui peut se faire !
Nous avons ici, entre autres, trois enseignements lapidaires et capitaux.
« Comme l’eunuque qui désire déflorer une jeune fille, ainsi est celui qui rend la justice avec violence. »
Il faut certes rendre la justice, mais avec douceur. Car rendre la justice avec violence c’est être comme un eunuque qui veut violer une vierge : c’est un crime d’une part, et de plus c’est physiquement impossible. Que cela veut-il dire ? Que, in fine, seul Dieu puisse véritablement rendre la justice, d’une part, et que nous sommes sur ce plan d’éternels eunuques, et que sans la douceur évangélique et la charité christique notre justice humaine est toujours stérile, et, de plus, criminel. Au fond elle ne veut qu’assouvir la colère humaine ou d’autres passions, et faire passer une impunité du désordre pour un ordre juste…
Pour revenir aux réprimandes, nous avons ici le résumé de ce que nous devons faire. Soyons heureux d’être corrigé, d’être repris, pour s’amender ! Chaque réprimande est une occasion immense, un cadeau, car elle n’est pas encore une punition : nous pouvons ainsi nous amender sans encore subir le châtiment.
Et si nous ne voulons pas comprendre le châtiment arrivera tôt ou tard… D’où la gradation de la correction fraternelle : réprimande privée, réprimande publique, puis menace par l’autorité compétente jusqu’à la punition s’il le faut… Tout cette économie chrétienne est déjà résumée et présente dans la sagesse de l’Ancien Testament.
Enfin, la correction fraternelle ne doit pas nous faire croire qu’il faille parler à tout bout de champ, tout croire et que cela nous dispense d’un discernement prudent car « Le sage se tait jusqu’au moment favorable, mais le fanfaron et l’inconsidéré passent par-dessus. »
Et encore, un peu plus loin la sagesse biblique nous exhorte de cette maxime que nous ferions mieux de retenir : « On n’accepte pas une maxime des lèvres d’un sot ; car il ne la dit pas dans le temps qui lui convient. »
Notre sagesse que notre position d’autorité changent tout en la matière.
Dans tous les cas aimons vraiment nos amis, et nos prochains, ce qui nécessitent parfois une correction fraternelle bien comprise, ni violente, ni dure, toujours douce et charitable, ce qui signifie juste et ferme.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac