HistoirePoints de vue

[Considérations sur la France-9] Chap.VIII « Digression sur le roi et sur sa déclaration aux Français du mois de juillet 1795. »

[Au fil des classiques Série Joseph de Maistre – 11]

Paul de Beaulias– Au fil des classiques

Série Joseph de Maistre

Maistre, Joseph de (1753-1821). Œuvres complètes de J. de Maistre (Nouvelle édition contenant  les œuvres posthumes et toute sa correspondance inédite). 1884-1886

Articles précédents: 

1-Joseph de Maistre, une figure traditionnelle prise dans les tourments de l’époque

2- Joseph de Maistre vu par son fils 

3- Introduction et chapitre I « Des révolutions » [Considérations sur la France-1]

4- Chapitre II « Conjectures sur les voies de la Providence dans la révolution française »[Considérations sur la France-2]

5-  Chapitre III « De la destruction violente de l’espèce humaine. »[Considérations sur la France-3]

6- Chap.IV « La république française peut-elle durer ? » [Considérations sur la France-4]

7- Chap. V « De la révolution française considérée dans son caractère antireligieux.— Digression sur le christianisme. » [Considérations sur la France-5]

8- Chap.VI « De l’influence divine dans les constitutions politiques. » [Considérations sur la France-6]

9- Chap.VII « Signes de nullité dans le Gouvernement français. » [Considérations sur la France-7]

10- Chap.VIII « De l’ancienne constitution française. » (première partie) [Considérations sur la France-8]

  • Chap.VIII « Digression sur le roi et sur sa déclaration aux Français du mois de juillet 1795. »

Joseph de Maistre aborde ensuite un sujet capital dans la seconde partie de son chapitre VIII : le discours du Roi Louis XVIII lors de son avènement après la mort de Louis XVII. Ce discours peu connu met en lumière la haute conscience dynastique de la famille de France ainsi que la conscience de tout ce que le Roi lieutenant de Dieu sur Terre représente pour la France. Si la France existe encore aujourd’hui c’est bien grâce à la force incommensurable de la royauté française, d’essence divine, que même la plus terrible révolution ne peut pas renverser grâce à une constitution solide, invincible à travers ses lois de successions qui ne laissent pas la place au doute, ni à l’esprit partisan. Le Roi est une incarnation si claire que personne ne peut la contester, la révolution peut juste nier la souveraineté en soi, comme Dieu en soi, mais ne peut l’affronter sur le terrain de la légitimité tellement elle est pure.

Cela dit Joseph de Maistre prévient très justement les Français et les exhorte à sortir de l’esprit mesquin d’influence diabolique qui a conduit la France, pourtant si grande, dans les plus grands bas-fonds en voulant ignorer sa mission qu’elle porte dans l’incarnation de son Roi Très Chrétien fils aîné de l’Église et lieutenant de Dieu sur terre :

 «Mais si les Français sont faits pour la monarchie, et s’il s’agit seulement d’asseoir la monarchie sur ses véritables bases, quelle erreur, quelle fatalité, quelle prévention funeste pourrait les éloigner de leur roi légitime?

La succession héréditaire, dans une monarchie, est quelque chose de si précieux, que toute autre considération doit plier devant celle-là, Le plus grand crime que puisse commettre un Français royaliste, c’est de voir dans Louis XVIII autre chose que son roi, et de diminuer la faveur dont il importe de l’entourer, en discutant d’une manière défavorable les qualités de l’homme ou ses actions. Il serait bien vil et bien coupable, le Français qui ne rougirait pas de remonter aux temps passés pour y chercher des torts vrais ou faux! L’accession au trône est une nouvelle naissance : on ne compte que de ce moment.  »[1]

L’exhortation doit être répétée et répétée encore et inlassablement pour secouer tous ces français qui se disent « traditionnels, « conservateurs » ou que sais-je, mais qui passent leur temps à critiquer mesquinement la personne pourtant si sacrée qu’elle devrait naturellement appeler à la modestie par l’aura qu’elle dégage et à qui ils doivent ainsi non pas un simple respect, mais une révérence et une vénération toute particulière ! Il ne s’agit pas de servilité, mais de service fidèle comme bon sujet prêt à se sacrifier, et qui préfère les œuvres aux paroles, si faciles à dire, si inutiles en général, et souvent si néfastes en insinuant mesquinerie, envie et blessures. La parole est importante, donc elle doit être rare et mesurée. Le sujet fidèle peut remontrer  son Seigneur (c’est-à-dire l’avertir très respectueusement de l’erreur commise et le prier humblement de réparer l’erreur ou de ne pas la commettre), mais cela demande d’abord une certitude de la fidélité absolue qui se traduit en actes et en sacrifices pour son seigneur, à tel point que toute remontrance, si rare et si humble qu’elle ne peut jamais se confondre avec une rébellion ou une menace de défection, et qui en pratique ne se traduit que par plus de fidélité encore allant jusqu’au sacrifice de sa vie s’il le faut, sans sacrifier d’autres vies que la sienne, dans le plus grand des secrets, pour convaincre son père le Roi, qui devant ce sacrifice gratuit et sans intention autre que la justice, ne peut que prendre conscience de l’erreur.

La règle habituelle n’est du moins pas la remontrance, mais bien la fidélité, qui doit être franche et dire les choses, tout en restant toujours dans une respectueuse attitude, une modestie contrite et une crainte saine qui naît devant ce qui nous dépasse.

L’exhortation de Joseph de Maistre s’applique aussi face au Pape qui subit aujourd’hui le même sort par des gens qui se disent fidèles au Pape, mais qui le critiquent mesquinement dès qu’ils peuvent au point qu’on se demande s’ils ne sont pas en train de virer sédévacantistes. Peu importe ce que l’on pense, l’Église comme la Royauté n’est pas une démocratie. Notre rôle, à notre place plus ou moins humble, n’est que de servir d’une fidélité pure, d’œuvrer et d’agir, de prier et faire confiance à la providence, et de prier beaucoup et d’agir bonnement pour le Roi et pour le Pape, en tant que sujet et fidèle, sans se préoccuper trop des affaires politiques qui ne nous concernent pas. Et quand des injustices se font sentir, il ne s’agit pas de se rebeller, ni de « râler », ce qui est encore pire, mais de redoubler de fidélité et de sacrifices pour nos bons Rois et Papes élus par la grâce de Dieu !

Joseph de Maistre tente ainsi de contrer les critiques face au discours du Roi de tous ceux qui devraient simplement se réjouir d’avoir une nouveau Roi. En tant qu’étranger, il redouble de persuasion pour convaincre les Français de revenir à des sentiments plus entiers et simples, en usant parfois d’arguments tentants dans ce genre de débat qui prend des couleurs éristiques, mais quelque peu progressiste en sous-entendant que « l’on pourrait en changer » derrière une intention traditionnaliste de dire que « le temps montre la légitimité ».

 « Les Français n’ont-ils pas essayé assez longtemps le sang des Capets? Ils savent par une expérience de huit siècles que ce sang est doux; pourquoi changer ? »[2]

Il faut néanmoins rappeler que la légitimité est légitime, donc le « changement » n’est pas possible : au mieux on nie la réalité de notre constitution et cela donne révolution et troubles, mais cela ne change rien au fait que le Roi est Roi.

En fait, les critiques visent dans le discours du Roi justement la clarté des principes de toujours sans céder au terrible esprit du temps qui touche tous les esprits – y compris Joseph de Maistre[3]– et en rappelant simplement les principes sûrs et clairs de la constitution du royaume de France :

 « Dans le doute, il a bien fait de s’en tenir aux principes, et de ne choquer que les passions et les préjugés, en disant que la constitution française serait pour lui l’arche d’alliance. »[4]

Voici en substance ce que le bon roi Louis XVIII affirme sur la constitution :

 « « Je ne puis vous rendre heureux ; je ne dois régner que par la constitution : je ne toucherai point à l’arche du Seigneur ; j’attends que vous ayez conçu cette vérité si simple, si évidente, et que vous vous obstinez cependant à repousser ; c’est- à-dire, qu’avec la même constitution, je puis vous donner un régime tout différent. » »

Nous retrouvons là ce que nous avons déjà dit plus haut : la constitution de la France ne change jamais, mais le régime peut changer tant qu’elle reste fidèle à la constitution. La révolution parle beaucoup de régime, mais au fond elle fait le tour de passe-passe d’évacuer la souveraineté en faisant croire que le système, le régime, la charte qu’ils appellent constitution est tout et peut tout, ce qui est bien entendu très faux. La constitution du royaume de France est fixe, et en particulier dans le Roi très-Chrétien, son caractère sacré et sa fonction de lieutenant de Dieu sur terre avec l’union du trône et de l’autel, mais cela ne dit rien sur le système précis qui peut s’adapter aux temps : il est vrai que des siècles de coutumes avaient fixé si fortement certaines institutions que trop avait peut-être tendance à confondre régime et constitution, en croyant à tort que changer les formes allait changer l’esprit, en oubliant ainsi l’esprit, et en fin de compte ces blocages sur des formes fournirent aussi des encouragements à une révolution violente qui tomba aussi dans cette démesure, dans cette croyance que changer les formes pouvait changer la constitution, et même, comble de bêtise, que la constitution pouvait s’inventer sur un bout de papier à partir d’une feuille blanche. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il faille accepter parlementarisme et les intentions subversives révolutionnaires, mais qu’il pouvait tout à fait être possible d’user de plus de représentation localement et même au niveau du royaume pour mieux conseiller le roi sans forcément passer d’ailleurs par les états généraux dont on avait oublié la pratique et l’esprit par de longues décennies, de siècles même, d’interruption.

Aujourd’hui que presque plus rien ne reste des formes de l’ancienne France, nous avons au moins la chance dans de nombreux malheurs de savoir que la constitution n’a tout de même pas changé et que la restauration est possible tant que l’incarnation royale est là, et les principes constitutionnels clairement connus en conscience. Le Roi Louis XVIII savait au fond tout cela dans son époque si tourmentée, mais les esprits, pris dans la spirale révolutionnaire, avaient du mal à ne pas tomber dans les extrémités manichéennes du tout blanc ou du tout noir.

Joseph de Maistre rétablit ensuite les peurs imbéciles mais si paralysantes que les mauvais esprits tentent d’insinuer dans les coeurs, en agitant le spectre d’une sorte d’épuration et de vengeance. C’est bien des élucubrations révolutionnaires qui projettent ce qu’ils sont et ce qu’ils font sur la Royauté, ne pouvant au fond la concevoir, tout en méconnaissant le caractère intrinsèquement mesuré, doux et clément de la royauté, tout en faisant justice, mais avec parcimonie et de façon exemplaire, tout en pardonnant beaucoup – ce que prouvera d’ailleurs la suite avec la restauration de 1815 malgré encore plus de tourments et de raisons de rancunes :

 « Le roi laissera tomber le glaive de la justice sur quelques parricides ; il punira par des humiliations quelques nobles qui ont déplu : eh ! que t’importe à toi, bon laboureur, artisan laborieux, citoyen paisible, qui que tu sois, à qui le ciel a donné l’obscurité et le bonheur? Songe donc que tu formes, avec tes semblables, presque toute la nation ; et que le peuple entier ne souffre tous les maux de l’anarchie que parce qu’une poignée de misérables lui fait peur de son roi dont elle a peur. »[5]

Il cite ensuite des évidences, sur ton presque ironique, en rappelant que craindre la restauration est un peu « fort de café » après les affres révolutionnaires, on croirait entendre nos imprécations médiatiques si ridicules que personne ne peut plus y croire :

 « Ses maîtres sont allés jusqu’à le foudroyer en se moquant de lui. Ils lui ont dit : Vous croyez ne pas vouloir cette loi, mais soyez sûrs que vous la voulez. Si vous osez la refuser, nous tirerons sur vous à mitraille pour vous punir de ne vouloir pas ce que vous voulez.— Et ils l’ont fait.»[6]

Il ajoute ensuite une vérité qui pèse encore sur tous les esprits français, en décrivant ce cercle vicieux, dont il faut sortir, où les bons qui se turent et ne firent rien subissent comme une sorte de blessure morale qui les paralysent si souvent, triste spectacle qui raconte l’origine de cet esprit malsain qui nous poursuit encore aujourd’hui du mépris de soi-même et se traduit par la repentance par exemple, tout en excitant le mauvais esprit de ces mesquins et petits qui se complurent dans la fange révolutionnaire :

 « Il n’y a pas d’homme d’esprit en France qui ne se méprise plus ou moins. L’ignominie nationale pèse sur tous les cœurs (car jamais peuple ne fut méprisé par des maîtres plus méprisables) ; on a donc besoin de se consoler, et les bons citoyens le font à leur manière. Mais l’homme vil et corrompu, étranger à toutes les idées élevées, se venge de son abjection passée et présente, en contemplant avec cette volupté ineffable qui n’est connue que de la bassesse, le spectacle de la grandeur humiliée. »[7]

Cette constatation résonne à l’âme et saisit le cœur : pour se sortir de cette situation, il suffit de retrouver une énergie joyeuse et pleine d’espérance qui se traduit dans les actes et les œuvres : ainsi quoiqu’il arrive, il suffit d’agir royalement et christiquement, au prix du martyr s’il faut. En bref, seul le courage peut sortir de ce cercle vicieux : au lieu de se mépriser pour avoir été lâche, soyons dorénavant courageux et vaillant !

Et Joseph de Maistre conclut en exhortant encore les Français à sortir de cette peur entretenue et ridicule, en mettant en avant le fait qu’il n’a lui-même aucun intérêt à dire ces choses pour lui-même, vu qu’il est étranger :

 « Il faut aussi tenir compte de la peur qui hurle contre le roi, de peur que son retour ne fasse tirer un coup de fusil de plus.

Peuple français, ne te laisse point séduire par des sophismes de l’intérêt particulier, de la vanité ou de la poltronnerie. N’écoute pas les raisonneurs : on ne raisonne que trop en France, et le raisonnement en bannit la raison. Livre-toi sans crainte et sans réserve à l’instinct infaillible de ta conscience. Veux-tu te relever à tes propres yeux?  veux-tu acquérir le droit de t’estimer? veux-tu faire un acte de souverain ? Rappelle ton souverain.

Parfaitement étranger à la France, que je n’ai jamais vue, et ne pouvant rien attendre de son roi, que je ne connaîtrai jamais, si j’avance des erreurs, les Français peuvent au moins les lire sans colère, comme des erreurs entièrement désintéressées. »[8]

Il serait bon aujourd’hui aussi que des étrangers parlent plus royalement que n’importe quel Français, un Joseph de Maistre du XXIème siècle, pour redonner conscience à tous les sujets de ce qu’ils sont, et de ce qu’est et incarne le Royaume de France dans l’incarnation royale !

[1] Ibid, p.100

[2] Ibid, p.101

[3] Ibid, p.102 par exemple où il parle encore de liberté sans que l’on sache bien ce qu’il désigne

[4] Ibid, p.105

[5] Ibid, p.106

[6] Ibid, p.107

[7] Ibid, p.110

[8] Ibid, p.111

 

Une réflexion sur “[Considérations sur la France-9] Chap.VIII « Digression sur le roi et sur sa déclaration aux Français du mois de juillet 1795. »

  • PELLIER Dominique

    En concordance avec l’opinion de notre Roi, il faudrait adopter pour la France, la charte de 1814 (ou 15), comme sous le règne de Louis XVIII…!

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