Histoire

Il y a trois cents ans, le 11 janvier 1717

La France du régent procédait à un « scandaleux » renversement des alliances

Depuis la mort du duc de Berry, troisième petit-fils de Louis XIV, le 4 mai 1714, la rivalité latente entre le frère du premier, Philippe V d’Espagne, né duc d’Anjou, et son grand-oncle, Philippe d’Orléans, devint flagrante. Le roi d’Espagne se mit d’abord à songer très sérieusement à faire valoir ses droits à la régence dans la perspective réaliste d’une mort de Louis XIV avant la majorité du futur Louis XV, né le 15 février 1710. Car s’il avait renoncé, par la paix d’Utrecht, à ses droits à la couronne de France, rien, juridiquement, ne l’empêchait d’en exercer la régence. Ambition qui heurtait de plein fouet celle du duc d’Orléans, déjà vexé de ne pas avoir été mentionné dans le testament de Charles II d’Espagne, exclusivement en faveur du futur Philippe V, à tel point qu’on parla bientôt de «  la guerre des deux Philippe ».

Les spéculations allaient bon train autour du lit d’agonie de Louis XIV. Se mettait en place un « parti espagnol », composé de ceux qui préféraient Philippe V à son grand-oncle et qui envisageaient même, dans le cas d’une mort prématurée de l’héritier du trône, enfant chétif et maladif, de voir Philippe V accéder à la couronne de France, son fils Louis le remplaçant à Madrid ; ou bien lui-même restant en Espagne et Louis devenant roi de France. En face, le parti du duc d’Orléans combattait de telles perspectives mais ne négligeait pas, comme formule de rabattage, que celui-ci devint roi d’Espagne si l’ancien duc d’Anjou  revenait finalement à Versailles.  Car s’il existait un point sur lequel tout le monde s’accordait, c’était bien l’impossibilité de réunir les deux couronnes sur la même tête : l’Angleterre reprendrait alors la guerre, et aussi sur cet usage, difficile à comprendre de nos jours, que les couronnes s’échangeaient et se distribuaient au gré des parentés et des alliances familiales entre cousins liés par le sang comme entre propriétaires terriens aux héritages aléatoires.

 Mort le 1er septembre 1715, Louis XIV avait rédigé un testament confiant la régence à un conseil, simplement présidé par le duc d’Orléans et dissociant celle-ci de la tutelle du roi mineur. Rien n’était réservé à Philippe V, ce qu’il savait par une lettre que lui avait préalablement adressée son grand-père. Sans cela, il se serait porté à la frontière française et aurait alors décidé du parti à prendre en fonction de la réaction des Français à sa démarche. Probablement mortifié, il n’émit cependant aucune réclamation tandis que son grand-oncle réussissait, avec l’aide du Parlement de Paris, à faire casser en partie le testament de Louis XIV afin d’exercer seul la régence. Madrid ne réagit pas : depuis son remariage, le 16 septembre 1714, et, surtout, sa nouvelle vie avec Elisabeth Farnèse (sa première épouse, Marie-Louise de Savoie, était morte le 14 février précédent) les yeux de Philippe V s’étaient un peu détournés des Pyrénées et beaucoup tournés vers l’Italie. Élisabeth, nièce du duc François de Parme, exerçant immédiatement sur son époux une influence considérable, l’incitait à ne pas se résigner  aux pertes par l’Espagne de ses territoires italiens consécutivement à la paix d’Utrecht. Conseillé par le cardinal Giulio Alberoni, ancien ambassadeur du duc de Parme en Espagne, et devenu Premier ministre par la volonté de la reine, Philippe V projetait de se lancer dans une guerre de reconquête des provinces perdues.

Presque coupé de toutes relations avec Madrid, le régent conclut, le 11 janvier 1717, une Triple-Alliance, unissant la France, le Royaume-Uni et les Provinces-Unies. Le roi Georges Ier se voyait ainsi confirmé sur son trône contre les prétentions de Jacques III Stuart, soutenu par Philippe V ; en contrepartie, le duc d’Orléans était reconnu par les deux nouveaux alliés de la France comme le légitime successeur de Louis XV si celui-ci venait à disparaître.

On entra alors dans une période de grande confusion, combinant soupçons de toutes sortes, notamment celui pesant sur le régent de vouloir empoisonner son pupille, comme la volonté attribuée à Philippe V de déstabiliser le gouvernement français en ourdissant de noires et complexes conspirations, dont la plus fameuse fut celle de Cellamare : ambassadeur d’Espagne à Versailles, celui-ci aurait prêté son concours à un projet d’enlèvement du régent suivi de l’attribution de la régence à Philippe V, lequel aurait convoqué les États généraux, afin notamment de prendre les décisions nécessaires au rétablissement des finances publiques. En vérité, l’affaire fut montée de toutes pièces par l’abbé Dubois, principal conseiller du régent, afin d’éloigner toute perspective du retour en France du petit-fils de Louis XIV. Cellamare fut arrêté et expulsé. En riposte, le duc de Saint-Aignan, ambassadeur à Madrid, fut également renvoyé. La tension entre les deux Cours atteignit alors son comble. Toutefois, Philippe V ne pouvait envisager, en dépit de la Triple Alliance et de l’hostilité a priori de l’Angleterre à une intervention de l’Espagne en Italie, que la France se rangerait du côté de ses ennemis.

Considérant que Charles VI de Habsbourg n’avait signé aucun traité de paix et continuait de prétendre à la couronne d’Espagne, Philippe V envahit la Sardaigne en août 1717 puis la Sicile en juin 1718. Se sentant alors sérieusement menacée, l’Autriche demanda à rejoindre la Triple-Alliance, ce que Londres et Versailles acceptèrent aussitôt. Puis, encouragée par le régent, l’Angleterre envoya une escadre en Sicile détruire la flotte espagnole, coupant de ses bases le corps expéditionnaire.

Surpris de l’attitude de la France, Philippe V lui adressa un manifeste, publié en décembre 1718 par La Gazette de Hollande, protestant de son amour filial pour la mère patrie, rappelant les terribles  sacrifices consentis par les Français afin de le maintenir sur son trône et assurant que si, par malheur, des troupes françaises franchissaient la frontière, il se porterait à leur rencontre les bras ouverts. Il s’interdit également d’ordonner le moindre dispositif de défense des Pyrénées.

Mais Philippe d’Orléans n’était pas homme à apprécier les gestes chevaleresques. Le 26 janvier 1719, sans déclaration de guerre, une armée française de vingt mille hommes franchit la Bidassoa, de surcroît commandée par le duc de Berwick qui avait tant servi l’Espagne lors de la guerre de Succession et que Philippe V avait couvert de récompenses.

Rarement dans l’Histoire, le mépris du peuple comme l’absence du sens de l’honneur avaient été poussés aussi loin et avec un tel cynisme. C’est de ce jour que s’installa en France une méfiance chronique envers les princes d’Orléans, que les descendants du régent firent tout pour accentuer.

 Daniel de Montplaisir 

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