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[Exclusif] Entretien avec D. Sabourdin-Perrin : “Depuis mes 9 ans, je m’intéresse à Louis XVII et au quartier du Temple”

Le Souper est un exquis face-à-face imaginaire entre faux frères machiavéliques, furtivement troublés par leur fidélité terrestre, triomphante, puisque retorse ; Les confesseurs de Dieu un émouvant tête-à-tête entre frères de sang, non jureurs, célestement unis face à l’ignoble assassinat qui les attend. “La pluie est contre-révolutionnaire” écrit Jean-Claude Brisville dans sa pièce. Alors ne pleure-t-il jamais dans le cœur sec du septembriseur comme il pleut, parfois, sur la ville? Dominique Sabourdin-Perrin en sait quelque chose et celle qui connait comme personne l’histoire du quartier du Temple, haut lieu des bienveillantes captivités décrétées par la Législative, compose les 2 et 3 septembre 2011 quatre actes inspirés par les évêques François-Joseph et Pierre-Louis de La Rochefoucauld.

 A priori, Capésienne et Docteur es lettres sont qualités qui ne sauraient effrayer un(e) royaliste authentique, bien au contraire, et ce(te) dernier(e) sera convaincu(e) d’aller sans doute applaudir les quatre comédiens, une fois lu l’entretien exclusif que lui propose aujourd’hui Vexilla Galliae. Et si la séduction manque à la conviction, l’inédite retranscription de la Scène 4 de l’Acte I des confesseurs de Dieu (L’Harmattan Théâtres, 2011) y palliera.

 La représentation (entrée libre) reversera ses bénéfices au diocèse de Blois, et se tiendra le samedi 6 juin à 20h30 dans l’église Sainte-Elisabeth-de-Hongrie à Paris. Deux jours plus tard y sera célébrée une messe en la mémoire de Louis XVII, descendant d’Elisabeth de Thuringe.  

 Vexilla Galliae : Quelle est l’intrigue de votre seconde pièce, Les confesseurs de Dieu, et pourquoi avoir choisi le théâtre pour faire revivre les derniers jours de ces deux prélats, les frères François-Joseph et Pierre-Louis de La Rochefoucauld, massacrés lors des terribles journées de septembre 1792?

 Dominique Sabourdin-Perrin : Je trouve que le théâtre est une forme littéraire qui rend l’action vivante. Lorsque j’ai eu envie de raconter ce terrible moment de l’Histoire de France, les dialogues se sont imposés d’eux-mêmes. Je les ai transcris. En écoutant la répétition de la pièce, hier, je n’ai pas eu le sentiment qu’il s’agissait de mon texte. Je ne pense pas que je pourrai le réécrire ainsi, aujourd’hui. 

 V. G. : La représentation aura lieu le samedi 6 juin dans l’église parisienne Sainte-Elisabeth-de-Hongrie, dont vous avez reconstitué l’histoire, notamment dans votre essai historique Les dames de Sainte-Elisabeth : un couvent dans le Marais (1616-1782) (L’Harmattan, 2014). Comment est née cette passion et cette envie de tout savoir non seulement sur cette chapelle aujourd’hui église mais aussi sur la Tour du Temple?  

 D. S.-P. : J’habite devant le square du Temple depuis 50 ans. Je passe tous les jours sur l’emplacement de la Tour du Temple. Depuis l’âge de 9 ans, date à laquelle ma mère m’a offert le livre de G. Lenotre, intitulé Le Roi Louis XVII et l’énigme du Temple, paru en 1920, je n’ai cessé de m’intéresser au sort de l’enfant du Temple. Comme on racontait les choses les plus contraires et les plus farfelues, j’ai voulu connaitre la vérité. Je me suis plongée dans l’étude  des archives de l’époque car les Archives nationales se trouvent très proches de chez moi, de plus j’ai lu la presse et nombre de témoignages de l’époque. J’ai étudié le sujet à travers les personnages qui ont vécu dans la Tour du Temple, cuisinier, municipaux, médecins, apothicaires, perruquiers, blanchisseuses, gardiens etc… dont le sort a souvent été bien malheureux. Ce qui justifie le titre de mon livre Les Oubliés du Temple.

 En ce qui concerne l’église Sainte-Elisabeth qui est ma paroisse depuis mon arrivée dans ce quartier, personne ne savait rien sur sa construction et son histoire. C’est pourquoi, lors d’une conversation avec un archiviste qui trouvait le sujet intéressant et qui m’a proposé de le traiter, je n’ai pas hésité. J’ai eu raison, car l’histoire de cette église, chapelle du couvent des Dames de Sainte-Elisabeth, est d’une immense richesse, tant par les religieuses qui y sont restées 176 ans,  la  société qui venait s’y recueillir, que par la spiritualité qui animait  les fidèles. Saint François de Sales, Saint Vincent de Paul, Bérulle, Condren, le cardinal de Retz Monseigneur de Harlay qui maria Louis XIV et Madame de Maintenon y sont venus. Parmi les dames pensionnaires qui y résidaient, on compte les filles du chancelier Séguier, la mère de Mme Du Barry, la fille de Molière. Tous les protagonistes du procès Fouquet  sont venus à Ste Elisabeth et certains y ont été enterrés. Enfin, le Père Girault, Confesseur (Directeur Spirituel) des religieuses, arrêté en même temps que ces dernières, a été transféré aux Carmes où il a été le premier assassiné, devenant le premier martyr des Carmes, d’où mon intérêt pour la cause. 

 V. G. : Avez-vous eu l’occasion de montrer Les confesseurs de Dieu ailleurs?

 D. S.-P. : Les Confesseurs de Dieu ont été lus au théâtre du Nord-Ouest et sur les lieux mêmes du drame, Saint Joseph des Carmes, rue de Vaugirard. 

 V. G. : Les bénéfices de cette représentation seront directement reversés au diocèse de Blois pour la réfection d’un presbytère afin d’y loger des réfugiés d’Irak. Pourquoi avoir choisi ce projet plutôt qu’un autre?

 D. S.-P. : Suite à un appel de la délégation du Loir et Cher de l’Ordre de Malte (1) nous avons contribué lors d’un concert au financement du pèlerinage à Lourdes de réfugiés dans le diocèse de Blois. Lorsque nous avons décidé de faire ce spectacle qui résonne tout particulièrement avec l’actualité, nous avons voulu rester dans la fidélité à notre première modeste contribution. Aussi nous avons répondu à cet appel, de Mgr Jean-Pierre Batut, pour une action très concrète ce qui nous a séduit. Vous savez peut-être que Mgr Batut est allé lui-même à Erbil avec le cardinal Barbarin en décembre dernier. Il est très motivé pour soutenir les chrétiens d’Irak et vient d’être nommé évêque de Blois. Il fut curé dans deux paroisses parisiennes  : sainte Jeanne de Chantal et Saint-Eugène Sainte-Cécile. 

 V. G. : En présence du Maire de Paris, du représentant de l’Archevêque de Paris Monseigneur André Vingt-Trois, et du Grand Rabbin de France Haïm Korsia fut posée jeudi soir la plaque en hommage au Chanoine Albert Marcadé (1866-1951), curé de la paroisse Sainte-Elisabeth-de-Hongrie (1923-1947) et qui par son action durant l’occupation nazie a sauvé des familles juives.

 Vous avez contribué à la préparation de cet évènement, mais aussi à celui concernant la pose de la plaque à la mémoire de la famille royale, malencontreusement (ou intentionnellement?) détériorée quelques années plus tard, puis retirée en définitive. Une nouvelle plaque la remplacera-t-elle bientôt?

 D. S.-P. : La plaque à la mémoire de la famille royale avait été posée sur la façade de la Mairie du IIIeen 1989. Elle a été vandalisée le lendemain du 8 juin 2014. Il est prévu d’en poser une nouvelle, mais la date reste inconnue. Heureusement le service des Parcs et Jardins a mentionné le nom de Louis XVII sur les plaques posées aux entrées du square du Temple. 

 V. G. : Lundi 8 juin 2015, le jeune Louis XVII sera mort depuis 220 ans. Vous l’avez évoqué, notamment, à travers votre volumineuse enquête – riche en documents d’archives inédits –Les Oubliés du Temple (Persée, 2012). Quelles furent sa vie, son agonie, sa mort (dixit le vicomte de Beauchesne en 1853) et que dire aux désinformés qui croient décidément en la survivance du petit roi?

 D. S.-P. : Le petit Louis XVII est mort il y a 220 ans. Je ne peux pas résumer en quelques lignes, la vie et le martyre de cet enfant, séparé de ses parents, vivant dans la crainte perpétuelle, resté sans soin pendant plus de huit mois de janvier à septembre 1794, survivant dans une demi-obscurité, sans emploi du temps, sans compagnie si ce n’est celle des rats,  etc… Les historiens du XIXe siècle ont créé des clichés et de très nombreuses erreurs ont été colportées en ce qui concerne son lieu d’enfermement, qui n’était autre que l’appartement de son père, sur ses gardiens, à propos du fameux interrogatoire qui en fait n’a pas été le seul, puisque l’enfant a été interrogé quatre fois, seul, puis confronté à sa sœur, à sa tante, et de nouveau dans l’appartement des Simon. On y constate la perversion des accusateurs de Marie-Antoinette dans la formulation des questions et les annotations portées en marge. J’ai eu l’honneur de tenir ce document entre mes mains et vous pouvez imaginer quelle a été mon émotion!

 On présente même parfois le portrait du frère aîné du Dauphin à la place du sien! Le plus difficile à accepter est l’exploitation que l’on fait de cette tragédie, imaginant des évasions, retrouvant une descendance en divers lieux, chacun des auteurs étant persuadé de détenir la vérité après avoir consulté tel ou tel ouvrage. Je leur conseille de se rendre aux Archives nationales et d’étudier les vrais documents. Ils y liront que les 148 municipaux chargés de garder l’enfant dans le Temple, y revenaient régulièrement à tout de rôle, qu’ils connaissaient bien leur prisonnier et que ceux qui lui montraient quelque bonté ont eu des ennuis, et ont même été guillotinés. L’A.D.N. a confirmé la filiation de l’enfant, et on ne peut confondre le cœur examiné qui n’a subi aucun traitement alors que celui du premier Dauphin a été embaumé. La France a reconnu, par l’intermédiaire de Monsieur Jean-Jacques Aillagon, que le cœur de l’enfant déposé à Saint-Denis est bien celui de Louis XVII, c’est la raison pour laquelle il repose officiellement dans la basilique des Rois de France. Il faudrait, maintenant, le laisser reposer en paix. 

 V. G. : Quel personnage, ou lieu, fait aujourd’hui l’objet de votre attention et quand pourra-t-on lire son histoire?

 D. S.-P. : En ce moment, je travaille sur un personnage très intéressant, le Père Nicolas Barré, qui a été un des Minimes de la Place Royale, aujourd’hui Place des Vosges. Homme de très grande spiritualité, il s’est intéressé au sort des petites filles pauvres et a créé à leur intention les écoles charitables. Je ne quitte donc pas le quartier, et cette étude se trouve dans la continuité de mes précédentes recherches, le monde religieux et celui de l’enfance malheureuse.

Propos recueillis par Alphée Prisme 

(1)  L’église Sainte-Elisabeth-de-Hongrie est l’église conventuelle de l’Ordre de Malte à Paris : http://www.ordredemaltefrance.org/

Photo : Dominique Sabourdin-Perrin et l’abbé Xavier Snoëk à l’église Sainte-Elisabeth-de-Hongrie, jeudi 28 mai 

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                                                                Acte I, Scène 4

                                             (François-Joseph, Pierre-Louis, Municipal)                                                                             

Le municipal tient, dans la main, sa liste, le livre, et attend. Pierre-Louis se lève, lentement, prend son bréviaire dans la main droite, se rapproche de son frère et pose la main gauche sur son épaule.

Pierre-Louis avec une voix posée mais forte – Monsieur!

Municipal – Tu dois m’appeler citoyen.

Pierre-Louis – Citoyen, vous ne l’emmènerez pas, il appuie sur le mot : seul. J’ai toujours été uni à mon frère par les liens de la plus tendre amitié, et je le suis encore par mon attachement à la même cause… Si son amour pour la Religion et son horreur du parjure sont tout son crime, je vous supplie de croire que je ne suis pas moins coupable. Il me serait, d’ailleurs, impossible de voir mon frère conduit en prison, et ne pas aller lui tenir compagnie. Je demande à y être conduit avec lui.

François-Joseph se dirige vers Pierre-Louis, en voulant lui parler, mais il est arrêté dans son élan.

François-Joseph – Non…

Municipal – Tes nom et qualité, citoyen?

Pierre-Louis – Pierre-Louis de La Rochefoucauld-Bayers, évêque de Saintes.

Le municipal lit le papier qu’il tient dans la main.

Municipal – Ton nom n’est pas porté sur ma liste…

Pierre-Louis – Vous n’avez qu’à l’y inscrire.

François-Joseph fait un mouvement vers son frère, puis vers le municipal.

François-Joseph – Non, vous ne pouvez…

Le municipal ne fait pas à attention à François-Joseph, il est uniquement occupé de Pierre-Louis.

Pierre-Louis – Il est facile de te contenter, citoyen. Ton désir doit être exaucé. On refuse si souvent à ceux qui nous demandent le contraire.

Le municipal se dirige vers les coulisses et sur le seuil s’adresse à des comparses.

Municipal – La prise est bonne. Un suspect de plus! C’est une bonne fortune qu’on ne peut laisser échapper… Surtout qu’on a pas réussi à les prendre tous, ces prêtres de Saint-Sulpice! Neuf fois, on est allé chercher l’abbé Phrénier! Neuf fois, dans une même journée! Et on ne l’a pas trouvé! Ce calotin, il doit bien se trouver dans le coin… on sait qu’il administre les sacrements à des particuliers! Tout comme Pansemon, le curé de cette paroisse! On les trouvera… En attendant, celui-ci fera l’affaire. Il faut bien qu’on arrive à ramasser autant de suspects qu’il y a de noms sur la liste…

Pierre-Louis retourne ses poches – Mes poches sont vides, voyez. Il soulève son livre, qu’il montre au municipal.  Puis-je prendre mon bréviaire?

Le municipal revient vers la table, saisit le livre qui s’y trouve… le feuillette, avant de le secouer.

Municipal – C’est bon.

François-Joseph a, maintenant, rejoint son frère et le maintenant par les épaules, il le tient écarté de lui.

François-Joseph – Pourquoi, Pierre? Pourquoi?

Pierre-Louis – Depuis plus de quarante ans, François, nous avons partagé les mêmes joies, les mêmes épreuves, fréquenté les mêmes écoles, suivi les mêmes séminaires. J’ai, même, été le vicaire général de votre diocèse. On m’appelait, alors, La Rochefoucauld le jeune. Eloignés par les devoirs de nos charges, nous n’avons pas été séparés. Notre correspondance nous permit d’abolir les distances. Aux Etats-Généraux, à l’Assemblée, nous avons siégé sur le même banc, supporté ensemble, les calomnies et les émeutes. Les représentants du peuple nous ont chassés de nos diocèses! Ceux de Beauvais vous ont remplacé par l’intrus Jean-Baptiste Massieu. J’ai été remplacé par le curé de Saint-Savinien. Contraints de monter sur Paris pour nous y réunir et rejoindre nos malheureux frères en religion, ce n’est pas aujourd’hui que je vais vous quitter! Silence pesant.

Le municipal se place à l’entrée des coulisses et attend. Les deux évêques finissent leur embrassement et avancent, côte à côte, vers le municipal, chacun tenant son bréviaire dans la main droite… On entend des bruits métalliques de piques et de sabres.

Dominique Sabourdin-Perrin, Les confesseurs de Dieu, 2011.

Comédiens : Philippe Ariotti, Daniel Desmars, Jean-François Fabe, Guy Meyer.

Mise en scène : Jean-François Fabe.

Entrée libre.

 – Site de la paroisse annonçant la pièce le 6 juin à 20h30 et la messe en hommage à Louis XVII le 8 juin (en présence de LL. AA. RR. le prince et la princesse Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme) : http://www.sainteelisabethdehongrie.com/

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