Vie des royalistes

Le Comte de Chambord par Jean-François Chiappe

Ce livre intitulé le Comte de Chambord et son mystère, rappelle à dessein que Henri d’Artois fut le dernier prince de la Maison de France – à ce jour – qui aurait pu rétablir la royauté. Pourtant, sa vie à peine entamée commença mal, très mal. Son père, le duc de Berry fut assassiné par un bonapartiste nommé Louis-Pierre Louvel. Ce dernier désirait « détruire la souche des Bourbons ». Le tueur déclara à son procès : « Tout Français qui a porté un jour les armes contre sa patrie perd à jamais sa qualité de citoyen français ; les Bourbons n’ont pas le droit de rentrer en France, et surtout d’y vouloir régner. Louis XVI a été exécuté légalement et justement de l’aveu de la Nation entière ; la Nation serait déshonorée si elle se laissait gouverner par cette race de traîtres. » Propos au demeurant excessifs, mais qui témoignent parfaitement du caractère fanatique de ce révolutionnaire. Comme l’écrivit Chateaubriand : « La fortune refusa à Monseigneur le Duc de Berry la mort de Charrette et celle d’Enghien, pour lui réserver celle d’Henri IV : elle voulait le traiter en Roi ». Maigre consolation offerte par les voies impénétrables de la Providence… Durant son agonie très chrétienne, au cours de laquelle il demanda à Louis XVIII la grâce pour son meurtrier, le duc de Berry dit à sa femme, Marie-Caroline des Deux-Siciles, de se ménager pour l’enfant qu’elle portait. Sept mois plus tard l’enfant du miracle, surnom donné par le poète Lamartine, naissait. Sa mère, lors de l’accouchement, conscient du trésor qu’elle portait dans ses entrailles déclara au praticien : « Souvenez-vous qu’entre les deux, vous ne devez pas hésiter. Ma vie n’est rien, la sienne est tout. »

Il fut prénommé Henri en l’honneur du premier des Bourbons. Aimé voire adulé, il reçut en cadeau, grâce à une souscription nationale, le domaine de Chambord. Pour autant, Henri n’eut pas la joie de connaître son père, ni d’avoir d’enfants. Il faut peut-être voir dans ce phénomène rare mais non pas unique, ce voile de mystère qui entoure encore ce petit-fils de France. En effet, comme l’écrit Chiappe : « Ce prince privé de fils n’en est pas moins animé de sentiments paternels à l’égard de son peuple. C’est bien le motif pour lequel il ne montera jamais sur le trône ; il inspire la peur aux grands capitalistes – les plus intelligents – et aux petits – les plus bêtes. C’est ainsi que la gauche et l’extrême gauche seront liguées contre une restauration au sens plein du mot. » Certains, aussi étonnant que cela puisse paraître, voyaient dans cet homme l’arbitraire même. Laissons Charles X leur répondre : « On pilerait tous les princes de Bourbon dans un mortier qu’on n’y trouerait pas un grain de despotisme. » Il n’y a rien de pire que la méconnaissance et l’ignorance. Chiappe nous permet de découvrir la jeunesse de l’enfant royal, et nous le suivons, malheureusement, sur les routes de l’exil. Même hors de son pays, le Duc de Bordeaux, titre que lui donna Louis XVIII en hommage à la première ville qui se rallia aux Bourbons en 1814, se souciait de cette France, travaillée par les factions orléanistes, bonapartistes, républicaines voire pré-marxistes. Parfaitement lucide sur les affaires de son temps comme le démontre l’auteur : « Le prince voit fort bien la situation d’une Europe déchirée entre le capitalisme grossissant et le prolétariat furieux de maigrir », le Comte ne reste pas silencieux face aux différents problèmes nationaux et internationaux de son époque. Alors que le régime de Louis-Philippe, malgré quelques réussites économiques et politiques, rencontre des difficultés, des hommes politiques – de toutes tendances confondues – soucieux de l’avenir de la France contactent le Prince. S’en suivront des réunions, des débats, des comités, des lettres, des publications, qui malheureusement ne ramèneront pas Henri sur le trône de ses aïeux. Il est intéressant de noter que déjà, la liberté d’enseignement constituait un des points non négociables de la doctrine légitimiste. Le Comte de Chambord, au moment des palabres politiciennes, avait écrit la chose suivante : « Je m’associe à la lutte persévérante et courageuse des catholiques de tous les partis en faveur de la liberté de l’enseignement qui ne devrait avoir d’autres limites que l’autorité tutélaire d’un sage gouvernement. » De plus, certaines de ses idées portent un accent terriblement moderne, car elles condamnent : « les lois injustes qui privent le plus grand nombre des contribuables de la participation légitime au vote de l’impôt. » Et dire qu’ils menèrent la révolution pour soi-disant abattre les privilèges… Ceci étant dit, il nous semble toujours difficile de comprendre un pays quand on n’y réside pas. Nonobstant la distance, l’éloignement et le concert de louanges qu’il reçoit, Henri se montre méfiant à l’endroit des adresses de sympathie et bien plus, que ces proches lui lisent le soir près du feu. Comment faire confiance aux Français en général, et à l’administration en particulier ? Chiappe résume ainsi : « Il est divertissant de consulter la liste des conseillers municipaux de l’époque. On retrouve les mêmes noms trempant à toutes les sauces : le Consulat, l’Empire, la Restauration, l’Acte additionnel, la deuxième Restauration, la monarchie de Juillet, la deuxième République, et bientôt, le second Empire ». En définitive le Français se montre bien plus légaliste que légitimiste… Après les échecs des différentes tentatives de restauration, beaucoup critiqueront Chambord pour son intransigeance envers les trois couleurs. Dans celles-ci, Henri d’Artois pouvait bien accepter – en dépit de quelques réserves – d’y voir Jemmapes et Austerlitz, mais non pas le tricolore de 1830, synonyme à ses yeux de trahison et d’usurpation. Les textes exprimant sa position sur ce sujet sont connus, et nous ne les citerons pas ici. Pour autant, il ne faut jamais oublier qu’il existe une différence notable entre le pays légal et réel. D’aucun disent : « avec une majorité assez confortable à la Chambre, Chambord fut incapable de prendre le pouvoir ». Le vicomte de Meaux, bon historien et brillant analyse avait écrit : « l’Assemblée était royaliste mais le pays ne l’était pas ».

Plus de 40 ans après l’imposture orléaniste qui avait scellé l’exil de la branche aînée de la famille de France, sans oublier que la France avait connu différents régimes, monarchie constitutionnelle, la deuxième République, le deuxième Empire, les Français dans leur grande majorité n’avaient-ils pas oublié les fleurs de lys ? Vaste question à laquelle il est difficile de répondre avec certitude. Malheureusement les accusateurs, qui reprochent à Chambord son inefficacité, oublient une donnée essentielle que lui-même répétait constamment : « Ma personne n’est rien, mon principe est tout » et il poursuivait en toute modestie : « Si je n’étais pas l’Aîné des Bourbons, je ne serais qu’un gros homme boiteux. » Son grand-père Charles X avait déclaré : « Je préfère être jardinier que de régner comme mon cousin le roi d’Angleterre. » Tout était dit, tout était consommé. Henri voulait être réellement et pleinement le roi de France, et non pas être l’otage d’un parti ou pire d’une coterie. Il n’entendait pas renier son statut et être réduit à un vulgaire candidat républicain…

Chiappe nous livre une biographie intéressante et intrigante qui nous plonge dans un siècle troublé pour la France tout en tentant de percer, non pas le mystère mais selon nous, l’énigme Chambord. Nous voyons les comités royalistes se mettre en place, les républicains manœuvrer habilement, la famille royale divisée. Nous découvrons également la montée en puissance de Thiers ainsi que sa chute, et notre loyalisme se heurte à la duplicité de Mac-Mahon et de certains parlementaires… Les Français, jeunes et moins jeunes, doivent lire ce livre pour se rappeler que la royauté incarnée ne repose pas sur une pauvre chimère sentimentaliste mais sur un principe transcendant qui nous unit et nous dépasse tous. Nous n’emporterons peut-être pas votre conviction, mais vive le Roi à tout jamais.

F.A

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