Idées

Lettre d’un émigré. La voie royale – Sujets, « Honorez les grâces » !

La Chine des anciens temps expose une pratique du bon gouvernement royal et de l’attitude reconnaissante des sujets tout à fait traditionnelle dans sa façon de procéder. Cette « voie royale », ou encore cette « Voie du Roi » consiste dans la douce miséricorde du souverain envers ses sujets, qui ne peut rester indifférent devant la misère, la pauvreté et les souffrances de chacun. Le bon Roi cherche ainsi naturellement à assurer à tous ces sujets le nécessaire pour vivre, ne pouvant pardonner le fait qu’un seul de ses sujets ne puisse manger à sa faim, ni se couvrir décemment. Nous trouvons là une intuition primordiale du rôle de tout bon gouvernement, celui d’assurer le nécessaire vital de tous ses sujets. Mais ce rôle ne se résume pas à un simple « assistanat » qu’affectionne les « États modernes », mais bien pourvoir aux nécessaires besoins de son peuple dans un pur élan du cœur, qui prend pitié et compatit avec la souffrance d’autrui. Cela suppose donc que le pouvoir soit incarné dans une chair, d’une part, et que la position du souverain, pour utiliser un vocabulaire maurassien, doit être si éloigné de toute possibilité de compétition ou de conquête, en bref qu’il soit si absolu que le souverain puisse réellement prendre pitié sans qu’aucune arrière-pensées ne puissent être supputées, qu’aucune velléité de conserver son pouvoir n’existe, du fait même que par nature, un Roi est Roi, sur le trône ou pas, et par essence, personne ne rentre en compétition avec le suprême ; cette inégalité absolue permettant de s’affranchir de toute comparaison, de toute compétition, et du poison de l’esprit de parti et de démesure.

Le Roi ainsi sacré, puisqu’au fond seul son caractère sacré permet de réaliser concrètement son pouvoir absolu, quand bien même le gouvernement matériel des choses ne se ferait pas directement sous sa direction mais via tels lieutenants généraux, hauts ministres ou n’importe quel autre de délégation de ses pouvoirs, le Roi ainsi sacré peut enfin parfaitement gratuitement compatir, prendre pitié et accorder ses bienfaits à son peuple sans compter.

Nous retrouvons ici encore la conception classique du chef-donateur des tribus sauvages de Lévi-Strauss, du chef-serviteur si magnifiquement chrétien, qui a la charge de sauver tous ses sujets dans un amour infini, mais toujours particulier, toujours humain dans sa partie divine.

Cependant, la voie royale ainsi appliquée ne peut s’accomplir bonnement sans l’action des sujets, qui, encore à la différence des objets assistés de la République, ne font pas que recevoir les bienfaits comme si de rien n’était, dans une morgue horripilante de celui qui reçoit considérant comme normal un don pourtant fruit d’un amour-compassion gratuit, qui aurait tout aussi bien pu ne pas exister. Peut-être que le mal de l’assistanat et ce dépit face à ce que nous recevons provient justement de la déshumanisation du système, de la disparition de toute chaude et volontaire charité, au profit d’une froide et automatique solidarité, où, finalement, tout se marchande, même les aides, échangés contre des votes ou autre prébende, dans un clientélisme généralisée. Seule la Royauté permet de désactiver cet enchaînement vers le tout-intérêt, vers la marchandisation générale et le clientélisme, puisque le Roi, seul d’abord, puis par porosité sa famille, les nobles et enfin toute la société, peut agir par charité pure, par élan du cœur charitable intègre et total.

Non, un bon sujet, toute personne normalement constitué, face à toute cette miséricorde royale, ne pourra que vouloir de tout son cœur et son âme répondre à ces bienfaits reçus – et non pas les rendre, puisqu’en cette matière l’égalité ou l’équivalent n’existent pas – par des actions glorieuses pour son Roi, par des services exceptionnelles pour son Roi, voire, plus modestement, par un comportement charitable à son niveau, en remerciement et reconnaissance des bienfaits reçus :

« « Honorer les grâces » signifie répondre aux bienfaits que l’on a reçu, en bref, c’est revaloir les bienfaits reçus. Confucius appelait l’attention compatissante envers autrui, qui se fonde sur le caractère naturel de l’âme qui pousse tout homme à tendre sa main quand il assiste à la noyade d’un de ses congénères, « l’âme qui ne peut ignorer la souffrance d’autrui ». Et il nomma le politique qui se fonde sur cette « âme qui ne peut ignorer la souffrance d’autrui », « la voie royale ». Le fondement de la politique de « la voie royale » consiste dans le patronage affectueux envers le peuple et dans la garanti de leur fournir vêtements et nourriture (ce qu’on appelle dans le confucianisme faire œuvre de charité), et ces deux termes étaient vues comme le devoir inébranlables de tout gouvernant. Lorsqu’on se place dans la position du gouverné, qui reçoit tant de bienfaits, l’attitude à prendre se trouve dans « Honorer les grâces ». En bref, recevoir un bienfait gratuit et pur de toute intention privée amène à répondre à ce bienfait dans son cœur et dans son âme.

Après les dynasties immémoriales et l’écroulement du système féodale des parentèles claniques, les périodes postérieures des « printemps et étés » et des « royaumes combattants » exposent des relations de Seigneur à Sujet beaucoup plus personnelles, où apparaissent de nombreux preux qui répondent aux bienfaits reçus en mettant en jeu jusqu’à leur vie. Ces hommes que se sacrifiaient pour la voie juste, et estimaient au plus haut point loyauté et intégrité se faisaient appelés les « preux  chevaliers ». « Honorer les grâces » était une attitude de cœur et un mode de vie indispensable et nécessaire à ces « preux ». Le fameux penseur confucianiste Ryukyo de la période des Kans antérieurs [période courant de deux siècles avant Jésus Christ jusqu’à l’avènement de notre Seigneur] affirme que le commencement de tout malheur et de tout trouble a sa source et naît dans le manque d’honneurs rendus aux bienfaits reçus. On pensait ainsi que répondre aux bienfaits reçus est à la fois précieux pour le chemin de l’homme mais tout aussi précieuse pour la tranquillité de la société. »[1]

Certes, ce fond confucéen traditionnel ne demande certainement qu’à être sublimé – mais non pas dépassé – par l’élan chrétien de charité parfaitement gratuit, de sacrifice complet, de soumission totale, d’intégrité purement dirigée vers le Seigneur, dans la prise de conscience que tout acte bon, toute charité est de source divine. Néanmoins, cette prise de conscience, si elle se fait par la réception et l’exemple de la vie de notre Seigneur, se concrétise aussi dans la Voie Royale, canal nécessaire des hommes afin de distinguer à travers une royauté terrestre de source céleste, la royauté de notre Seigneur Jésus-Christ. Un peuple qui ne saurait être reconnaissant, qui ne voudrait pas répondre aux bienfaits reçus, est déjà décadent. Il n’est pas possible d’exiger la reconnaissance, mais recevoir des bienfaits dans une mauvaise attitude, avec arrogance ou opportunisme est un crime grave, une démesure déjà révolutionnaire, l’impossibilité de se trouver reconnaissant envers les grâces divines, puisque ces bienfaits matériels ne sont que des grâces divines matérialisées dans le génie divin de l’humain, dont la Royauté est la plus pure incarnation parmi la Création.

Et pour les mécréants, l’argument faible, quoique déjà en soi suffisant, qui consiste à pointer du doigt que la fin de la reconnaissance des sujets désigne le commencement des troubles et des guerres, devrait emporter toutes les adhésions. Encore que, en République, les révolutionnaires en ont même fini avec le chef prodigue de bienfaits et de grâces – l’abandon de la noble attitude d’ « honorer les grâces » doit certainement se retrouver dans les siècles avant la révolution, comme signe de malheur précurseur de la pente fatal qui entraîne notre pays jusqu’aux abysses contemporains.

Paul de Beaulias

Pour le Dieu, pour le Roi, pour la France


[1] Isao KATAGIRI, Perfectionner son Kanbun (究める漢文), Tôkyô, Chukei Edition, 2010, p.40 : p.40 « 「復恩」とは、受けた恩義に報いること、つまり、恩返しです。孟子は、溺れる人を見れば思わず救いの手を差し伸べるような心底から他人を思いやる心経を「人に忍びざるの心」と呼び、その「人に忍びざるの心」にもとづく政治を「王道」と称しました。「王道」政治の基本は、民衆を愛護し彼らの衣食を保証してやること(=恩徳を施す)であり、それが為政者の使命と考えました。それにたいして、恩徳を受けた側の取るべき態度こそが「復恩」なのです。無私の恩愛を受けたものが、心身を持ってそれに報いるのです。 印周期以来の封建宗族制が崩壊し、よりパーソナルな君臣関係が現れてくる春秋・戦国時代以降、恩義を受ければ、それに対して身命をなげうってでも報いようとする士人たちが多数現れてきます。彼らは道義に殉じ、信義と清廉であることを重んじる「節義の士」でした。「復恩」とは、まさしくそうした「節士」の必須条件だったのです。前漢の大儒・劉向(りゅうきょう)も[…]そもそも災いや戦乱の始まりは、恩義に報いないことから生まれるのであると述べています。恩に報いることは、人の道であるとともに、社会の安定にとっても大切なことと考えられていたのです。 »

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