Idées

Les nouveaux émigrés

Chers amis,

Vous avez tous le souvenir de ces Français qui, durant la Révolution, firent le choix de l’émigration pour fuir les persécutions et sauver leur vie à défaut de leurs biens. Contrairement à une légende tenace, il n’y eut pas que des nobles et des prêtres, mais aussi de simples bourgeois ou des hommes du peuple, qui tous avaient en commun de ne plus pouvoir vivre en France.

Les temps ont changé, la paix règne dans notre beau pays, mais une nouvelle émigration, économique, a vu le jour depuis quelques années. Elle prend désormais une ampleur inquiétante et frappe toutes les couches de la population.

Notre peuple est casanier. Colbert eut le plus grand mal à trouver des colons pour le Canada, et hormis l’Algérie, jamais la France ne put fonder une colonie de peuplement. Encore, nombre de ces colons y furent envoyés de force. Le Français émigre peu. La douceur de vivre de notre patrie, la taille de notre territoire, et notre démographie modérée incitent à rester.

Alors l’émigration actuelle est d’autant plus surprenante.

D’après les statistiques du ministère des affaires étrangères il y aurait un peu plus de 1,6 million de Français à l’étranger. Les chiffres 2014 n’étant pas encore publiés, nous nous rapprochons sans doute des 1,7 million en réalité désormais. En effet, depuis dix ans, la diaspora française est en augmentation permanente, au rythme de 3 % par an en moyenne. Ces données ne comptabilisent que les Français inscrits dans les registres consulaires. D’après l’Union des Français de l’étranger, ils seraient en fait un peu plus de 2 millions. 38 % sont partis dans un autre pays de l’Union européenne, 13 % en Amérique du Nord, 12 % dans un pays européen extérieur à l’Union européenne, 8 % au Moyen orient, 7 % en Asie et en Océanie, 7 % en Afrique francophone, 6 % en Afrique du Nord et 6 % en Amérique centrale.

Il est évident que les statistiques sont faussées concernant l’Afrique à cause des migrants issus de ces pays et ayant choisi de s’y établir de nouveau, de façon temporaire ou permanente, et concernant le Moyen-Orient, où la communauté juive francophone est importante en Israël, mais où il existe également de nombreux Français d’origine libanaise.

Les données sont plus éloquentes pour les autres destinations, où il s’agit cette fois avec une plus grande certitude d’expatriés de vieille souche française, sans autre attache originelle que notre territoire national.

Quel est le profil de l’expatrié ? Tous les milieux, toutes les régions, tous les âges sont concernés, mais le groupe dominant reste celui des jeunes diplômés, promis à de brillantes carrières de cadres d’entreprise ou de chercheurs et commençant leur carrière à l’étranger, soit par facilité, ayant trouvé là-bas un contrat avantageux, soit par goût de l’aventure et de l’exotisme, soit par dégoût de notre pays où il est si difficile d’espérer en l’avenir quand on est un jeune homme ou une jeune femme entreprenant. Le résultat final est le même, plus le nombre d’années d’expatriation augmente, moins la probabilité d’un retour en France est grande. Avec le temps, l’expatrié fonde une famille à l’étranger, soit avec un compatriote, soit avec un natif. Dès lors, la France devient le lieu des vacances d’été ou de Noël, éventuellement d’un retour épisodique pour un contrat de quelques années dans une filiale d’entreprise étrangère, ou d’un groupe français pour lequel l’intéressé a commencé sa carrière au-delà de la mer.

On le sait, la qualité de nos grandes écoles, de nos universités font que l’on s’arrache nos chercheurs et nos cadres commerciaux ou financiers dans le monde anglo-saxon ou asiatique.

Mais ce phénomène, déjà ancien, de départ des jeunes diplômés, et souligné en 2012 lors de l’élection de François Hollande, s’est doublé récemment d’un phénomène d’une nature nouvelle, celui de la délocalisation de sièges d’entreprises françaises. On avait vu jusque-là les usines ou les services annexes prendre la poudre d’escampette pour des Etats où la main d’œuvre était supposée tout aussi compétente et meilleur marché qu’en France. L’expatriation du siège de l’entreprise, ce qui signifie son changement de nationalité à brève échéance, est quelque chose de nouveau et de bien plus inquiétant car diminuant d’autant les possibilités de relocalisation. Les ciments Lafarge sont désormais à Zürich, le groupe pharmaceutique Eurofins a quitté Nantes pour Luxembourg, tout comme la société informatique Sword. On pourrait en citer d’autres, comme Publicis parti aux Pays-Bas, Solvay en Belgique, etc. Sans délocaliser les sièges sociaux, de nombreuses banques ont installé leurs centres de décisions financières les plus stratégiques à Londres.

Enfin, un phénomène moins médiatisé est celui, tout aussi inquiétant, des frontaliers. Ils n’émigrent pas à proprement parler, mais trouvent un emploi plus attrayant de l’autre côté de la frontière, soulignant un peu plus l’incapacité de leur région à leur fournir du travail, là où, il y a quelques décennies, c’étaient les étrangers qui venaient en frontaliers quotidiennement en France. Ils sont plus de 350 000 à franchir la frontière chaque jour, résidant en France, travaillant au Luxembourg, en Allemagne ou en Suisse principalement. Ils étaient 250 000 en l’an 2000… Ici, le genre de travailleurs change. Certes, ce sont toujours des personnels qualifiés, mais il ne s’agit pas de cadres supérieurs. Ce sont des employés, des ouvriers, reconnus pour leurs qualités professionnelles et leur endurance qui trouvent un emploi dans l’industrie ou des services. En Allemagne, par exemple, dans la Sarre, des ouvriers venus de Lorraine ou des Ardennes suivent des cours intensifs d’allemand et travaillent en usine pour l’industrie allemande, souvent après de longues périodes de chômage en France.

Le silence de nos politiques sur cette grave question de l’émigration est éclairant en lui-même. Que révèle-t-il ?

Il est la preuve éclatante de tous nos freins à l’embauche, de notre fiscalité des entreprises écrasante, de notre coût du travail trop élevé, de notre absence de politique d’aménagement du territoire pour reconvertir les régions en crise. En somme, il fait la démonstration que si notre pays est admirablement administré, il n’est pas gouverné, et c’est pourtant bien de cela dont nous aurions besoin, si nous ne voulons pas voir partir ainsi goutte à goutte une partie de nos forces vives, avenir de la nation.

Comme j’aimerais, avec vous, chers amis, que nos gouvernants aient au moins le bon sens d’ouvrir les yeux et de nous dire cette vérité que nous avons nous-mêmes constatée depuis longtemps. Ce serait le premier pas vers l’action salvatrice.

Charles

 

Ndlr : Article initialement publié le 21 mai 2015

Durant le mois d’août, et comme chaque année, nous proposons à la lecture quelques articles sélectionnés par la rédaction de Vexilla Galliae et déjà publiés en 2015 sur le site. Toute la rédaction de Vexilla Galliae vous souhaite un excellent été.  

 

 

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