Idées

Lettre d’un émigré. Vous avez dit libéral ?

Le monde moderne pullule de libéraux, c’est le moins qu’on puisse dire. Le libéral ou le libertaire, selon le spectre politicien, dicte la doxa aux mangeurs de foin médiatique. Ils sont partout, vraiment partout.

Libéral. Libéral. Le mot résonne sans fin dans un écho lancinant de la petite chanson qui vous siffle au fond de l’oreille et vous siphonne les méninges. Mais au fait, que veut-il dire ? Qui désigne-t-il ?

Les naïfs s’y laissent prendre. Un libéral aime la liberté, forcément, donc cela ne peut être véritablement nocif. L’enraciné aura la faiblesse d’y voir un parangon des libertés d’antan : des garanties d’indépendance dans des domaines d’action propre et à tous les niveaux, souvent protégées par octroi royal.

Le sujet du Roy, l’honnête sujet, venant du fond des âges français, ne comprendrait peut-être pas bien le mot de « libéral », et il le relierait à une qualité, à une vertu qu’il connaît bien : la libéralité. Le bonhomme libéral est celui qui donne sans compter, celui qui se trouve charitable sans retour, sans se préoccuper de sa petite personne. Elle est une qualité noble et chevaleresque ; tout bon chevalier se devait d’être libéral envers ses gens et ses pauvres. C’est une vertu de chef, ce chef des origines dont Levi-Strauss peut nous dévoiler une fugace vision, ce chef dont la charge lourde consiste à donner et donner encore à ses subordonnés, à se trouver plein de libéralités dans l’exercice de sa fonction, de son incarnation. Tous ces devoirs bien incarnés instituent sa majesté et son autorité, respectées alors naturellement par tous.

Voilà la figure originelle de l’homme libéral ! La libéralité est une vertu particulière, qui existe parmi d’autres, mais qui prend toute son importance dans l’incarnation des charges. Si plus la charge est grande et lourde plus cette vertu est requise, elle devrait être recherchée néanmoins à tous les niveaux et chez tout le monde, car chacun, à son humble place, porte des devoirs envers quelqu’un, au minimum envers Dieu pour la vie qu’il nous donne, ses parents pour la transmission de cette vie et l’éducation reçue, ses frères et sœurs, ses amis, à autrui, etc. La libéralité devient ainsi ici cette vertu toute simple, si humaine, qui vise comme à réaliser, c’est-à-dire à rendre réel, concret et matériel, en une action gratuite incarnant l’esprit, la vertu spirituelle de la charité. Oui, vraiment, la libéralité foncière est une charité incarnée, et procure cette joie simple que l’on ressent par exemple dans ce repas offert de bon cœur à cet ami cher, ou à cette inconnue dans une joie partagée et bien-vivante.

Le sujet du Roy qui se retrouve devant le libéral contemporain ne comprend pas ce qui se passe. Où donc est partie cette charité incarnée ? Pourquoi ne parle-t-il que de liberté comme si cette dernière pouvait donner prétexte à l’individualisme, la victoire hargneuse, la compétition cruelle, l’oubli des faibles et par-dessus tout l’abandon de la charité ? Pourquoi ces amoureux de l’indépendance se complaisent dans une liberté hubristique, sans morale, sans loi, si ce n’est celle économique, du marché, de la victoire, de l’indépendance faussement véritable, de la domination, de l’abus de pouvoir ? Où donc ont-ils mis Dieu ? Les éléments d’indépendance et d’une liberté anti-étatique sont séduisants, mais elles oublient l’essentiel, soit la Vérité et le Bien, ou pour le dire autrement et faire simple, le Dieu investissant le monde d’ici-bas. Peu importe au fond la liberté pour la liberté, idée dangereuse qui donne les extrémités folles des libertaires et autres extravagances barbares qui justifient toutes les pires atrocités sous couvert de liberté. Le libéral bien policé et embourgeoisé qui refuse ces extrémités se fourvoie tout autant : tant que ma liberté n’empiète pas sur celle de l’autre, tout va bien, dit-il. Non, Monsieur ! Tant que vos actions sont perfectibles sur le chemin divin, alors perfectionnez-les, à commencer dans le secret de votre vie cachée à tout autre homme mais sous le regard d’en-haut ! Voici l’utilisation bonne de notre libre-arbitre, plutôt que de s’évertuer à engranger des droits, non pas pour s’assurer de remplir bien son devoir envers ses gens dans sa sphère particulière sans immixtion – ce qui était l’objet des privilèges d’antan, depuis ceux des familles, jusqu’à celles des villes et des provinces – d’une puissance tierce malintentionnée, mais le plus souvent, au mieux, dans une optique individualiste pour faire ce que je veux, pour vivre confortablement – on en reparlera sur le seuil de la tombe ! – et au pire, pour s’assurer son espace d’abus de pouvoir privé sans considération aucune du pouvoir comme une charge, espace qui peut aller d’un cercle restreint à l’entreprise, et dont l’État aujourd’hui n’est que le premier abuseur public libéral en chef.

Cela dit tout cela n’est rien comparé au problème de fond du libéralisme en tant qu’idéologie issue de la révolution. Elle contient en effet un effet dévastateur : celui de corrompre et de dissoudre les liens.

N’allez pas croire que votre serviteur n’est pas attaché à l’indépendance et aux libertés, bien au contraire, mais l’accessoire est l’accessoire, et l’essentiel est l’essentiel.

L’essentiel est ici le bon lien, ce qui nous relie entre nous, au monde et au Ciel à travers l’amour de Dieu. Cette expression veut tout dire au fond, heureux ceux qui la comprendront dans leur chair, elle est universelle et ne se limite ni à l’Occident ni à notre temps. Le libéralisme pervertit d’abord le lien en le privatisant – là où l’esprit public est celui de l’abandon de soi pour l’amour du prochain, l’élévation sublime dans l’esprit et les œuvres en toute humilité et modestie de l’homme de chair limité. Il érode et dissout ensuite les liens en conduisant à l’individualisme, à la compétition sans objet, aux luttes égoïstes, aux orgueils démesurés et à l’oubli de l’essentiel, à savoir le lien incarné par la Foi dans la charité, la joie et l’espérance. La libéralité, l’homme libéral de toujours, incarnait pourtant cette charité ! Quel dommage.

Revenons donc à l’homme libéral de toujours, celui qui agit gratuitement pour incarner la charité, en toute modestie et humilité, dans la joie simple de prendre soin, pour de vrai, de son prochain.

Le sujet du Roy de demain se retournera certainement vers ce temps troublé et ne comprendra pas plus que les sujets d’hier et d’aujourd’hui cette bizarrerie cruelle due à une folie momentanée, certes, mais exemplaire en ce qu’elle existe pour ne jamais plus oublier l’essentiel. Et le sujet libéral le sera, en son sens vertueux s’entend.

Soyons libéraux, nous tous sujets, envers notre Roy avant tout, offrons-nous dans des actions incarnées et gratuites et offrons ce qui nous est possible d’offrir !

Pour Dieu, pour le Roy, pour la France.

Paul de Beaulias

             

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