Idées

Lettre d’un émigré. Servir fait partie de la nature humaine

Laissons aujourd’hui la parole au Genshitsu Sen, dans une de ses chroniques délicieuses[1]. Il nous amène par les voies de la philosophie nipponne vers des terrains plus connus et une estime chaleureuse pour les enseignements chrétiens. Il réaffirme l’importance de cultiver la vertu et la foi, essentielles et fondamentales, sans lesquelles il ne sert à rien d’étudier. On apprend en bref d’abord à être vertueux et à s’abandonner à la foi, puis ensuite seulement on peut réellement apprendre dans les livres avec la raison. Et puis, comme nous l’apprend le Christ, notre nature nous porte à servir, servir et servir encore, à son exemple. Il faut donc accepter notre nature et servir :

« Faire le ménage dans son cœur par un entraînement quotidien »

Dans les Entretiens [de Confucius], on trouve l’enseignement suivant :

« Le chemin du disciple commence par être un bon fils plein de piété filiale, puis un frère, plein d’humilité et de foi, il pourra alors commencer à aimer la multitude, et à se rapprocher de la vertu. Si à ce stade il lui reste encore quelque force, alors qu’il commence à étudier les lettres. »

Lorsque j’étais sous la direction de mon vieux maître Gotô du Zuigan dans ma jeunesse, j’ai souvent entendu cette maxime. Pour être digne de devenir un disciple, il faut d’abord naturellement servir bonnement son père et sa mère dans le foyer et accomplir la voie de la piété filiale. Puis, une fois sorti du foyer, il faut bien servir ses chefs, et, par les rencontres de gens très différents, apprendre à aimer chacune de ces personnes, sans jamais se laisser aller à la jalousie ni à l’envie.

            Puis, une fois que l’on commence à acquérir un bon sens sur les choses du monde et de la vie, et à discerner droitement, cette personne doit enfin aller quêter un enseignement de sagesse, pour étudier livres et arts. Il est normal que les enfants doivent subir de nombreuses épreuves durant leur jeunesse. Il est bon qu’avec la croissance de l’enfant, il s’habitue à endurer les douleurs et les épreuves, et qu’il apprenne à les surmonter. Quoique l’on en dise, ces expériences sont une chose précieuse.

            Les parents doivent conduire leurs enfants avec fermeté mais souvent cela n’est pas si facile. Pour peu, et sans se rendre compte, on gâte l’enfant. Puis, une fois adulte, cette gâterie lui restera. Il sera moins disposé à prendre son prochain en miséricorde. Les hommes possèdent inexorablement le devoir et la mission, qui leur sont donnés à la naissance, de se servir mutuellement. « Il  exagère », pourrez-vous penser. Pourtant tous les sages des temps enseignent cette vérité, et mon expérience ne m’en a que plus convaincu. On trouve dans l’évangile selon Matthieu, dans le Nouveau Testament, ce verset : « Le Fil de l’Homme (le Christ) n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. » Le Christ comme Bouddha sont venus dans ce monde pour que nous nous dirigions vers le bien.

On entend parfois que « divinités et bouddhas n’existent pas ». Ces derniers temps, il y a des gens qui ni ne remercient la personne qui leur fait une faveur, ni ne pensent même à être reconnaissants, considérant cette attention comme tout à fait normale. Cela arrive encore plus souvent parmi des personnes plus âgées, peut-être parce qu’elles doivent subir plus de solitude, et envient inconsciemment les autres, dans une saillie de « l’ego » avant le reste. La maxime de la voie du thé, l’esprit « harmonie, respect, pureté et sérénité », contient le mot « respect » qui signifie en clair la sagesse de l’amour universelle et fraternelle. C’est l’amour que l’on peut donner envers tout homme. Et cette sagesse raconte cette communion, sans discrimination, de toute la terre.

            Dans l’évangile de Matthieu, Jésus eut ces paroles : « Employez tout votre cœur, employez toutes vos pensées, employez toute votre sagesse » et « Aimez votre prochain comme s’il était vous-même ». Je ne suis pas un chrétien, mais comme j’ai eu la chance d’avoir étudié dans une école chrétienne, j’ai pu lire la Bible, entrer dans une église, et chanter les chants chrétiens. En tant que disciple de Bouddha, je connais bien sûr ses enseignements et les sutras.

            J’ai découvert dans mon cheminement que l’accomplissement véritable de la foi, par-delà toutes les religions de cette Terre, se trouve dans la voie du thé, qui incarne aussi une philosophie de la paix.

            Pour pouvoir bien servir le thé à son hôte, en étant parfaitement hospitalier, il est nécessaire de s’approcher d’un certain vide. Pour se rapprocher de cet état « de vide » il faut d’abord faire le ménage, puis le ménage, et enfin encore, le ménage. Si vous pouvez, par un entraînement et une attention quotidienne, faire ne serait-ce qu’un peu le ménage dans votre âme, alors vous serez sur la voie. L’important est de cultiver et nourrir l’âme au quotidien, dans tous les instants, et tout se résoudra. Une sagesse du zen nous dit « l’âme au quotidien, c’est cela la voie[2] ». Cela signifie s’efforcer tous les instants de sa vie, avec son cœur normal, qui n’a rien de particulier. Qu’est-ce qu’un cœur normal ? En un mot, ne serait-ce pas l’âme qui a abandonné son ego ? »

Paul de Beaulias

Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France



[1]    Sankei Shinbun, dimanche 9 novembre 2014, p.1.

[2]    平常心是道, fait aussi penser irrésistiblement à « l’habitude » de Aristote, où la vertu c’est d’être habituellement bon, et sans efforts, par la répétition constante du bien.

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