Idées

Lettre d’un émigré. Se souvenir plutôt que savoir

« Il est néanmoins très difficile de bien se souvenir. Hideo Kobayashi souligne que l’histoire consiste bien plus à « se souvenir » plutôt qu’à « savoir ». Toute la substance de l’histoire ne se trouve en effet pas vraiment dans l’étude d’une aride connaissance historique, mais bien plus dans ce qu’implique l’action de « se souvenir », c’est-à-dire ne pas hésiter à entrer en rapport avec l’histoire, y faire participer son âme pour l’irriguer de vie. Je crois vraiment que là se trouve l’enjeu dans la façon dont nous faisons l’histoire aujourd’hui. »[1]

            Les Français se meurent de la maladie révolutionnaire inoculée cruellement à nos enfants par la République terrible. Après avoir massacré Dieu et les bonnes mœurs, on finit de détruire toute intelligence sous un couvert risible de « savoir », de « logique » ou d’ « esprit scientifique ».

            Le début de la fin fut et reste l’idéalisme absurde des misosophies des lumières qui ont fait accroire que la sagesse devait de se séparer de la pratique et du réel, créant cette robotique logique qui ne satisfait de rien à part à broyer tout dans sa promiscuité irréelle qui torture les hommes dans le monde concret en s’accommodant fort bien de la négation de toute existence invisible, et donc de toute spiritualité dans l’absurde contradiction de diviniser de la raison pure qui n’a plus de lien avec le réel. La religion en fut la première victime, souvent par les officiers de la religion même, qui oublie trop souvent la présence réelle de Jésus dans le monde et à commencer dans le Saint Sacrement.

            Un symptôme visible et typique de ce genre de maladie moderne consiste dans l’apprentissage de « l’histoire ». Il suffit de constater l’état pitoyable de l’instruction, qui n’existe que  si peu et à laisser la place toute entière à l’endoctrinement athée, pour remarquer que le processus de destructuration passe par la destruction de la mémoire.

            Comme le rappelle la citation japonaise, l’histoire en tant que savoir est en soi une chose étrange dont tout un chacun devrait se méfier : comment, en effet, croire une histoire unique et universelle, déjà idéaliste et univoque, qui se déconnecte de toute réalité, pour parler de concept révolutionnaire comme le progrès, les systèmes et autres lubies modernes. Il est assez effarant de contempler les obsessions contemporaines des pseudo-historiens qui ne cessent de vouloir idéologiser, c’est-à-dire transformer en pure idée de raison déconnectée de réel de chacun, les réalités historiques. L’histoire est en effet avant tout une mémoire, et comme toute mémoire, elle se raconte et se transmet. Elle ne peut absolument pas être ni univoque, ni unique, ni universelle. Nous avons tous notre histoire, et nos histoires familiales, qui sont les premières et les plus importantes. L’histoire n’est pas faite d’idées, mais d’ancêtres qui vécurent, œuvrèrent et moururent. Ils nous apprennent les bonnes actions et les mauvaises à éviter. Ils nous lient aux choses plus grandes, à Dieu, au Roi, à la Maison ; à notre village, à notre pays, à notre nation. Mais cela ne peut se faire que par le biais de la mémoire transmise.

Bien faire de l’histoire, c’est donc travailler à se souvenir et non pas à savoir. La différence de ces deux mots est essentielle. Le verbe savoir contient cette nuance qui est de vouloir conceptualiser, c’est-à-dire supprimer le réel et l’humain, pour trouver système, institutions et lois de l’histoire, dans une vision des choses artificielles et sans âme. Se souvenir part du principe que des gens, autrefois, ont vécu et furent acteurs, comme nous vivons et sommes acteurs aujourd’hui, mais dans leur contexte particulier. Tout pouvait différer, mais, comme nous, ils sont des hommes, et nous sommes liés à eux par les liens des lignés et par les liens divins. Ils sont morts, mais ils restent vivants là-bas. Se souvenir, c’est vouloir connaître, avec une certaine bienveillance qui n’empêche jamais la perspicacité et l’honnêteté. Car quand on se souvient, nous regardons les choses comme sujets, comme si nous nous voyions nous-mêmes, et on sait que si on est capable du pire, on peut aussi faire le bien. Cela permet d’éviter de condamner définitivement, comme le fait si souvent l’histoire-savoir des systèmes qui est bien loin de toute sagesse.

Le savoir n’a de raison d’être que s’il est incarné dans le réel, dirigé par la présence réelle et les vertus. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de regarder l’histoire en se souvenant afin de mettre son esprit dans la tournure de bienveillance, sans laquelle on ne fait soit que se perdre dans un idéalisme froid, mécanique et inhumain, soit dans une obsession haineuse qui cherche à salir tout ce qu’il voit et ce qu’il touche.

Que peut bien une histoire aride face à l’histoire de nos ascendants, des gens que l’on connaît ou des gens que l’on ne connaît pas directement mais que l’on connaît à travers le fil des générations ? Et cela encore plus pour l’histoire récente : celle enseignée à l’école n’est qu’idéologie et matraquage de contre-vérités. C’est la vision du vainqueur. Là où même cette histoire est inutilement enseignée, car il suffirait que nos grands-parents et parents nous racontent leur vie pour qu’on la connaisse bien mieux.

L’incarnation divine, l’incarnation du roi, notre incarnation dans des lignées nous appellent à nous souvenir, seule façon d’atteindre une sagesse qui nous relie à l’histoire. Lien dans la verticalité temporelle et divine, lien dans l’horizontalité terrestre, science comme art de lier et relier pour mieux marcher sur la voie divine dans cette vie fragile qui nous est confiée.

Paul de Beaulias


[1]    Akinori TAKAMORI (Collectif), Problème Yasukuni (靖国問題), Tôkyô, Seirindô, 2011 p.60/61 « しかし、この上手に思い出すことというのは大変難しい。歴史を知るということは、歴史の知識を学ぶというよりも、思い出すということ、歴史に関わる、魂が参与することであると小林秀雄は書いております。私はまさにそういうことが今、問われているのではないかと思います。 »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.