Tribunes

Une mémoire oublieuse

La mémoire ne remémore pas, elle anticipe. Ce que les sciences cognitives nous disent, la vie politique nous le montre. Toute commémoration est une voie royale vers l’inconscient collectif et ses constructions imaginaires. Régis Debray ne s’y est pas trompé, qui vit dans l’incomplétude essentielle de toute société une source symbolique permettant seule de clore le corps collectif. Quêter le sens d’un rituel commémoratif, c’est remonter la piste de son inspiration idéologique.

Cette année 2014 aurait dû, pour le peuple de France, avoir la force du rappel et la vigueur d’un appel. Car l’année 1214, il y a huit cents ans, célébrait la victoire de Bouvines, et portait au jour le futur Saint Louis. Autant dire que notre nation serait bien inspirée de rendre grâce à son acte de naissance. Elle éviterait ainsi cette morbide entropie qui la guette dangereusement. Ce que sacralise actuellement la République, pourtant, ce sont au contraire tous ces désastres qui auront mené notre France aux marges de l’Histoire universelle. Les deux Guerres mondiales, rejetons du rationalisme moderne, ont également engagé la lente déconsidération d’un idéal, la nation, qui n’est certainement pas né de son sein.

En se détournant de la vérité historique, les dirigeants de notre République se font les rédacteurs d’un fallacieux palimpseste. L’orthodoxie moderne nous impose en effet son Dogme fondamental : une rigoureuse équivalence entre la République, la Nation et le Droit naturel moderne. Avant moi, le Déluge ; oui, mais avant le Déluge… la Création. Car la res publica, avant de désigner ce Léviathan étatique fondé sur une loi égalisatrice, constituait plus profondément un idéal moral ; celui que les clercs inspiraient au monarque carolingien afin d’agir, en roi très chrétien, selon l’intérêt général. La res publica, ce fut également l’ensemble des biens matériels qui organisent la prospérité générale. Philippe Auguste, si superbement ignoré cet été par la République officielle, rendit au royaume de France son indépendance face au Pape, à l’Empereur et au Roi d’Angleterre ; il offrit également à ses sujets l’unité nouvelle d’un populus lentement transfiguré en nation.

Comment expliquer que les Gardiens de la République, qui insistèrent jadis sur la naissance révolutionnaire de la nation et des frontières modernes, soient les mêmes, aujourd’hui, à se faire les thuriféraires de leur destruction programmée ? Les mots de natio et de frontier apparurent au début du XIVème siècle, conférant alors leur sens authentique à ces inventions du génie occidental : une libération concrète de l’individu national, désormais situé entre le particulier et l’universel, c’est-à-dire entre le prince et l’empereur.

Le sens historique du peuple français renvoie à une nation monarchiste et chrétienne, c’est-à-dire : indépendante.  Sa compréhension contemporaine devrait l’éloigner de toute forme d’allégeance extérieure. Et sa rationalité s’inspire essentiellement de celle de Pascal, homme de science comme de piété, qui supportait la raison par la foi, tout en consolidant la foi par la raison. Le peuple de France, malheureusement, possède ses raisons universelles que la raison technicienne ne veut plus connaître.

Louis Chassenay

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.