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Serviteurs de la Tradition, par le P. Jean-François Thomas

Ce que nous appelons Tradition — encore faut-il en donner une définition, et ceci se trouvera dans les lignes suivantes —  semble être une forteresse constamment en siège par la force des ennemis multiples qui passent plus de temps à vouloir la détruire qu’à travailler à ce qu’ils nomment « progrès ». En effet, à première vue, le tenant de la tradition est celui qui s’accrocherait au passé, tandis que l’homme éclairé préparerait l’avenir. D’un côté donc l’immobilisme étroit et frileux, de l’autre l’ouverture d’esprit et le goût de l’entreprise conquérants. Rien n’est plus faux en vérité, mais les caricatures ont la vie longue et résistent à toutes les analyses critiques et rationnelles. La Tradition — ne parlons pas ici du sens strictement religieux — est, pour tout homme, l’ensemble des valeurs qu’il reçoit en héritage dans son berceau, ceci sans effort et sans mérite de sa part. Elle nous dépasse et ne nous appartient pas. Elle est distillée dans notre biberon et elle se trouve dans nos veines, don gratuit comme le lait de notre mère.

Les partisans du progrès illimité veulent être, quant à eux, les artisans de ce progrès et de son contenu. Ils vident les vieilles bouteilles et cassent souvent les récipients. L’héritage ne s’impose pas à eux, mais, en l’évacuant, leur propre sang part aux égouts puisque la Tradition est constitutive de ce que nous sommes. Ils considèrent qu’il existe un progrès rectiligne, incessant, uniforme, comme celui chanté déjà par Condorcet qui finira dévoré par son enfant chéri. Le progrès est un mythe érigé en religion avec ses dogmes intouchables. Celui qui accepte la Tradition sait qu’il n’y a qu’un progrès qui tienne : celui de l’intériorité. Il sait que la marche du monde intensifie la lutte du bien et du mal et que l’homme intérieur est écartelé par ce combat. L’homme de la Tradition est un être eschatologique qui assiste au dénouement tragique et heureux de l’univers selon les paroles de Notre Seigneur à la fin de l’Apocalypse. Le mal s’intensifie, le bien s’enrichit :

« Que celui qui fait l’injustice, la fasse encore ; que celui qui est souillé, se souille encore ; que celui qui est juste, devienne plus juste encore ; que celui qui est saint, se sanctifie encore. Voilà que je viens bientôt, et ma récompense est avec moi, pour rendre à chacun selon ses œuvres ». (XXII, 11-12)

Les chantres du progrès ont raison dans un sens qui leur échappe : la seule évolution réside dans la tension entre le bien et le mal. L’homme grandit en perversion, grâce à tous les moyens qu’il invente pour arriver à ses fins, et, en réponse, l’homme intérieur est nécessairement plus intérieur. Aujourd’hui, l’héritier conscient de la grâce qui lui est accordée, attachera un soin encore pus particulier à la conservation de ce qu’il a reçu. Il sait qu’il possède la perle précieuse et qu’un trésor se cache, enfoui, dans son champ. En fait, dans cette marche dramatique, la plupart des antagonistes ne réalisent pas qu’il n’existe qu’un protagoniste, le Christ Sauveur. Seuls les serviteurs de la Tradition en ont l’intuition ou une connaissance plus ou moins pointue et parfaite. Plus la pièce se joue, plus les répliques sont cinglantes et les confrontations virulentes. Il ne faut pas s’étonner que la machine s’emballe puisque le Maître l’a annoncé. Le serviteur fidèle n’a pas pour tâche de s’opposer de front au drame dans lequel il est plongé. Il a pour mission de grandir en justice et en sainteté dans un monde de plus en plus souillé et injuste pour reprendre les mots de l’Apocalypse.

Les utopies et les illusions sont florissantes à une époque où l’homme prétend ne plus reproduire les « pages les plus sombres de son histoire », comme le répète à l’envi ce refrain à la mode. Plus l’homme a la prétention de dépasser ses aïeux, plus il commet pire qu’eux, puisque libéré de toute contrainte morale et religieuse. Le monde où sont légalisés et encouragés avortement, euthanasie, manipulations génétiques, perversions de toutes sortes, où les guerres propres sont de plus en plus sanguinaires, où le bien commun disparaît au profit de quelques-uns, est celui qui se permet de juger, de condamner les générations précédentes, sans avoir l’honnêteté de reconnaître qu’il a dépassé depuis longtemps les bornes de l’admissible et du pardonnable. L’ingratitude est devenue monnaie courante. Bien évidemment, tout le contenu de notre héritage n’est pas de même valeur et il existe des transmissions qu’il faut briser si elles appartiennent au mal. Le problème est que le monde contemporain jette le bébé et garde l’eau sale. Nous détruisons la maison paternelle sous le prétexte d’en construire une à notre goût, forcément plus confortable, sans nous rendre compte que nous partons alors à la dérive puisque nous coupons toutes les attaches avec le passé millénaire de notre civilisation.

L’Église catholique s’était préservée, pendant presque vingt siècles, de cette lubie démoniaque de progrès. Sa tâche fut toujours de conserver ce qui échappe à la furie humaine, ceci dans tous les domaines, à commencer par la vie morale. Elle s’est sans cesse battue à partir de son foyer, résistant ainsi à toutes les attaques venant de l’extérieur et cherchant à bouleverser la maison paternelle. Elle demeura ferme, quoique blessée, par toutes les ruptures opérées au cours des siècles : l’hérésie luthérienne, la révolution cartésienne, le projet rousseauiste, le cataclysme révolutionnaire, la décadence artistique, la perversion des mœurs etc. Tous ces ennemis vinrent de différents horizons, en ordre dispersé : l’Église demeura ce qu’elle est car elle ne commit pas l’erreur de sortir en terrain découvert. Elle savait qu’elle n’était que la servante de l’âtre et qu’un Autre devait mener le combat. Saint Ignace de Loyola, dans les Exercices Spirituels, exprime parfaitement ce face à face, ceci dans la méditation dite des « deux étendards » : au grouillement terrifiant des armées de Satan, « horrible et terrifiant », répond le Christ « en humble place, beau et gracieux » dont les soldats sont des apôtres et des disciples évangélisateurs, des hommes intérieurs. Ces derniers répondent à l’ordre, inscrit également dans l’Apocalypse : « Confirma cetera, quae moritura erant » (« Sois vigilant et confirme tous les restes qui étaient prêtes de mourir »). Et puis, soudain, l’Église fut saisi du mal des ardents et commença à gratter ses ulcères en se lamentant et en tendant la main aux ennemis qui n’eurent pas grand mal à entrer dans la place puisqu’il avait été conseillé d’ouvrir grand les portes et les fenêtres. Elle voulut sauter dans le train en marche vers l’abîme au lieu de rester sagement à l’abri et de chérir tous les restes de culture et de civilisation. Leonardo Castellani, réfléchissant sur ce qu’est la Tradition, soulignait qu’il serait plus facile aux hommes de reconstituer tout l’univers physique que le monde moral et intellectuel, si fragile, qui constitue le véritable patrimoine de l’humanité. Ce qui est détruit est perdu à jamais. Les restaurations ne sont jamais un retour à l’état originel.

Voilà pourquoi il est bon d’être serviteurs de la Tradition, et simplement cela, comme Marthe et Marie servant Jésus dans la maison de Béthanie. L’une s’active, l’autre écoute, mais toutes deux donnent tous leurs soins à cette demeure qu’est l’Église où se repose le Maître. Elles prennent garde à ne pas mêler ce qui est comestible à ce qui est empoisonné ou avarié. C’est ainsi que la sainte doctrine est protégée et qu’une culture saine peut prospérer. À vouloir tout mélanger, le résultat est explosif et il ne reste que champs de ruines car le vénéneux l’emporte toujours en présence de ce qui ne l’est pas. Le Maître fait et fera le tri. Le serviteur a pour mission d’abriter ce que le Maître lui remet comme un dépôt unique fait pour la suite des âges.

P. Jean-François Thomas, s. j.

2 réflexions sur “Serviteurs de la Tradition, par le P. Jean-François Thomas

  • « … Elle ( l’Église) voulut sauter dans le train en marche vers l’abîme au lieu de rester sagement à l’abri et de chérir tous les restes de culture et de civilisation… »
    Ce fut donc une erreur d’appréciation de l’environnement intellectuel et spirituel où grouillaient déjà les suppôts de Satan et ce fut même avec le temps une faute majeure qui risque d’être funeste. S’en apercevant, la sagesse eut été de le reconnaître. Il convient donc maintenant de se mettre à l’abri pour se protéger et continuer de vivre. Il faut sans doute aussi cesser de coopérer avec les républicains laïcards anti-cléricaux et les illuminés de Davos qui prennent plaisir à voir brûler nos églises et nos cathédrales. Vu les événements, le retour vers les catacombes, hélas, sera vraisemblablement bientôt à l’ordre du jour…

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  • Benoît LEGENDRE

    Notre pauvre Eglise Catholique est entre de trop mauvaises mains actuellement… l’offensive imbécile des fanatiques conciliaires va nous faire encore beaucoup de torts ! Je crains moi aussi que les catholiques ne se réveilleront que lorsqu’ils subiront le fouet et le mépris (déjà existant) des tenants de la charia ! sous le regard satisfait des “juifs perfides” qui n’ont de cesse de refuser de reconnaître le Messie… depuis bientôt deux mille ans !

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