Tribunes

Être républicain sans l’être, posture de la droite nationale

Ecouter le débat avec Marion Maréchal Le Pen lors du colloque de l’Action française « Je suis royaliste, pourquoi pas vous ? » permet de déceler les motifs de l’animosité, quand ce n’est pas de la haine, que suscite le Front national au sein de la classe politico-médiatique plus « classique » (i.e. : exerçant le pouvoir ou faisant semblant de s’y opposer avant d’y revenir pour y exercer la même politique que les prédécesseurs).

La jeune femme, député du Vaucluse, déclarait se rendre à ce colloque pour y représenter les partisans de la République. Elle ne manquera d’ailleurs pas d’exprimer à plusieurs reprises son attachement aux institutions de la Vème République. Pourtant, à l’entendre, on relèvera plusieurs signes de reconnaissance, voire sa déférence pour le régime monarchique. Elle consentira bien volontiers à reconnaître l’importance du christianisme dans l’identité française et européenne, rendant hommage à Clovis, premier roi des Francs.

« Vous êtes bien républicaine ? » demande Arnaud Pâris. « Pas pour tout le monde » répond la jeune femme. On touche-là le nœud du problème, le point de crispation et l’origine du mépris dont fait l’objet le Front national. Du temps de Jean-Marie Le Pen, l’on pouvait feindre de croire que l’antisémitisme ou le racisme supposés du dirigeant du parti « d’extrême droite » en étaient la cause, même si l’on souriait alors en découvrant le passé d’une partie du personnel républicains au plus hauts échelons de l’Etat ou dans les plus grands partis politiques au pouvoir.

Sous la présidence de Marine Le Pen, les accusations de racisme ou d’antisémitisme font pouffer les politistes les plus sérieux. Alors, pourquoi ce mépris ? Parce que le Front National n’est pas, dans une certaine mesure, un « parti républicain ». Pas au sens, en tous cas, où le système l’exige.

Qu’est-ce qu’être républicain ?

Il existe en effet plusieurs manières d’être républicain. Peut-être deux, en définitive :

  • La première consiste à adhérer en l’hypothèse d’une souveraineté nationale (et non populaire, qui elle n’est qu’un mythe) incarnée par des représentants élus. Il s’agit purement d’un mode d’expression de la puissance étatique, symboliquement attribuée au peuple (ce que les contre-révolutionnaires critiquent comme étant une fumisterie hypocrite), et configurée dans un cadre institutionnel où prédomine l’image d’un élu (même si ce-dernier ne dispose pas réellement du pouvoir.)
  • La deuxième conception du « républicanisme », c’est l’adhésion à un système de valeurs. Par exemple, Régis Debray, dans un long plaidoyer républicain, tentait d’expliquer combien la République n’était pas la même chose que la démocratie, même si l’une et l’autre devaient aller de pair (dans son esprit).

C’est sur cette deuxième conception que se fonde toute la stratégie de diabolisation dont a fait l’objet le Front national. La République, en France, s’est construite presque comme une religion (ce que Vincent Peillon n’a pas manqué de confirmer en considérant que la Laïcité devait aussi se concevoir comme une forme de religion concurrente au catholicisme, religion de l’ancien France, de la France monarchique). Tout comme le libéralisme s’est lui aussi coloré d’une forme de mystique religieuse, en Angleterre mais surtout aux Etats-Unis et sa Démocratie unie « sous le regard de Dieu » (et d’une pyramide ornée d’un œil…)

Ne pas adhérer aux valeurs de la République, à son message, à l’idéologie qui la sous-tend, bref à sa théologie et à son catéchisme… c’est s’exclure dès lors du champ des républicains. Peu importe que l’on prône ou non une conception républicaine des institutions !

Bien sûr, ces valeurs ont évolué avec le temps, et celles d’aujourd’hui ne coïncident pas parfaitement avec celles d’hier. Même si on aurait tort de penser qu’il n’existe aucune forme de continuum entre les valeurs républicaines de la Révolution française et de la troisième République, patriotiques et anti-religieuses, et celles d’aujourd’hui, libérales et mondialistes. On y retrouve à chaque fois le goût de l’Humanité déracinée, de l’Histoire effacée, de l’identité balayée.

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, toute la stratégie des partisans du système libéral s’est axée autour d’un chantage au nazisme : « ce sera nous, ou le fascisme », c’est-à-dire le national-socialisme, la guerre, les persécutions, les massacres, la Shoah.

En France, le mitterrandisme a, avec un cynisme glaçant, particulièrement joué de ce thème pour tétaniser la droite, contrainte de se vautrer dans la fange du chiraquisme.

Les valeurs de la République

Au fur-et-à-mesure que les années nous éloignaient de la guerre, que le souvenir d’un gaullisme (patriotisme de droite) s’estompait, que le venin mai soixante-huitard imbibait la société, les « valeurs républicaines » ont achevé de se fondre dans le libéralisme moderne. « Ne pas être républicain » aujourd’hui, cela peut être conçu comme s’opposer à la libéralisation du monde (à sa marchandisation), et à ses deux piliers :

  • Le consumérisme à tous crins et son corolaire, l’édification de « l’homo festivus » (Philippe Muray), ce « citoyen » uniquement préoccupé par la fête, donc plus à même de consommer.
  • La dilution des communautés naturelles (famille, nation) obstacles à un libéralisme complet, car autant d’interdits, de retenues, de limites, de solidarités naturelles contre la marchandisation.

Neutralisons immédiatement les accusations de complotisme : l’on parle ici d’idéologies, pas de conseils occultes, de « cabinets secrets » agissant dans l’ombre. Les idées mènent parfois le monde plus sûrement que les gouvernements, les journalistes, etc.  En revanche, le rôle de certaines loges maçonniques, de groupes d’intérêts, de puissances financières internationales ou de « think tanks » est incontestable dans la diffusion des valeurs libérales.

C’est la surprenante contradiction de la société française, d’une part hostile au libéralisme, mais d’autre part totalement convertie à ses conséquences. Comme si elle se lamentait de maux dont elle chérissait les causes, pour reprendre le mot de Bossuet.

Pratiquement aucun parti n’adhère pleinement, totalement, à l’idéologie libérale (un peu comme aucun Homme ne peut se vouer pleinement à Satan ?). Certains sont certainement plus pervertis, d’autres tentent de justifier leur antilibéralisme partiel en se faisant le porte-étendard acharné d’autres facettes du consumérisme (l’extrême gauche s’en est fait une spécialité.)

Le FN : le moins républicain de tous les partis

Le Front national, surtout sous l’influence de Marine Le Pen, tente d’incarner le fer-de-lance de l’antilibéralisme : rétablissement des frontières, défense de l’identité nationale, réarmement d’un Etat colbertiste, fin de l’Union européenne…

Et, quand Marion Maréchal Le Pen se déclare républicaine sans manifester à cet égard l’exaltation quasi-religieuse qu’on escompterait d’une « élue de la République », elle démontre par elle-même, au final, ce peu d’attachement qu’elle a pour l’idéologie du système.

Quand elle dit que « le Front national est le plus monarchiste des partis », ce n’est qu’à moitié faux. L’expression la plus exacte serait de dire que le Front national est, en fait, le moins républicain des partis. Une forme de vertu à nos yeux, un vice inexpiable pour d’autres.

A ce titre, il est tout naturel qu’on lui fasse régulièrement son procès d’anti-républicanisme, non pas pour un présupposé racisme ou antisémitisme, dont on peine à déceler la substance chez les cadres actuels du mouvement (surtout depuis l’éviction de Jean-Marie Le Pen), mais parce qu’il porte une contestation, dont il est d’ailleurs loin d’être le seul dépositaire, et dont seules les circonstances et les remous de l’histoire politique des cinquante dernières années  lui ont attribué la gouvernance.

D’autres tentatives d’antilibéralisme cohérent ont en effet vu le jour : la gauche chevènementiste, la droite villiériste, et même la gauche radicale mélenchonniste (mais dont les limites sont rapidement atteintes dès que l’on touche aux questions relatives à l’identité nationale, à l’immigration.) C’est le Front national qui a éclipsé toutes ces aventures. Ceux qui professent la foi républicaine ne le lui pardonnent pas.

Républicain sans l’être : une incohérence fatale ?

Achevons par une critique, car si le Front national a sans doute des qualités (comme tant d’autres partis, à gauche ou à droite, aux marges du système), son combat se fragilise d’une incohérence à notre sens fatale. Parce que s’il n’est pas vraiment républicain, comme nous venons de le voir, il n’en demeure pas moins attaché à une conception républicaine du pouvoir, de l’Etat.

Sans doute, y eut-il des rois mauvais, même en France. Et, s’il est probable qu’il a existé de bonnes républiques, et qu’il en existe encore aujourd’hui… c’est ailleurs dans le monde, mais pas en France ! En France, la République ne peut pas être réduite à une forme institutionnelle ; elle ne le peut pas du fait de son Histoire, du fait de sa composition, de son héritage, de sa démographie… et surtout, à cause du passé de la République. En France, la République, fille de la Révolution, des persécutions religieuses, de l’idéologie des Lumières, ne peut pas être autre chose que « républicaine ». Or, ce que propose Marion Maréchal Le Pen, avec une République qui défendrait le pays réel contre l’oligarchie mondialiste, ce serait une République… antirépublicaine.

Et pour Marion Maréchal Le Pen, très attachée à l’héritage chrétien de notre pays, il sera très difficile de faire la synthèse de cette défense avec une République violemment anticléricale dès son origine. Une République qui place (au sein de la Déclaration des Droits de l’Homme) les convictions religieuses au rang de simples opinions, quand le contexte exigerait qu’on en fasse le ciment de notre société.

Au demeurant, la « mue » inspirée par Florian Philippot, qui multiplie les allégeances à la symbolique, au phrasé, à la mythologie républicaine… jusqu’à qualifier le royalisme de « folklorique », témoigne de cette contradiction, de cette instabilité qui, tôt ou tard, exigera de trancher.

Stéphane Piolenc 

 

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