Tribunes

Chrétiens en politique, levain dans la pâte ou grands cocus ?

Depuis quelques mois on parle de nouveau des chrétiens engagés en politique. Issus du mouvement de la Manif pour tous, les jeunes des groupes Sens commun, liés à l’UMP ou de Fonder demain, qui occupe plutôt le versant universitaire, font parler d’eux. Récemment, Sens commun aurait fait plier Nicolas Sarkozy sur la question du mariage des personnes de même sexe. C’est aller un peu vite en besogne. Il n’a pas parlé de mettre fin à cette institution, mais de la distinguer du mariage de personnes de sexe identique, ce qui, probablement, ne sera pas fait. A cela il faudrait ajouter d’autres mouvements, comme le Mouvement chrétien démocrate, ancien Mouvement des citoyens, de Christine Boutin, et enfin, sur le versant libéral, La Boîte à idées, groupe interne à l’UMP, si elle ne se revendique pas officiellement chrétienne, est dirigée par des leaders chrétiens. Ce ne sont que les principaux groupes nés dans les dernières années. Il y a, en vérité, un très grand nombre de groupes politiques chrétiens plus discrets, ou de personnalités politiques chrétiennes qui, dans tous les partis, n’appartiennent à aucun mouvement politique chrétien. Devant ce que l’on nous présente comme une nouvelle floraison, il est intéressant de se pencher sur ce que c’est que ces chrétiens en politique.

Un phénomène ancien et presque toujours marqué du sceau de l’échec.

La présence de personnalités dont l’engagement est animé par leur foi, en politique, est un phénomène qui n’a rien de nouveau. Bien sûr, au XIXe siècle, au Parlement, on comptait sur les bancs des prêtres et des évêques, mais aussi des laïcs engagés comme Montalembert ou Albert de Mun. Plus récemment, après la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, on a connu le Sillon, qui devint avant 1914 le premier parti chrétien démocrate français. Avant la seconde guerre mondiale, deux grands mouvements de masse se revendiquaient du christianisme, la Fédération nationale catholique fondée par le général de Castelnau en 1924, dont l’organe de presse subsiste toujours, le magazine France catholique, et le Parti social français, issu des Croix de feu du lieutenant colonel de La Rocque. Après la seconde guerre mondiale, ces mouvements, dispersés durant la guerre, ne se reconstituèrent point. Place à la démocratie chrétienne, ce fut le temps du MRP, puis très récemment des Républicains indépendants et de l’UDF qui, sans être explicitement chrétiens, rassemblaient ce qu’il restait de la démocratie chrétienne française. Aujourd’hui c’est en ordre dispersé que les chrétiens combattent. Leur petit nombre explique sans doute la dissémination de ce qui était jadis de gros bataillons et n’est plus qu’un ramas de francs tireurs.
De ce point de vue, ils ont raison cent fois, aujourd’hui, de rejoindre les grands partis où leur voix se fera entendre avec bien plus de force que s’ils demeuraient dans leurs petits cercles.

Quelles furent les réalisations concrètes de ces personnalités politiques et de ces partis ? Leur oeuvre au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle est immense. La France leur doit le dimanche chômé, les allocations familiales, les principales mesures ayant rendue vie aux syndicats interdits durant presque tout le XIXe siècle, la protection de l’Ecole libre par les lois Falloux et Debré, pour ne citer que les mesures essentielles. C’est chez eux que l’on trouva le souffle principal du renouveau, entre les deux guerres, où fut puiser, durant la seconde guerre mondiale, les principales mesures réformatrices du régime de Vichy et du Conseil national de la résistance.
Mais, parallèlement, il y a tout ce qu’ils n’ont pas pu faire. Ils se sont montrés incapables de revenir au XIXe siècle sur la question du divorce. Ils n’ont pas su, au XXe siècle, endiguer l’évolution du mariage vers une contractualisation toujours plus grande. Ils ont échoué à empêcher la diffusion de la pilule abortive, la dépénalisation de l’avortement, la généralisation de sa pratique (225 000 avortements par an, en France, depuis 1975). Ils ne semblent pas s’intéresser à la mainmise toujours grandissante de l’Etat et des idéologies de la déconstruction dans l’enseignement. Et même sur leurs anciennes victoires, peu à peu se détricote la protection de l’employé, peu à peu s’affaisse le repos du dimanche.
En somme, à des victoires passées, grandes mais insuffisantes, ont succédé les défaites du temps présent.

Des conservateurs avant tout

Cette situation peut s’expliquer par plusieurs raisons :
– La première ne relève pas des chrétiens engagés en politique, quoiqu’ils y aient une part de responsabilité, comme tous les baptisés. Au fur et à mesure que la société européenne se déchristianise, il est très difficile de résister, à la marée montante de l’hédonisme et du relativisme. Le fait que ces modes de vie soient destructeurs n’y fait rien, puisque le peuple le veut… Ce n’est pas seulement le drame de la démocratie, c’est celui de tout régime politique. Même les pires dictatures ne se maintiennent pas sans l’assentiment de la majorité du peuple. Ici, le mal avance avec le blanc seing de la volonté populaire et les chrétiens engagés en politique ne représentent qu’une petite fraction de ce peuple, souvent elle-même divisée entre diverses tendances parfois acquises à toutes ces évolutions à cause d’une mauvaise compréhension du libre arbitre.
– La deuxième est cependant de leur fait. Les chrétiens en politique sont foncièrement des conservateurs. Non pas au sens caricatural où l’entendent certaines personnalités de l’ultra gauche. Mais au sens véritable, c’est à dire qu’ils essaient de conserver, de maintenir ce qui peut l’être. Ainsi, ils tiennent fermement leurs bastions, et lorsque l’ennemi attaque, ils tentent de tenir bon, de sauver l’essentiel. Le travail du dimanche en est un parfait exemple. Ouvrir les magasins le dimanche est déjà un fait dans de nombreux secteurs. Plusieurs gouvernements ont souhaité généraliser cette ouverture. Les députés catholiques à l’Assemblée ont tout fait, non pour empêcher le projet d’ouverture généralisée voulu par Nicolas Sarkozy en son temps, mais pour limiter les dégâts. A force d’exceptions, ils ont réussi à vider cette loi de sa substance, leurs adversaires n’obtenant que quelques ouvertures de plus. Mais cette demi-victoire acquise, ils ont cessé le combat. Ils avaient conservé l’essentiel. Mais à aucun moment ils n’ont tenté de reconquérir le terrain perdu. A aucun moment ils n’ont essayé d’obtenir des assurances pour l’avenir sur le repos dominical ou de faire refermer des magasins ouverts. Aujourd’hui les voici presque impuissants devant les coups de boutoirs du gouvernement et des grandes enseignes pour ouvrir de nouveaux magasins le dimanche voire généraliser le principe du travail dominical.
Un autre exemple, encore plus parlant est celui du mariage. En 2013, ces mêmes politiques chrétiens se sont opposés autant que possible, avec l’énergie du désespoir contre l’élargissement du mariage à deux personnes de sexe identique. Mais chose étonnante, ils en appelaient au PACS comme à une très bonne loi, largement suffisante, alors qu’ils avaient tout autant combattue celle-ci par le passé. De la même manière, moins de deux ans après le vote de la nouvelle loi, ils sont de moins en moins nombreux à parler d’abrogation. Ils se concentrent sur l’adoption, la PMA et la GPA. Evidemment, personne ne remet en cause les différentes lois sur le divorce qui sont pourtant la cause première des lois successives, en faisant passer le mariage du statut d’institution perpétuelle entre un homme et une femme à celui de contrat établi entre deux personnes sans limite de sexe, et pourquoi pas un jour de nombre… Dans ce domaine pourtant vital pour la société, les chrétiens en politique ne font que tenter de conserver l’ordre établi à l’instant où ils parlent et non en général. Ils sont à chaque fois vaincus, car une fois qu’une position a été perdue, ils ne font rien pour la reconquérir. Ainsi, depuis 2001, rien n’a jamais été fait contre le PACS, et peu à peu l’idée d’un mariage homosexuel a fait son chemin. Quand la loi nouvelle a été proposée, il était presque déjà trop tard.
Puisqu’il y a quelque jour tout le monde célébrait, pour se réjouir ou s’en désoler, l’anniversaire de la loi Veil de 1975 dépénalisant l’avortement, on remarquera avec beaucoup d’intérêt que les catholiques engagés en politique sont, pour la plupart, restés très silencieux, et pour ceux qui ont pris la plume, certes ils déplorent l’avortement, mais par un retournement surprenant, face aux nouvelles attaques visant à en faire un droit banal, ils se raccrochent à la lettre de la loi Veil qu’ils ne remettent donc plus en cause. Voici comment ils sont en train de perdre leur nouvelle bataille.

En son temps, Yves-Marie Adeline a parfaitement bien résumé ce système, qu’il appelait celui du cliquet, qui fait que la droite française en général, et plus précisément ici la droite chrétienne, est piégée dans un système où son conservatisme et sa mollesse d’idée la rendent toujours perdante.

Ce qu’il faut chercher à savoir c’est comment rompre ce cercle vicieux.

Se souvenir du sens de l’engagement chrétien en politique

Quand on demande à un chrétien engagé politiquement pourquoi il a choisi d’adhérer à un parti ou de participer à des élections, il répond toujours qu’il veut défendre ses convictions, qu’il ne détaille pas d’ailleurs, ou bien se mettre au service de ses concitoyens, au service du bien commun, au service de la famille, du plus pauvre, du plus faible, d’une nouvelle vision de la politique, etc. La liste n’est pas limitative. Tout cela est très bon et beau, mais point besoin d’être chrétien pour avoir ces motifs d’engagement.

Il semble que ces chrétiens oublient que l’exigence première de leur vie personnelle est de faire leur Salut, c’est à dire de préparer toute leur existence terrestre à retrouver Dieu au Ciel, à limiter leur temps de purification dans le feu du Purgatoire et à éviter les peines éternelles de l’Enfer.

Puisqu’ils ont choisi une mission politique qui fait d’eux des acteurs publics, au service du plus grand nombre, leur premier souci doit être d’aider leurs concitoyens à obtenir le même but. En l’occurrence il ne s’agit pas pour eux d’aller prêcher l’évangile au coin des rues. Ce n’est pas la mission d’un homme politique ou d’un élu du peuple. C’est la mission propre de l’Eglise, de ses ministres et de ceux qui de manière permanente ou ponctuelle se placent à leur service. Mais il s’agit, comme le rappelle la Doctrine sociale de l’Eglise, d’établir les conditions sociales, économiques et morales, permettant aux citoyens de mener une vie qui rende possible de se concentrer sur la recherche des biens du Ciel.

C’est à dire que les lois et les pratiques de la société, si elles peuvent différer de celles voulues par Dieu et son Eglise, ne doivent en aucun cas leur être contraires. Dans la situation où la société humaine prône une législation contraire à la loi de Dieu, elle éloigne les hommes de Dieu, elle leur fait prendre un chemin de traverse qui conduit exactement où il ne faut pas aller.

En Europe aujourd’hui, plus se développent les lois qui détruisent l’équilibre de vie du travailleur, l’unité de la famille, la protection de la vie, la place de l’Eglise dans la société, plus les hommes s’éloignent de leur Salut et plus les hommes politiques chrétiens qui se taisent se rendent complices du mal.

Pie XII écrivait que la politique est la première des charités car elle veille au bien du plus grand nombre. Encore faut-il se souvenir de ce qu’est le bien souverain dans notre vie, à savoir les retrouvailles avec Dieu au Ciel… Tous les biens intermédiaires sont ou devraient être des moyens pour y parvenir. Cela va de la manière dont s’organise une cantine scolaire, jusqu’aux programmes d’armement d’une nation. Du conseil municipal au chef de l’Etat, tout chrétien doit agir dans le gouvernement régulier de la Cité, dans ses moindres aspects, avec cela en tête.

Comment replacer les priorités dans le bon sens ?

Lorsqu’un chrétien parle d’abroger la loi Veil, de remettre en cause la loi Taubira, de contester le divorce, l’homme politique chrétien lève les yeux au ciel et répond à son interlocuteur que sur le fond il a raison, mais que c’est impossible. En lui-même il pense autre chose de bien moins délicat ; il pense que son interlocuteur est un naïf, un furieux, un intégriste ou un doux rêveur, selon son humeur du jour.

En vérité, c’est ce politique qui est un naïf ou un rêveur. Comment peut-il s’imaginer un seul instant tenir contre la marée montante de l’hédonisme et de l’individualisme relativiste sans jamais faire de proposition de reconquête, sans jamais être offensif mais toujours en tentant de conserver des positions imparfaites et déjà attaquées ? Comment peut-il espérer naviguer sur une planche pourrie ?

Bien sûr que la loi Veil, aujourd’hui ne peut être abrogée. Elle fait la quasi unanimité du peuple. De plus, si par un étrange miracle elle était supprimée demain, ce serait effectivement le retour des aiguilles à tricoter dans le fond des caves. Un remède pire que le mal !

Mais l’erreur du politique chrétien est ici de ne considérer la question que sous son angle législatif et réglementaire, et de s’estimer incompétent hors de ce champ. Il ne doit pas être que conservateur, il doit être force de proposition et il doit être le point de ralliement des différentes composantes de la société civile. Pour défendre la vie naissante, il y a tant et tant à faire. L’homme politique chrétien peut faire entendre une voix différente, pour le respect des femmes et de l’enfant à naître. Il peut utiliser son influence pour promouvoir le rôle de telle association accueillant les mères en détresse. Il peut utiliser son pouvoir pour faire évoluer l’éducation sexuelle délivrée dans les collèges et les lycées dans un sens responsabilisant les jeunes. Il peut utiliser la loi déjà existante pour combattre la pornographie dans les revues, les publicités, les films. Il peut utiliser son pouvoir de maire pour le bon choix des livres dans les bibliothèques municipales, mais aussi pour orienter l’utilisation des fonds des centres d’action sociale en vue de secourir les mères et leurs futurs enfants. Il peut utiliser son pouvoir de député pour amender les lois, proposer des résolutions ou distribuer sa réserve parlementaire à des groupes de défense de la vie naissante, ou de recherche sur les maladies génétiques à l’origine, aujourd’hui, des avortements eugéniques. En somme, il peut et sans doute il doit mener ce travail de fourmi qui en fait une force de propositions nouvelles et qui érige son groupe en un parti moteur pour l’avenir. Il peut, par ce biais, progressivement, combattre la loi mauvaise, en lui retirant sa justification. Si le nombre d’avortements diminue par son action, si d’autres solutions que l’avortement deviennent connues et prisées, peu à peu cette loi sera vidée de son sens et surtout elle permettra aux hommes de s’en tirer par le haut, sans morts supplémentaires, sans souffrances nouvelles. Il y a des exemples à prendre en Slovénie, où le nombre d’avortements entre 1991 et 2010 est passé de 80 000 à 8000 par an, et en Italie, où il est passé de 240 000 par an en 1984 à 130 000 en 2009. Les lois sont toujours en place, mais les politiques, agissant avec toutes les composantes de la société civile, ont sauvé, aujourd’hui, des centaines de milliers de vies.

Voilà ce que pourrait faire le politique chrétien.

Bien sûr, il n’est pas un grand magicien. Il ne peut tout faire. Mais devant un problème global il doit être le coordinateur d’une réponse globale, mobilisant familles, associations, partis, groupes financiers, entreprises, chercheurs, etc.

Ce qui est vrai pour l’exemple de l’avortement l’est pour la gestion de la crise des retraites, pour l’organisation du temps de travail, la réforme des caisses d’assurance maladie, les lois de succession. Partout l’homme politique chrétien peut faire entendre sa voix différente, en gardant toujours à l’esprit l’objectif du Salut des citoyens !
Il ne s’agit pas d’avancer bannières déployées en proclamant « je vais abroger l’avortement dès mon élection », ou encore « je combattrai le divorce partout ». Mais il s’agit de conserver ces objectifs en tête, et pas à pas de faire progresser les hommes, réforme par réforme, évolution par évolution, vers ces buts qui constituent des biens immenses.
En somme, il s’agit, par la patience et l’action concrète dans le militantisme politique comme dans des postes de gouvernement à quelque échelle que ce soit, d’inverser la diabolique mécanique du cliquet destructeur de tout repère humain et finalement de tout l’homme.

Le chrétien qui s’accommode de ces lois mauvaises détruit le règne du Christ

Surtout, cette action du politique chrétien est le plus fier service rendu au règne du Christ dans nos vies et dans le monde de la part d’un homme public. En effet, ces lois, sur l’avortement, sur le divorce, sur le mariage des homosexuels, bientôt sur l’euthanasie, ou sur le contrôle de l’école par l’Etat, ou sur le monopole d’Etat de la protection sociale, ou encore sur l’ouverture des commerces le dimanche (continuez la liste à l’envie), en devenant la norme dans la société, entrent peu à peu dans tous les esprits, même ceux des chrétiens, comme quelque chose de naturel et de bon, au mieux de neutre. De cette manière, la société s’éloigne de plus en plus de la loi de Dieu, qui devient une incongruité, à tel point que des chrétiens sincères exigent même de l’Eglise qu’elle adapte la loi divine aux nouvelles lois des hommes, inversant de manière effrayante l’ordre normal du monde. Nous en avons l’exemple le plus éclatant avec les pressions qui pèsent sur l’Eglise pour qu’elle crée un divorce chrétien, tolère l’avortement, autorise les moyens de contraception, et se taise sur le sort des migrants ou sur l’exploitation ouvrière dans les pays du tiers monde. Les pressions viennent de partout et elles se font d’autant plus fortes que la loi de Dieu apparaît scandaleuse dans notre confort. Mais le politique chrétien, par son silence ou ses compromissions, par son excessive recherche de la solution technique qui pourra contenter tout le monde, est un complice de cet oubli de Dieu et cette marée montante contre l’Eglise.

Il est possible de rompre ce cycle infernal, en remettant les priorités à l’endroit. Espérons que les chrétiens qui s’engagent ne l’oublient pas et méditent cette maxime de Jeanne d’Arc : « Messire Dieu, premier servi ! »

Gabriel Privat

Article initialement publié le 30 novembre 2014

Source : Le bloc de Gabriel Privat 

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