Tribunes

[Point de Vue] L’opinion libre

 

« Il est des moments, dans la vie de chaque peuple, où le besoin de dignité passe avant celui du pain », écrivait André Fontaine, historien et journaliste, ancien directeur du Monde. Ce moment est-il proche ? A écouter les professionnels de la politique, il ne semblerait pas…

De nombreux chroniqueurs ou philosophes nous répètent, dans les médias, que la France est l’un des pays les plus privilégiés au monde, que le mécontentement est le reflet d’un état d’esprit négatif, râleur, en un mot « franchouillard ».

Cela amène à se poser concrètement deux questions, à savoir si la France est toujours ce pays privilégié et si le Français est d’aussi mauvaise foi et composition que l’on prétend.

Il revient inévitablement à l’esprit le thème, cher à Jacques Chirac, du constat de fracture sociale, lors de la campagne présidentielle de 1995. Cette lucidité fait cruellement défaut à la caste politicienne, sauf à prétendre qu’il soit un contexte utilisé.

Car la France n’est même plus un pays de fracture sociale. Il est devenu celui d’une scission entre deux blocs, pratiquement égaux et opposés en toutes choses. Une nation ne peut être sereine et équilibrée, dès lors qu’elle est divisée. Mais on en assure cependant plus facilement la gouvernance.

Cette pratique a contribué largement, depuis des décennies, au déclin international de notre pays. La division du peuple, tout en s’immisçant dans la liberté individuelle de celui-ci, a conduit à la situation actuelle, que chacun jugera.

En France, nous sommes coupés en deux, en deux parts égales, après avoir commencé par couper les têtes, pour instaurer un régime qui s’affirme meilleur.

En France, on est soit un Français xénophobe, soit un bien-pensant. En France, on est de droite ou alors de gauche, on est pour ou contre le mariage pour tous, d’accord ou pas d’accord avec l’Europe… On défend une religion contre l’autre, un club de foot contre un autre, une vision mondialiste ou souverainiste, l’ouvrier ou le patron, le juge ou l’assassin.

Le parti politique incarne le parti pris de ces clivages savamment orchestrés, c’est l’expérience formalisée des ruptures idéologiques depuis trop longtemps. Il existe pourtant un mode de pensée qui ne dépend d’aucun parti de fraction. Il faut, pour cela, s’élever et analyser les faits dans un contexte global, de niveau humaniste. L’opinion n’oblige pas à catégoriser d’emblée. L’opinion ne doit pas être cataloguée, car elle devient emprisonnée.

« Il en est des opinions comme des êtres : elles rentrent bientôt dans une catégorie établie d’avance », écrivait Marguerite Yourcenar. La catégorisation par l’establishment, à la sauce républicaine, conduit inévitablement à trois premiers points incontournables pour un personnage d’influence : sa religion, sa loge et son parti.

Les trois autres points-clés de la République (liberté, égalité, fraternité) sont un trompe l’œil pour un non averti. La modélisation de l’opinion dans un bulletin de vote, un choix limité, un choix prédéterminé, n’est pas égalitaire, encore moins le reflet de la fraternité.

Pour preuve, la fracture est visible une nouvelle fois, puisqu’en moyenne, un Français sur deux ne vote plus. Jusqu’à bientôt l’y contraindre, sous peine de l’incontournable amende…

On ne pourra effectivement tenir indéfiniment un peuple par la seule carotte du besoin et de l’envie de la consommation. Il arrivera bien un moment où le besoin de dignité et d’identité, de reconnaissance, cher à André Fontaine, finira par primer.

Philpipe de la Grange

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