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L’orgueil tue. Apologie de l’humilité.


La société française post-révolutionnaire crève d’orgueil. Cet orgueil fut d’ailleurs très coupable dans la catastrophique révolution, qui n’en reste pas moins providentielle par les perles d’humilité et de sainteté de ses héros, à commencer par Louis XVI.

Faut-il que là où la lumière soit la plus pure, la vérité la plus éclatante, et les fruits de la sainteté les plus resplendissants – la France depuis Blandine et Clovis -, s’ensuivent, quand le vice prend le pas, des ténèbres épaisses, des mensonges et des erreurs sans fonds, des vices et des petitesses minables ?

Comme si la force du mal en degré ne pouvait jamais dépasser le degré de vérité auquel il s’oppose : chez les païens nous avions des héros et des bandits, après la venue du Christ, nous avons toujours des héros et des bandits, mais nous avons en plus des saints et des démons.

L’âge des démons touche à sa fin, car pour qu’ils existent, il leur faut des saints à combattre. Or les saints ont subi une certaine éclipse au vingtième siècle, en particulier après la guerre, mais ils reviennent dans une société gangrénée par les vices démoniaques, dans un magma vicieux si général qu’il se dissout et s’affaiblit perdant de sa force : car, nécessité mystique, nécessité divine, le démon n’est victorieux que par autorisation, et surtout ne peut gagner momentanément, quand Dieu le veut bien et pour un plus grand bien – qui arrive -, qu’en pompant les forces vives de ce qui reste sain dans une société. Exemple : le communisme ne se développe bien que dans des sociétés très traditionnelles aux communautés très fortes, sur lesquelles elle se greffe comme un parasite et qu’elle va détruire en proclamant se battre pour elles. Une fois que le communisme « gagne », elle dissout par ses mauvais principes toutes ces communautés : l’individualisme gagne, le communisme se dissout, ne pouvant plus pomper l’énergie saine des bonnes communautés (le drame consistant dans l’illusion des victimes de ce chamanisme de croire que la communauté sera sauvée par justement ce qui la tue).

De la même façon, le poison distillé par tous les vices corrompt la société et l’affaiblit, condamnant par là même à la mort de ces principes. Notre rôle consiste à conserver, replanter et faire croître les bonnes graines, les justes principes qui survivent toujours, les bons fruits suivront.

Bref, en attendant, le plus grand obstacle à la restauration, bon fruit des bonnes graines pour un bon gouvernement, se trouve, à notre sens, dans l’orgueil frénétiquement incrusté dans la société française à tous les niveaux et à tous les milieux : nous en sommes tous victimes, c’est terrible.

On nous a nourri depuis le berceau, véhiculé dans la société, dans les écoles, partout dans les institutions et le fonctionnement des institutions « démocratiques » (entendez fatuité-cratique, vanité-cratique, orgueil-cratique, si ces néologismes existaient) : ambition comme vertu, tirer la couverture à soi comme intelligence, prendre les places comme bon sens, dégommer les « opposants » comme loi normale de la jungle révolutionnaire, chercher son (pseudo-)« intérêt » (puisqu’il va contre l’intérêt véritable de l’âme mais passons) de toutes ses forces, trahison comme habileté, etc.

Résultat des courses : oppositions, luttes incessantes, affrontements d’ego, insatisfaction générale et constante – tout le monde cherchant à prendre une « meilleure » place au lieu de se contenter de ce qu’il a -, fatuité et vacuité en tout, ridicule d’un orgueil mal placé, dureté due à l’oubli de la charité et de la douceur qu’apportent l’humilité, démesure dans tous les excès des passions, de la concupiscence mais aussi de la société. Si ces oppositions et excès ont toujours existé, jamais ne furent-ils légitimés comme des normes et promus comme un bien par la société, là est tout le problème. Les mauvaises herbes pullulent alors.

Devenir le « premier » aux yeux du monde devient pour trop le moteur principal de toute action, de tout travail dans une schizophrénie folle puisque ce « premier » se fait de toute façon massacrer par les autres qui veulent prendre la place, sans compter la tyrannie généralisée à tous les niveaux, jusque dans la moindre association – qui ne résiste jamais longtemps sans donner lieu à de terribles batailles d’ego à part quelques salutaires exceptions d’humilité comme principe de fonctionnement -, tyrannie de ces « chefs » qui, ne pensant qu’à jouir de la place durement acquise, souvent pas très joliment, et promis à être rapidement renversés, ne savent qu’abuser de leur pouvoir sans avoir conscience du devoir et de la responsabilité – qui se vident de leur sens.

Oui, l’orgueil nous tue, car il nous obstine dans l’erreur : on peut tout restaurer, on peut tout re-former dans le bon sens avec des gens de bonne volonté qui reconnaissent leur faute, et ont conscience de leur extrême faiblesse et petitesse, quelques soient la gravité des erreurs commis et des crimes perpétrés. « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière. »

Mais avec un orgueilleux, vous ne pourrez rien faire, car l’orgueilleux s’aveugle. Seuls les faits et la réalité devraient un jour ou l’autre lui faire ouvrir les yeux sur sa médiocrité, mais ce n’est pas gagné, car l’orgueilleux a toujours la capacité de voir ce qu’il veut voir.

Pas besoin de regarder autrui, il suffit de se regarder soi-même. « Vanité des vanités tout est vanité ».

Le service silencieux et discret de l’effort continu et humble, voilà ce qui est beau, voilà ce qui est véritablement efficace, voilà ce qui donne des fruits durables et puissants, loin des paillettes et des éclairs qui ne durent qu’un instant !

« Non serviam ». Tout notre malheur a commencé dans l’orgueil, et il finira dans destruction, car alors nous pouvons avancer véritablement, joyeusement, et le chemin de « sa propre conversion » sincère et efficace s’ouvre.

Servir le roi, c’est le servir. Donc dans l’humilité, et selon ses volontés, et à la petite place que nous occupons. Pas pour se mousser, pas pour se donner un genre, pas pour se doter d’un petit « pouvoir », pas pour imposer ses vues, pas pour se sentir mieux.

C’est aussi notre croix que de se soumettre à notre père sur terre, humblement, et par charité, et par amour. Soumission et obéissance à ces ordres, même s’ils ne nous plaisent pas. À notre place. Par définition, il n’y a qu’un roi. Dans une famille il n’y a qu’un père. Si les enfants se mettent à vouloir « devenir » père à la place du père, ou ne serait-ce qu’usurper des prérogatives du père, ça explose et c’est le malheur pour tous, là où chacun à sa place dans sa vocation propre contribue à leur bonheur et au bonheur de tous.

Le sujet sert pour le bonheur de son roi, qui est le bonheur de son pays, bonheur à entendre comme « salut des âmes ».

Alors, pour une restauration véritable et profonde, durable et solide, gagnons et triomphons de la première bataille pour la restauration, à savoir notre réforme intérieure et l’anéantissement de l’orgueil qui se tapit quelque part dans tout coeur.

Prions ainsi cette belle litanie, et méditons : sommes-nous capables d’avoir la morgue d’affirmer correspondre ne serait-ce qu’à une des invocations suivantes ?

V. : Ô Jésus, doux et humble de cœur,

R. : Rendez mon cœur semblable au Vôtre.

Du désir d’être estimé, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être affectionné, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être recherché, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être honoré, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être loué, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être préféré, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être consulté, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être approuvé, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être compris, délivrez-moi Seigneur,

Du désir d’être visité, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être humilié, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être méprisé, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être rebuté, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être calomnié, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être oublié, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être raillé, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être soupçonné, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être injurié, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être abandonné, délivrez-moi Seigneur,

De la crainte d’être refusé, délivrez-moi Seigneur,

Que d’autres soient plus aimés que moi, accordez-moi, Seigneur, de le désirer,

Que d’autres soient plus estimés que moi, accordez-moi, Seigneur, de le désirer,

Que d’autres grandissent dans l’opinion et que je diminue, accordez-moi, Seigneur, de le désirer,

Que d’autres soient loués et que je sois oublié, accordez-moi, Seigneur, de le désirer,

Que d’autres soient employés et que je sois mis de côté, accordez-moi, Seigneur, de le désirer,

Que d’autres soient préférés en tout, accordez-moi, Seigneur, de le désirer,

Que d’autres soient plus saints que moi, pourvu que je le sois autant que je puis l’être, accordez-moi, Seigneur, de le désirer.

Ainsi soit-il.

Cardinal Raphaël Merry del Val (1865-1930)

Ainsi, délivrons-nous de l’orgueil. Première étape indispensable, travail constant à renouveler sans arrêt. Ainsi, nous pourrons commencer à « servir » dans le vrai sens du terme notre bon roi, et le Roi des rois. A chercher le travail bien fait pour le travail bien fait, la vérité pour la vérité, le bien pour le bien, le beau pour le beau, le service du roi pour son service et non le nôtre.

Deuxième étape : se délivrer de la crainte, soit du conformisme social. Ainsi nous arriverons à affirmer courageusement les vérités et dénoncer les erreurs, nécessité de charité pour restaurer les cœurs, déraciner le mal, ouvrir les yeux, et semer les bonnes graines.

Troisième étape : développer cette charité pour réinstaurer de véritables et justes louanges, récompenses et estimes pour les bonnes œuvres et les bontés d’autrui. Là, enfin, la société restaurée avance comme il faut, et travaille à la conversion des cœurs, et nous faisant voir les qualités chez nos prochains, et en les appréciant justement, en sachant et connaissant d’autant mieux nos faiblesse et défauts si nombreux, afin de nous réformer et de mieux aimer.

Pour la sainteté maximale, et au service du roi, et du Roi des rois, véritablement fondé dans la charité et la justice.

« Un ecclésiastique, ami des lettres, se laissant aller à des épanchements poétiques, confiait un jour à saint Jean-Marie Vianney qu’il sentait en lui-même quelque chose de l’aigle, de la colombe et de l’hirondelle Saint François de Sales, en effet, compare à ces oiseaux les âmes qui volent vers Dieu. À quoi le saint Curé d’Ars répondit avec une naïveté charmante : « Moi, je sens plutôt en moi quelque chose qui vient de la dinde, de l’âne et de l’écrevisse. » »[1]

Mieux vaut être un aigle qui se prend pour une écrevisse, qu’une dinde qui se prend pour une hirondelle. Et même : ne faut-il pas connaître l’âne en nous pour ouvrir la cage de la colombe qui se cache aussi en nous ?

Servons le roi en toute chose en toute humilité ! C’est une question fondamentale pour la restauration ! Le contraire de la révolution est bien la victoire de l’humilité, de la discrétion et de la modération – ce qui n’empêche pas d’être intransigeant, mais qui exige une grande assurance pétrie d’humilité – sur l’orgueil, la démesure et l’excès (qui tuent notre société, et nous tuent chacun dans nos actions en salissant les belles actions et apportant des germes mortifères au bonnes œuvres).

Antoine Michel


[1] Dom Jean de Monléon, Les XII degrés de l’humilité, ESR, Cadillac, 2013 (1951), p.186.

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