Editoriaux

Et la montagne accoucherait d’une souris

C’était en 2002, l’euro venait d’abattre le franc. Bien peu de gens se préoccupaient de la dimension symbolique que constituait l’abandon de notre monnaie nationale. Économie, économie, argent, argent ; quelques-uns, des passéistes vraisemblablement, avaient prévu l’escalade des prix. Les autres ne voyaient que des lendemains qui chantent.

Cela faisait déjà six ans que le « Florentin » était arrivé au ciel. Tonton avait rapidement fait son affaire de négocier avec le Tout-Puissant un espace assez vaste à sa gauche, afin d’y héberger ceux de sa coterie. Mais les dérives théocratiques du sphinx n’en finissaient pas d’irriter. Certains, qui auraient mérité l’enfer ou deux fois le purgatoire, se retrouvaient directement au paradis. De plus, l’homme, que l’on savait fidèle en amitié, accueillait sous son aile des gens fort peu orthodoxes en « socialo-fumisterie », voire de féroces opposants, et même d’anciens cagoulards.

Bref, après plusieurs congrès particulièrement démocratiques, dont nos amis ont le secret, les choses avaient été tranchées. DSK, bien connu pour son addiction au numérique, et Lionel le rigoureux son mentor avaient installés là-haut le top du top en matière d’informatique, Internet et Intranet, le tout en très très haut débit. C’est qu’il convenait de quantifier scientifiquement et très précisément le bien et le mal, avant toute admission finale, et selon une grille de lecture naturellement de gauche, afin que plus jamais il n’y ait d’arbitraire. Des algorithmes très puissants et sophistiqués, en termes d’humanité digitale, permettaient d’obtenir après de nombreuses procédures des résultats très satisfaisants. Les deux potes avaient pris leur pied bien des fois dans cette mise en œuvre, et le vieux, comme c’était déjà le cas en bas, plastronnait sur son trône, sans ne plus avoir vraiment la parole.

Rue de Solferino, cela allait bien également. Sur décision divine, le ciel était devenu à cet endroit de couleur rose bonbon. Quand il pleuvait, c’était du Dom Pérignon. Peu après venait en général une douce grêle, constituée de caviar et de petits fours de chez Fauchon. Dans le réfrigérateur, il restait bien, de l’époque de Pierre Mauroy, quelques canettes de Pelforth, une bière pas terrible du Nord, et le fond d’une bouteille de Ricard, que jadis Georges Frêche avait sérieusement attaquée en invitant Charles Pasqua. Ce qui lui avait valu deux avertissements. L’un pour conduite immorale et l’autre pour consommation de produit stupéfiant hors d’âge. À part cela, les femmes étaient toujours aussi élégantes, et mangeant en quantités policées des produits de bons faiseurs, elles gardaient des lignes de star à en faire pâlir bien des ménagères. Elisabeth et Ségolène, notamment, étaient à leur apogée. Mais suis-je bête enfin, on ne trouvait déjà plus alors de ménagères, mais que des femmes libérées à la sexualité optimisée et « orgasmo-exponentielle ».

Des mauvaises langues commençaient à dire qu’il y avait de moins en moins d’usines et d’agriculteurs en France ; des ragots, rien de plus. Devait-on s’en plaindre ? Pour sûr, ils ne s’en plaignaient que fort peu. C’est vrai qu’il y a parfois de l’embarras pour les esprits élevés à discuter avec des gens par trop encore proches de la matière. Plus simplement dit, des hommes et des femmes préoccupés du boire et du manger et des traites à payer, pour la voiture, la maison et l’électroménager. Mais les mauvaises langues, encore elles, avaient été recadrées. Ces petits problèmes d’intendance avaient été réglés dès le premier septennat de François Mitterrand : augmentation du salaire minimum, cinquième semaine de congés, etc. Et plus tard, avec les 35 heures génératrices et salvatrices de Martine Aubry.

Donc, tout allait bien dans le meilleur des mondes. L’état-major du parti socialiste débordait d’un enthousiasme communicatif. Imaginez donc, guère plus que des gens brillants, mais de gauche naturellement, avec de bonnes valeurs, de gauche évidemment. Nous le savons, le PS a toujours été un lieu de bouillonnement intellectuel. Débarrassés de ce mysticisme qui avait régné du temps de François, les scientistes pouvaient à présent libérer tout leur potentiel d’analyse. Demain serait un grand jour, pour ces intellects puissants. On pouvait voir la vie en rose, d’ailleurs le ciel ne l’était-il pas déjà ? Et puis le peuple avait toujours été de gauche, indubitablement, comme l’Éducation nationale, la fonction publique, le Paris des bobos, leur littérature, leur cinéma et leur musique.

De surcroît, pour faire acte de pédagogie et parer à tout dysfonctionnement dans les esprits les plus humbles, le grand ordinateur médiatique avait de nouveau été programmé, comme avant toutes les importantes échéances électorales. La barbarie nazie, les camps d’extermination, les chambres à gaz, toutes ces choses effectivement horribles étaient une fois de plus mises en lumière. Et leur pendant, pour l’heure et en France, n’était autre que Jean-Marie Le Pen le candidat du Front national.

Quand soudain, contre toutes les prévisions, l’homme arriva en deuxième position, au premier tour des élections présidentielles. C’est le fils d’un patron pêcheur de la Trinité-sur-Mer et d’une couturière issue d’une famille de paysans de Locmariaquer, un pur produit de la Bretagne et de la terre de France. Dans son allocution, ce dernier parle notamment d’espérance en reprenant les propos de Jean-Paul II, et du matérialisme de notre temps. Voilà bien des paroles qui n’interpellent pas le plus grand nombre. Que faire avec de l’espérance ? Les chrétiens ont d’ailleurs parfois bien du mal à s’en faire une idée. Enfin, qui est donc ce fou, ce révolutionnaire ? Si au moins, il avait proposé de la vendre son espérance, sous forme de poudre de perlimpinpin dans les grandes surfaces, peut-être lui aurait-on accordé davantage de crédit ?

In fine, si bien des patriotes avaient applaudi à son discours, l’espérance ne l’amena pas à la tête de la France. En tout état de cause, si « Le coup d’État permanent » de l’homme du 18 Juin avait tenu dix ans, il y a fort à penser que le « Menhir » n’aurait pas duré au-delà du prochain mois de mai.

La montagne, ou plutôt un monticule dont je vous laisse choisir la nature, et que se disputaient quelques coqs, ne pouvait de par sa structure accoucher que d’une souris.

Puis, les années avaient continué à couler dans l’eau de la rivière, diluant chaque jour un peu plus, ce qu’il restait de la France, de son identité, de son patriotisme et de son économie.

Nous sommes en 2016. Depuis des mois, les médias tirent des plans sur la comète, à propos des élections présidentielles à venir. Les Français sont épuisés de toutes ces ambitions personnelles, de ces nouveaux partis tellement nombreux que l’on ne saurait tous les citer. Les candidats potentiellement éligibles sont d’ores et déjà des rentiers de la politique.

C’est qu’ils sont encore plus nombreux aujourd’hui, les « Laroche-Mathieu » ; ce personnage si intemporel de Maupassant, « sorte de jésuite républicain et de champignon libéral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel ».

Au Front national, seul espace, n’en déplaise à l’Établissement, où les suffrages du peuple patriote pouvaient trouver refuge, on lave de plus en plus blanc, expression pas très heureuse me direz-vous. Jeanne d’Arc est  à présent servie en buffet froid, on n’en parle plus trop. Pensez donc,  la pauvre, à Domremy : la vie devait être rude pour une femme, sans dentifrice et sans brosse à dents.

Le président d’honneur qui, il n’y a pas si longtemps, avait encore le courage de faire défiler derrière lui, des patriotes à la coupe de cheveux rigoureuse, n’a cependant pas failli à son devoir. Dans son discours, il rappela longuement, avec beaucoup de précisions, l’histoire de Jeanne ; sa voix semblant gagner en force, plus il avançait dans sa prestation. Quelques cadres courageux étaient venus l’écouter, ne craignant pas semble-t-il l’épreuve de la machine à laver.

Mais peut-être nous faut-il réfléchir en effet sur la manière de célébrer nos aïeux, et notamment ceux qui ont combattu ou donné leur vie pour notre pays. Ce que n’ont pas manqué de faire nos gouvernants progressistes, en programmant à Verdun la venue  de ce chanteur monté sur élastiques et manifestement brillant dans sa spécialité, ou par cette mise en scène très novatrice du réalisateur Volker Schlöndorff. De quoi faire se retourner dans leur tombe ces milliers de paysans et d’ouvriers français. Signe avant-coureur peut être de ce que l’écrivain Michel Thomas, plus connu sous le nom de Michel Houellebecq, a entrevu pour la France à l’horizon 2022.

Jean de Baulhoo

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