Editoriaux

Les trois France

D’abord, il y a la France Officielle, celle qui se cache derrière les mots Etat ou Gouvernement. Cette vieille femme toute fripée qui se fait appeler Marianne, comme la plus célèbre des prostituées se faisait appeler Madame Claude. Plus elle vieillit, et plus elle régresse vers l’état d’enfance, son incontinence actuelle la renvoie à ses premières couches et elle en est à légiférer sur la légitimité de la fessée.

Avec son bonnet phrygien délavé et son rouge à lèvre qui lui tache l’émail de son dentier, elle aguiche encore, la bougresse ! En déambulateur, certes, et avec un pacemaker qatarie caché dans le corset, mais elle aguiche encore ! Et les jeunes rebelles –  autrement appelés Jeunes pop’ – en mal d’une première expérience avec une femme d’expérience, n’hésitent pas à l’aborder sur son trottoir d’un  « c’est combien ? » qui deviendra la devise de leur génération, comme de celle d’avant et encore celle d’avant.

« Combien de sièges à l’Assemblée ? Combien de silences pour un maroquin ? Combien de lignes dans le Figaro ? Combien de dollars au Panama ? » Combien, combien…

Ensuite, il y a la France Temporelle, cette femme qui n’a pas cinquante ans mais qui raisonne déjà comme une vieille bique. Elle se met à râler si vous lui parler à l’heure de Plus belle la vie, et n’essayez pas d’évoquer avec elle la notion de bien commun lorsqu’elle milite pour ses droits à jouir sans entraves pendant ses jours de RTT ! Selon qu’elle mange le poulet bio, hallal ou aux hormones, elle se prénomme Hélène, Fatima ou Jennifer. Lorsque, au hasard d’un magazine d’histoire feuilleté dans la salle d’attente de son psychiatre, elle se souvient qu’elle est (elle aussi) la France, cela l’ennuie et la rend malade, elle vomit alors la madeleine de Proust sur la table basse en verre et reprend la lecture du dernier Closer.

Et puis, il y a la France Eternelle. Cette femme silencieuse qui connait bien les infidélités de ses enfants ingrats. Cette Mère qui pourrait baisser les bras face au péché de ses enfants, mais qui sait rester fidèle à sa vocation, et qui a gardé quelque chose de son aïeule qui courbait l’échine dans l’Angelus de Millet. Elle courbe la tête vers ce sol si fertile qui a fait sa prospérité, vers cette terre irriguée du sang de ses enfants, ses héros et ses saints qui lui ont donné la gloire à travers les siècles, et qu’elle honore de ses prières à Notre-Dame, les mains jointes, suppliant la Sainte Patronne d’intercéder maintenant et à l’heure de notre mort.

Elle reste fidèle, non pas comme une femme battue et trompée qui ne quitte pas son mari violent par peur de l’inconnu, mais en vierge consacrée qui garde les yeux fixés sur le crucifix sous les coups de crosse du soudard violeur de nonne.

Le 19 mars dernier, la France Officielle rendait hommage, dans un genre de fête nationale, à un pays étranger qui obtint son indépendance dans un acte de guerre contre elle. Le drapeau français flottait sur les bus et les mairies pour honorer… l’Algérie.

Le même week-end, la France Eternelle accueillait en grande pompe l’anneau de sainte Jeanne d’Arc  qui revient en France après cinq siècles de séquestre outre-manche. Devant BFM TV, la France Temporelle se demandait  pourquoi nous n’avions pavoisé également les bus et les mairies du fanion algérien, pour rendre hommage aux martyrs de cette horrible guerre colonialiste, et pourquoi des péquenots s’extasiaient devant la bague de la folasse qui entendit des voix !

Quelle drôle de trinité ! Mais, s’il est vrai que chaque pétale du trèfle est différent des deux autres, le trèfle à trois feuilles n’en n’est pas moins qu’une seule et même fleur sur laquelle, uniformément, brille le soleil ou tombe la pluie. Il n’y a bien que les démagogues et les idéologues pour voir trois fleurs différentes, pour vouloir diviser et cultiver cette plante dans trois jardins séparés.

Et même si la France Officielle, de ses racines comme de son passé, fait table rase, même si la France Temporelle change de couleurs aux rythmes des modes plus que des saisons, la France Eternelle, qu’à Versailles, La Motte-Picquet ou au Puy du Fou, on pense incarner, n’a pas plus de droit de cuissage sur la France que les deux autres. Au contraire, si c’est en elle que s’incarne l’espoir des beaux jours revenus et des ronces devenues Lys, alors elle supporte tous les devoirs.

« À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage ».

Nicolas Schittulli

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