CivilisationLes chroniques du père Jean-François ThomasLittérature / Cinéma

De la patience


                                          Sur toute la planète, la réputation des Français n’est pas toujours très flatteuse. Parmi les reproches les plus répétés, se trouve l’accusation du manque de patience de notre peuple, critique très justifiée. Le Français n’aime pas attendre, que ce soit dans une file ou bien dans ses projets. Il réagit en ronchonnant, en s’emportant, en faisant la leçon au monde entier. La cause est-elle à trouver dans ce que saint Thomas d’Aquin souligne à propos de la patience, Somme Théologique, II-IIae, q.136, art.3 : « Patientia non potest haberi sine auxilio gratiae. » Comme nous avons perdu la grâce, par négligence et par manque de foi, il est possible en effet que la patience nous fasse désormais défaut. Saint Augustin n’a pas hésité à consacrer tout un traité sur La Patience. Il y déclare que « La vertu appelée patience est un si grand don de Dieu que l’on proclame la patience de celui-là même qui nous l’accorde. » Elle vient donc de Dieu et celui qui oublie Dieu se condamne à devenir impatient et à connaître la faiblesse car la patience est une vertu auxiliaire de la force, vertu cardinale.

                                          Une vie intérieure affaiblie ou endormie par les préoccupations mondaines conduit tôt ou tard à ne plus savoir ce qu’est la patience. Dans un poème finement ciselé, -comme à son habitude, Philippe Jaccottet livre ces mots : « Dans les cartes à jouer abattues sous la lampe

comme les papillons écroulés poussiéreux,à travers le tapis de table et la fumée,je vois ce qu’il vaut mieux ne pas voir affleurer lorsque le tintement de l’heure dans les verres annonce une nouvelle insomnie, la croissante peur d’avoir peur dans le resserrement du temps,l’usure du corps, l’éloignement des défenseurs. Le vieil homme écarte les images passées et, non sans réprimer un tremblement, regarde la pluie glacée pousser la porte du jardin. » (La Patience) Les rideaux de pluie, toutes les blessures de la vie, ne peuvent rien contre un être qui sait contenir ses émotions et qui regarde ce qui est avec confiance et abandon.La vieillesse est école de patience alors que les diminutions surviennent et préparent une seconde naissance qui tarde à venir et qui se tisse dans les souffrances et les épreuves. La jeunesse est l’époque de l’impatience, alors que l’être se croit invincible, en pleine possession de ses moyens. La sagesse réside dans l’acceptation calme de ce qui est. Voilà pourquoi le saint patron de la patience est sans doute Job. Le triptyque de Van Orley sur la vertu de patience, étonnant et torturé, met bien en valeur le contraste qui existe entre les cataclysmes qui pourraient provoquer impatience puis désespérance, et les bénédictions finales qui récompensent Job de sa patience inébranlable et de sa foi vive malgré les doutes et les lamentations vers Dieu. L’entourage de Job, sa femme et ses amis, ne cesse de le tourmenter et ne comprend pas sa constance dans le dénuement et ce qui apparaît comme un châtiment du Ciel. Job se contente d’incliner la tête et de garder son cœur pur de toute révolte : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, et j’y retournerai nu. Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait. Que le nom du Seigneur soit béni. » (Livre de Job I.21) Le Seigneur est « patient et plein de miséricorde » comme le révèle Moïse dans Le Livre des Nombres XIV.18 alors que Dieu a décidé de faire mourir les Israélites dans le désert à cause de leur infidélité. Il rappelle au Tout Puissant ce qu’il est car la patience de Dieu ne sera totalement révélée que par le Christ.

                                          La patience est une école d’endurance. Il faut tenir bon, pas simplement ponctuellement mais dans le temps. L’haleine ne doit pas manquer. Lorsque saint Paul parle des fruits de l’Esprit aux Galates, il note dans son épître : « Les fruits de l’esprit (…) sont la charité, la joie, la patience, l’humanité, la bonté, la persévérance, la douceur, la foi, la modestie, la continence, la chasteté. » (V.22-23) La patience est donc en fort bonne compagnie. La patience est vraiment un signe de notre foi. Sans elle, la foi n’est qu’une pelure vide et fugace. Aussi n’est-il pas aussi anodin que cela de perde patience dans un embouteillage. Cette impatience dévoile une brisure de fond, celle qui affecte notre être incapable d’accepter ce qui est, et toujours tenté de remplacer la réalité par ce qui vient de lui. Tout ce qui mène à la colère et à la frustration a pour origine notre manque d’attention à cultiver la patience au jour le jour.

                                          L’enseignement évangélique est pourtant là pour nous aider à réagir et à considérer combien nous devrions imiter la patience de Dieu à notre égard. Si Dieu n’était point patient, l’humanité aurait été éradiquée de la surface de la terre depuis longtemps. Le Christ, notamment dans deux paraboles, insiste sur le prix et le fruit de la patience. Tout d’abord, celle du figuier planté dans une vigne et qui, pendant des années, ne portait pas de fruit. Le propriétaire, lassé, demanda à son vigneron de le couper mais ce dernier lui recommanda de donner encore une année à cet arbre stérile en le nourrissant de fumier et d’engrais : « Peut-être portera-t-il du fruit ? » (Luc XIII.9). Et puis, bien sûr, la célèbre histoire de l’enfant prodigue dont le père accepte toutes les lubies et les exigences d’adolescent. Le fils ingrat revient ensuite tout penaud et miséreux vers la maison paternelle où il est accueilli par la patience miséricordieuse de celui qui n’a jamais cessé de guetter son retour miraculeux. La patience est source de miracles : « Lorsqu’il (le fils) était encore bien loin, son père l’aperçut, et en fut touché de compassion, et courant à lui, il se jeta à son cou, et le baisa. » (Luc XV.20)

                                          Nous sommes loin ici de la patience creuse et vide que chante Paul Valéry : « Ces jours qui te semblent vides
Et perdus pour l’univers
Ont des racines avides
Qui travaillent les déserts
[…]
Patient, patience,
Patience dans l’azur!
Chaque atome de silence
Est la chance d’un fruit mûr!
[…] »

La patience n’est pas affaire d’azur et d’atome. Elle est le fruit d’un labourage, comme dans un champ. Il faut savoir en semer les graines pour qu’elle se développe en temps voulu et en toutes occasions où elle est nécessaire. Elle n’est pas synonyme de l’ennui que décrit Arthur Rimbaud dans son poème Patience. Elle ouvre au contraire des horizons nouveaux. A chaque fois que nous réussissons à être patients, nous sortons de cette expérience grandis et apaisés. La patience entretient les autres vertus et permet de ne pas tomber dans le désespoir lorsque l’échec ou la chute surviennent. Notre époque en a bien besoin.

                                          « C’est toujours l’impatience de gagner qui fait perdre » disait Louis XIV. Vue souvent aujourd’hui comme l’apanage des faibles et des indécis, la patience est au contraire un vecteur de réussite. « Tout, tout de suite » devient de plus en plus la devise contemporaine. Apprendre aux enfants à attendre, à goûter l’attente avec l’aide de la patience, est une belle œuvre pédagogique qui devrait prendre place dans chaque famille, à condition que les parents cultivent eux-mêmes la patience. La sagesse passe par chaque grain et non point par des tombereaux rapidement constitués. La vie politique devrait s’en souvenir. On ne restaure pas une cathédrale en cinq ans simplement parce qu’on en a décidé ainsi, dans l’impatience.

                                                                      P.Jean-François Thomas s.j.

                                                                      2 mai 2019

                                                                      Saint Athanase

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