CivilisationHistoireLes chroniques du père Jean-François ThomasRoyauté

Un dauphin dévot au siècle des philosophes :

Louis-Ferdinand de France (1729-1765)

Comme nous le savons tous, la révolution n’est pas advenue en un jour. Elle a été préparée, -pour certains aspects plusieurs siècles en amont-, par des courants de pensées, par des philosophes, par des ecclésiastiques, par des hommes politiques et des hommes d’argent, entraînant ensuite dans ses flots bien de ses géniteurs qui n’avaient pas réfléchi à toutes les conséquences de leurs actes et de leurs écrits. Certains de ces géniteurs étaient d’ailleurs morts depuis longtemps et se seraient sans doute récriés à la vue des violences et du sang.

Un universitaire comme René Pintard décortiqua le mouvement des idées et le libertinage érudit qui s’ensuivit à partir de la Renaissance. Il démonta tous les subterfuges utilisés par les libertins intellectuels au sein même du XVII ème siècle, le siècle des saints. Certes, seule une frange infime et privilégiée de la population fut atteinte par le mal, mais c’est elle, et non point les peuples de France, que l’on retrouvera ensuite comme l’actrice principale de la révolution régicide. Le retour à l’Antiquité, par l’éducation dispensé par les Jésuites et par les Oratoriens dans leurs collèges, jettera naïvement les anciens élèves dans les bras de ceux qui, philosophes ou hauts serviteurs de l’état, fomentaient déjà un changement radical de mentalité et de rapport social. René Pintard écrit, à la fin de son ouvrage magistral , Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVII ème siècle : « Ainsi, cet héritage de la Renaissance, que pouvait faire oublier, par ses splendeurs littéraires et religieuses, le règne de Louis XIV, le libertinage érudit l’a transmis à la génération des Bayle et des Fontenelle, non comme un amas de faits périmés et de notions mortes, mais comme un ensemble de curiosités et de tendances toujours actives, de doctrines en voie d’évolution, de principes prêts à livrer leurs conséquences, de remarques propres à s’organiser bientôt en arguments : non point cendres refroidies, mais chair palpitante encore de ses efforts manqués et où se marquaient, visibles à ses cicatrices mêmes, les points meurtris par la défaite auprès desquels le combat devrait recommencer. » Cette bataille repris les armes au XVIII ème et finit par être victorieuse, ceci malgré des courants opposés.

Il est d’usage de considérer le règne de Louis XV comme catastrophique alors qu’il commença béni par les dieux. Ceci est bien sûr caricatural car souvent reposant sur le libertinage des mœurs, réel, du Roi et de la cour. Pourtant Louis XV fut un monarque d’une foi très vive, malgré son péché. Sa fille Louise de France, prieure carmélite du carmel de Saint-Denis, morte en odeur de sainteté, est sans doute un fruit de cette piété qui rachète de temps de fautes. Il est un autre membre de la famille royale, moins publiquement connu, qui prouva qu’il était encore possible de vivre en chrétien dans un siècle de plus en plus sceptique, ceci parmi les grands : pas moins que le dauphin Louis-Ferdinand de France, père de nos trois derniers rois : Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. A sa mort prématurée qui plongea le royaume et le souverain dans une peine immense, le duc de La Vauguyon, gouverneur des Enfants de France, commanda une toile étonnante au peintre Louis-Jean-François Lagrenée, dit l’Aîné : Allégorie à la mort du dauphin. Le prince agonisant est représenté de façon théâtrale sur sa couche, entouré par sa femme, ses trois fils vivants et veillé par la France qui pleure à son chevet, tandis que le duc de Bourgogne, mort à l’âge de dix ans, descend du ciel pour déposer une couronne d’étoiles sur la tête de son père et lui montrer le chemin du vrai royaume. Le duc de Berry, futur Louis XVI, est celui qui se tient en retrait et qui se désigne lui-même comme le nouveau dauphin, inquiet de la charge qui va lui incomber. Le comte d’Artois, futur Charles X, cadet épouvanté, se précipite dans le giron de sa mère éplorée (elle mourra peu d’années après) qui abandonne son bras dans les mains de son époux déjà tourné vers la lumière éternelle. Ce dernier l’entoure tendrement. Ce sont là deux agonisants et non plus un seul. Le comte de Provence, futur Louis XVIII, est à moitié jeté sur les jambes de son père et le regarde intensément. La France mélancolique, casquée et revêtue d’une armure, se tient debout derrière le lit funéraire, inquiète des conséquences d’une telle disparition pour l’avenir du royaume. Des putti dodus soulèvent un lourd rideau de brocart qui, comme un rideau de théâtre, va bientôt retomber sur la scène. Quelle que soit la pièce, le dernier acte est toujours sanglant, comme l’écrivait Pascal. Enfin, au premier plan, est disposée comme une nature morte : un globe terrestre, une palette et des pinceaux de peintre, un livre ouvert et des manuscrits, mélange des sciences et des arts que le prince défunt avait protégés et encouragés, étant lui-même un homme éclairé et instruit, amoureux de la raison et de la beauté.

Diderot fut particulièrement cruel dans sa critique de l’oeuvre au Salon de 1767. Ce qui le met en rage est moins le style de Lagrenée, qu’il déteste, que le commanditaire à propos duquel il écrit : « (…) tableau que Mr de La Vauguyon se propose de consacrer à la mémoire d’un prince qu i lui fut cher, et qui lui permet, en dépit de son père, d’empoisonner le cœur et l’esprit de ses enfants, de bigoterie, de jésuitisme, de fanatisme et d’intolérance. » Les grands et gros mots sont lâchés ! Voilà ce qui dérange Diderot, et les philosophes avec lui : l’image d’un prince dévot ami de leurs ennemis, à commencer par les Jésuites (dont ils auront la peau). Le dauphin était un homme extrêmement pieux mais sans déraison, sans les dévotions, jugées excessives, de sa femme Marie-Josèphe de Saxe. Il aimait les offices religieux, la sainte liturgie, la méditation. Il communiait fréquemment. Mais sa bibliothèque comportait plus de livres de sciences que d’ouvrages de spiritualité. En fait, il était très représentatif de son époque, à la fois attaché à l’héritage du royaume et ouvert à des transformations possibles. Il ne fut jamais chef d’un « parti dévot » et, s’il avait lu et annoté les philosophes, dont Rousseau et Hume, il ne remit jamais en cause et en doute le droit divin. Certains encyclopédistes voulurent le récupérer dans leur camp, en vain, tandis que d’autres le soupçonnèrent d’être l’instigateur de censures et de polémiques adverses. Le dauphin était homme trop sage et trop fin pour croire que les méthodes fortes fussent à elles seules capables de remettre de l’ordre dans le désordre des esprits de son temps.

Il est bien fils de saint Louis lorsqu’il s’insurge contre l’injustice, notamment celle commise à l’encontre de la Compagnie de Jésus en 1762, expulsée du royaume sous la pression des adeptes des Lumières. Il pensa même se retirer alors du Conseil d’en haut, écrivant à M.de Nicolaÿ, évêque de Verdun : « Ne ferois-je pas bien, après une belle et bonne protestation, de me retirer du Conseil, afin de faire connaître indubitablement ma façon de penser, ne point participer à l’iniquité, et peut-être faire des réflexions plus sérieuses ? » Le précepteur de ses fils, Jacob Nicolas Moreau, n’était pas moins nuancé, à la fois théoricien de l’absolutisme royal et prônant la tolérance civile. Le dauphin, hostile en principe aux Jansénistes et à l’esprit parlementaire, eut toujours, comme son père, difficulté à établir une ligne de démarcation entre le spirituel et le temporel, et à ne pas tenir par les deux bouts des positions parfois opposées et contradictoires. Une telle confusion est à relier au trouble opéré dans les esprits par plusieurs siècles de relativisme et de remise en cause des principes fermement établis durant des siècles. Pour revenir sur son attitude lors de l’expulsion des Jésuites, il est clair que son opposition était plus guidée par le souci de restreindre le pouvoir des parlements que de défendre les Jésuites. Il aurait vu sans problème s’ériger une Compagnie de Jésus gallicane et indépendante de Rome.

Le dauphin, homme très pieux, soucieux de l’héritage millénaire qu’il avait reçu, est en même temps un homme travaillé par les idées nouvelles envers lesquelles il n’éprouve ni sympathie, ni attirance, mais qui l’ont modelé en partie malgré lui, comme tant de ses contemporains de bonne foi. Lorsque le jeune Louis XVI montera sur le trône, il est également porteur d’un héritage semblable et cela ne l’aidera pas à s’imposer, par une ligne claire, dans les années tourmentées de son règne. Lorsque sera venu le temps de l’épreuve, tout se décantera et ne subsistera plus alors en lui que le sang de saint Louis, le sang versé pour ses sujets et pour la plus grande gloire de Dieu.

P.Jean-François Thomas s.j.

S.Raymond de Penafort, ste Emérentienne

                                                        23 janvier 2020

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