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[Point de vue] : A la recherche de l’anti-héros français

« Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances », écrivait le baron Louis, ministre des finances sous les deux Restaurations et la Monarchie de Juillet. Il n’entendait pas par-là seulement l’action quotidienne des gouvernements qu’il servit sous Louis XVIII et Louis-Philippe. Il entendait également la qualité des institutions politiques.

Il fallait que la France jouisse d’institutions vertueuses afin que ses finances fussent bien gérées et rapportassent à l’État de quoi subvenir à ses besoins dans le contexte délicat des années 1814-1815, où le pays, occupé par les armées coalisées, souffrait d’une dette publique considérable et devait encore verser à ses vainqueurs d’importantes indemnités de guerres, tout en assurant son propre fonctionnement régulier, avec un gouvernement dans l’impossibilité d’augmenter les impôts pesant sur une population épuisée par vingt-trois ans presque ininterrompus de combats intérieurs et extérieurs.

La tâche semblait impossible, elle fut accomplie brillamment par le baron Louis, parfait technicien des finances publiques et surtout fidèle serviteur d’une royauté restaurée qu’il aimait d’autant plus qu’il lui trouvait des institutions parfaites, car inspirées de celles du Royaume-Uni.

Les institutions et les mœurs

L’attachement premier à la qualité des institutions politiques est resté, au long des XIXe et XXe siècles, un souci des hommes politiques et intellectuels royalistes. Pour la pensée royaliste, ce qui pêche, ce ne sont pas les hommes, ce sont les institutions. Charles Maurras, dans la préface à son Enquête sur la monarchie, dresse un long portrait des bonnes et des mauvaises institutions et de leur influence respective sur le pays, notamment en termes de sécurité contre l’invasion étrangère.

Cependant, s’ils devaient batailler contre le romantisme, l’esprit de jouissance individualiste ou la courte-vue des libéraux, les défenseurs du trône et de l’autel se trouvaient confrontés à des hommes pour lesquels le don de soi, l’amour du sol de la patrie, l’attachement aux frères d’une même nation, le service de l’État, le respect de la famille et du patrimoine transmis, la crainte de Dieu et le sens du sacré étaient des principes évidents. Pour tout dire, partisans et opposants du roi avaient encore, en ce XIXe siècle et dans cette première moitié du XXe siècle, un socle de valeurs communes rendant possible un dialogue sur les institutions parce que le coeur moral des hommes était encore le même.

Aujourd’hui, comme hier, le caractère commun des hommes de France traverse les partis et fait l’unité morale du pays. Hélas ! Cette morale a changé, jusque chez les défenseurs du trône qui, pour la plupart, adhèrent à l’hyper-contractualisation du mariage, aux unions entre personnes de sexe identique, à l’étatisme d’une main, au libéralisme politique et économique de l’autre, dont ils louent à chaque fois les causes et redoutent les effets dans un illogisme surprenant.

Le sentiment a été partout érigé en despote des familles (« Si nous divorçons, c’est que nous ne sommes plus amoureux. Mieux vaut nous séparer que vivre dans le mensonge… »), des choix de mœurs, des manipulations biologiques (Comprenez par-là tous les moyens de fécondation médicalement assistée.), etc. Partout également la patrie est devenue une réalité évanescente, la nation un gros mot. Si le petit peuple aime toujours les militaires, les pompiers ou les gendarmes, il est de bon ton, chez les gens nés, de se gausser des valeurs de discipline, de don de soi, de bravoure, surtout lorsqu’il s’agit de défendre la patrie et la nation, justement.

Plus rien n’est sacré et la parole ou la personne d’un évêque, d’un ministre, d’un général d’armées ne vaut pas plus que celle du premier passant venu, interrogé par la télévision. N’avez-vous jamais tiqué à la disparition des titres et fonctions dans les échanges avec la presse ? Quel journaliste donne encore à son interlocuteur du Monseigneur, mon général, Monsieur le préfet, maître, professeur, Monsieur le ministre, etc. ? Plus aucun ! On est appelé par ses noms et prénoms comme le premier venu. S’il est vrai que parfois ces hautes charges ont été distribuées à n’importe qui, elles n’en représentent pas moins toujours des outils de pouvoir et d’autorité indispensables à la bonne marche du pays. Elles méritent, par le fait même, un grand respect, dont doit être revêtu celui qui les incarne.

Ces déviances ont toujours existé. Ce qui est nouveau aujourd’hui est la manière dont elles sont perçues. Non seulement elles sont devenues la norme, mais qui plus est il est bon de dévier, afin d’être un homme « libre », ou « libéré ». Disons plutôt que ces hommes sont dans les fers de leur sentimentalisme et de leurs pulsions, ayant abdiqués d’une large part de leur raison et de leur sens des hiérarchies qui élèvent et protègent.

Ici sans doute les institutions, toutes horizontales et destructrices des corps constitués, dont le monde occidental s’est doté, ne sont pas étrangères à cette déréliction.

Mais elles ne sauraient être seules en cause. Il y a également une véritable crise de la culture, contre laquelle le combat doit être porté. Ici, il faut regarder plus loin que le bout de notre mémoire vive. Certes, les paroles des chansons de groupes de rap comme « Sniper », « NTM » ou « Sexion d’assaut », appelant au sexe facile, à la lubricité, mais aussi à la délinquance et à la haine du pays, ont une lourde responsabilité. De même le nombrilisme littéraire d’une Amélie Nothomb, en tête des ventes de romans pendant des années et toute occupée à se raconter à longueur de pages, a ajouté une couche à cet avachissement de la pensée, ramollie encore par le cinéma sentimentaliste et nihiliste comme l’inutile périple conté par Into the wild, devenu un film culte d’une jeunesse indépendante et vivant son rêve jusqu’au bout, alors qu’il devrait être un antidote contre ce comportement vide de tout sens, fondé sur le rejet de la vie harmonieuse et du devoir, et qui se termine d’ailleurs tragiquement par la mort du sujet.

L’ennemi s’est faufilé partout, jusque dans le camp des défenseurs du trône. Ainsi, le très talentueux Jean Raspail, dont chaque roman est une pépite, n’a-t-il pas donné pour devise à sa famille phare, les Pikkendorff ; « je suis d’abord mes propres pas » ?

Il y a, c’est une certitude, une perversion générale des intelligences et des cœurs par la littérature, la musique, le cinéma, relais très efficaces de ce romantisme sentimentaliste et dégoulinant d’inutilité. Combien d’auteurs chrétiens ou contre-révolutionnaires n’ont-ils pas donné dans le panneau d’ailleurs ? Oubliant qu’écrire ce que l’on veut ne signifie pas écrire n’importe quoi. Oubliant que l’auteur a un rôle social, que sa parole, une fois publiée, ne lui appartient plus, ne sera plus modifiée et que chaque ligne pourra porter sa semence dans l’esprit du lecteur. Oubliant enfin que l’on écrit toujours à la lueur de deux flambeaux « la religion et la royauté », comme disait le grand Balzac.

Aujourd’hui, certainement, le démocratisme institutionnel entretient cet état moral destructeur de toute valeur solide. Les valeurs renaissent d’elles-mêmes car nous avons, pour la plus grande partie d’entre nous, le désir de fonder une famille, d’éduquer nos enfants du mieux que nous pouvons, de leur transmettre tout ce qui nous est cher, de préserver leurs libertés, d’éclairer leurs consciences, de mener une vie matérielle et morale digne, et de permettre à notre prochain de faire de même. Presque tous nous aimons notre famille et notre pays. Presque tous nous souhaitons faire de notre mieux au travail et savons ce que c’est que se donner au quotidien pour ceux que nous aimons, et souvent encore pour tel ou tel inconnu. Les valeurs ne sont pas mortes, elles rejaillissent sans cesse et marquent nos actions. Mais elles sont tout aussi souvent mises à bas, fragilisées, par notre adhésion malade et contradictoire à toutes les mauvaises sirènes qui emplissent notre univers mental et dont nous sommes parfois les défenseurs ou les promoteurs.

Si les institutions politiques soutiennent ce laisser aller intellectuel, celui-ci soutient également les mauvaises institutions en leur donnant une justification par les arts, bâtis à l’image du régime. Les deux se soutiennent, il faut combattre les deux.

Mais dans le passé, c’est d’abord par les belles lettres que l’ennemi se faufila, épinglant les contradictions ou les hypocrisies des hommes droits, nous grattouillant par là où cela nous démangeait, dans toutes nos bassesses et toutes les facilités de notre sentiment flatteur. 

Il faudrait, pour tordre le cou à cette mauvaise littérature (Non pas mauvaise dans la forme, souvent talentueuse et plaisante, mais dans le fond, moralement abject.), une œuvre monumentale de critique allant chercher jusqu’à Athènes et Rome tel vers ou tel essai piégé. Surtout il faudrait revenir à Luther qui, sans le savoir, nous détourna des valeurs naturelles en nous incitant à devenir notre propre juge des choses sacrées puisque détachés de l’Église. (Entendons-nous bien. Jamais Luther, dont la sincérité et la piété ne sauraient être mises en doute, n’a cru établir une telle horreur contre le christianisme. Il se dressa contre les abus de l’Église de son temps et songeait restaurer la splendeur de la foi en Jésus Christ. Mais telle est la conséquence pratique de son libre examen, qu’il posa jusque dans l’Ecriture sainte, en accordant plus d’importance à certains textes qu’à d’autres, au point de considérer l’épître de saint Jacques comme une épitre de paille, parce qu’elle gênait son système inspiré de l’épître aux Romains de saint Paul…) Les romans et les essais des Lumières, premiers poseurs du sentimentalisme, notamment chez Rousseau, lequel nous incita à faire de notre conscience individuelle le seul juge infaillible du bien et du mal général, apportèrent une pierre majeure contre l’édifice de la vérité.

Mais ces sentiments ne reçurent leurs titres de noblesse et le brevet de popularité qu’avec le romantisme du XIXe siècle. C’est là que nous nous arrêterons un instant, nous appuyant sur quatre œuvres parmi les plus populaires de leur temps, apprises par coeur par des centaines de milliers d’élèves, déformant autant d’esprits et jetant des bases d’autant plus destructrices qu’elles furent servies par des plumes du plus grand talent.

Ensemble nous jetterons notre regard sur Hernani et Ruy Blas, de Victor Hugo, Lorenzaccio d’Alfred de Musset, et L’Aiglon d’Edmond Rostand. Trois auteurs, trois époques, trois milieux différents, mais une même communion au romantisme sentimentaliste et individualiste qui, aujourd’hui, sous des allures moins glorieuses, affaiblit notre humanité en la faisant croître en bestialité. Chacune de ces pièces fut couronnée en son temps et leur retentissement a guidé notre choix pour attaquer ce romantisme qui n’en finit pas de faire des émules.

A suivre… 

Gabriel Privat

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