Societé

Lettre d’un émigré –Pour en finir avec l’opposition systématique, revenons à l’harmonie

La caractéristique la plus saillante de la modernité se trouve peut-être, plus que dans tout principe erroné ou d’inversion subversive, dans la lutte infinie et l’opposition systématique qu’elle véhicule : la graine de la zizanie est trop souvent profondément plantée dans tout et partout et tout le temps, à commencer dans les familles, et même au sein même des personnes elles-mêmes. Tout est bon pour s’opposer, lutter (mais pas noblement comme les chevaliers), se disputer, chercher la disharmonie, la lutte, la guéguerre pour tout et pour rien, au milieu de toutes les jalousies, de toutes les envies, etc.

Dans les sciences, les disciplines et les choses de l’esprit, c’est la même chose. C’est le doute systématique de Descartes à en devenir malade : tout n’est que réfutation, mise en doute, analyses intentionnelles pour faire ressortir le moche, positivisme à outrance qui considère que tout ce qui n’est pas démontrable n’existe pas tout simplement, ce qui est une profonde absurdité humaine lorsqu’on y réfléchit un peu de près, une mauvaise foi, a priori idéologique, un ostracisme, etc.

C’est la même chose en entreprise, à l’école, dans toutes les hiérarchies, où la violence de la lutte est quotidienne de tous côtés : le chef abuse de son pouvoir autant que faire se peut, là où il devrait servir, et les subalternes violentent égoïstement l’ensemble de la communauté sans jamais discuter pour de vrai, en général. Le cercle vicieux est en place, la méfiance est partout – d’où la sur-présence de l’écrit, du contrat, de l’attestation et des tracasseries administratives, symptôme d’une société où la confiance n’est plus possible, où l’on part coupable dès le départ et où tout est pensé, donc, pour des coupables idiots dans une infantilisation généralisée pour une société où il n’existe plus d’adultes. C’est la  lutte infinie et l’opposition absolue, la dialectique marxiste partout, qui trouve ses racines dans un individualisme effréné et une négation du divin tout bonnement extraordinaire.

La restauration passe par le combat intransigeant, dans nos actes et dans notre quotidien, contre cet esprit de zizanie, de lutte et d’opposition constante. Un combat de paix donc, qui cherche la conversion de l’autre, et qui a suffisamment d’abnégation pour ne savoir résister que quand cela est nécessaire – d’où l’importance, au passage, d’être fort, car seule la force protège avec l’abnégation, contre la peur, contre la désespérance. Certes, on pourrait en soi dire que le faible est fort s’il est en Dieu, cela est vrai, mais la force est un bien si elle est juste, et une personne forte a la possibilité, s’elle est en Dieu, de réaliser de grandes et bonnes œuvres, en protégeant le faible, et en désactivant, en sortant du cercle vicieux de la violence, de la lutte et de l’opposition.

Une hiérarchie harmonieuse est ainsi possible, à condition de retrouver l’esprit traditionnel de l’ordre, avec un chef comme premier des serviteurs, aimant et tendre envers ses subordonnés, à la charge harassante que personne n’envie donc, mais que tout le monde loue pour ses sacrifices envers tous ses subordonnés, et que tout le monde loue pour sa piété envers Dieu et la voie qu’il montre au jour le jour. Et les subordonnés, aimant leur chef, en communion avec l’amour du divin, dans une obéissance sincère et adulte, qui saura faire remontrance si nécessaire par charité et jamais par rébellion, la grande inconnue de la tradition. De la même façon, la communauté harmonieuse est celle où chacun se soucie de l’autre, cherche à faciliter la vie, le travail des autres, pense « groupe » dans le bon sens du terme, voit loin, respecte et aime les autres. Cela se traduit dans la courtoisie, qui n’empêche ni la franchise, ni l’intransigeance qui sait dire « non » quand c’est non, et « stop » quand il faut, et cela se traduit aussi dans les actions et les pratiques vertueuses.

Prenons un exemple simple qui existe au Japon : le dit nemawashi根回し. La pratique consiste en toute chose à prévenir et consulter tous les acteurs concernés par une chose ou une autre afin de mettre au courant et à la fois de faire participer toutes les personnes concernées, qui sont donc informés de ce qui se passe, et peuvent de plus, vu que cela est fait préalablement, faire des remarques et proposer des améliorations le cas échéant. En fin de compte, la décision, ou n’importe quelle action de groupe, ou bien n’importe quel plan, marchera beaucoup mieux, puisque tout le monde est au courant en avance – pas de surprise, pas de prise au dépourvu – a été consulté réellement – si quelqu’un fait une remarque, il est écouté, et si elle est bonne, celle-ci est prise en compte. Les causes de luttes et d’oppositions sont ainsi tuées à la source, pour laisser la place à un « débat » préparatoire posé, car préparé en avance, et fructueux, et se fondant sur une amélioration véritable avec des avis de toutes les parties prenantes, quand une décision brutale, ou un manque de mise au courant crée des situations d’urgence, de prise au dépourvue, de précipitation qui excitent les sentiments de colères, d’injustices, d’imposition sans consultation, parfois aussi des bousculades d’ego, ce qui fait tout gripper, et incite à répandre un mauvais esprit dans le groupe.

La nemawashi consiste au départ dans une pratique de greffe de racines pour améliorer la production de fruits ou de fleurs d’une plante, et dans son acceptation figurée désigne toutes les actions préalables pour rendre une décision, un plan, un processus, plus fluides et acceptés par tout le monde. L’image est parfaite : l’harmonie remise à tous les niveaux par les actions personnelles et des pratiques saines et vertueuses, qui, outre celle de tuer à la racine l’esprit de compétition, de lutte et d’opposition, fait prospérer des fruits bien plus grands, tout en faisant naître des liens solides : le début de la restauration.

Cela prend du temps, direz-vous. Certes, mais la restauration se fait dans le temps, et en fin de compte, ce temps qui semble perdu, est gagné, véritablement gagné. Car la réappropriation d’un temps sain et rythmé par les activités sacrées, par les rituels, le repos et le travail, est une condition sine qua non de la restauration intégrale.

La restauration se fait au jour le jour en nous, et sur des années et des générations, au niveau des communautés, de la société. Les fondements posés aujourd’hui, s’ils sont sains, donneront des fruits, que nous verrons du ciel, ou, si nous sommes bénis, déjà pendant l’intervalle de notre courte vie. L’urgence, l’immédiateté, l’instantanéité, ou plutôt le fait de devenir l’esclave de la vitesse, là où elle n’est qu’un moyen voire une habilité, sont aussi une source de la perte de tout repère, de la naissance de personnes hors-sols, confuses et perdues, qui n’ont plus que la lutte et l’opposition comme jouissance, comme dépit ou comme amertume. Tous sont des sentiments très loin des vertus royales de frugalité, de joie et d’espérance – subsumées aux vertus théologales de Charité, de Foi et d’espérance.

Que le Roi nous montre la voie, que nous soyons de véritables sujets fidèles, pour la restauration et pour le salut de nos enfants et de la France,

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France,

Paul de Beaulias.

Dit autrement et synthétiquement par un bréviaire nippon à lire et à relire, encore et encore :

« L’esprit d’harmonie prend corps et réalité dans l’union de la multitude des choses. L’harmonie ne peut pas naître d’une situation de contradiction et de lutte où chacun privilégie son ego et ne fait que mettre en avant le moi. Dans les peuples individualistes, on peut imaginer que ces contradictions et oppositions puissent être adoucis et réglés par des procédés comme le compromis, la coopération ou le sacrifice, mais ce qu’il en résulte ne constitue absolument pas la réelle harmonie. En d’autres termes les sociétés individualistes montrent toujours le spectacle de la lutte de la multitude contre la multitude, et il semble devenir inexorable que toute leur histoire ne puisse que s’expliquer à travers la lutte des classes.  Toutes ces théories étatiques, politiques et sociales qui cherchent à exprimer scientifiquement la forme des sociétés, les organisations politiques et autres, sont substantiellement incompatibles avec notre pays dont la voie fondamentale porte l’harmonie en elle. La raison pour laquelle la pensée et les études de notre pays diffèrent par nature de celles occidentales se trouve véritablement dans cette harmonie.

            L’harmonie de notre pays n’est pas ce concept simplement déduit par la raison, cette collaboration mécanique d’individus égaux et indépendants les uns des autres. Non, notre grande harmonie existe dans les parties qui composent un tout, et qui s’expriment dans les actions de toutes les parties qui préservent l’unité du tout. Il se réalise par conséquent mutuellement un enseignement attentionné et plein de tendresse dans un respectueux amour et une humble soumission réciproque. Cela n’a rien à voir avec cette collaboration et ce compromis désespérément mécanique et  uniforme. Chacun possède au contraire sa propre unicité, et, chacun étant différent des autres porte et réalise bonnement sa particularité pour manifester leur nature réelle qui se retrouve dans l’harmonie de la grande nature unifiée[1]. En d’autres termes l’harmonie de notre pays consiste en le déploiement des qualités de chacun, qui, en passant par la saine émulation et les inévitables désaccords, se retrouve tout bonnement dans la même nature et qui constitue le Yamato, la Grande Harmonie. L’harmonie dans notre pays développe au maximum les particularités individuelles et ales talents qui s’émulent entre elles positivement, pour s’unir finalement au-delà des frottements dans la grande harmonie. Ces particularités et ces différences permettent de rendre toujours plus excellente l’harmonie, et rendre son contenu toujours plus riche. Et aussi, grâce à cela, la nature particulière de toutes les individualités gagne en beauté, et contribue aussi en même temps à la belle prospérité du tout. L’harmonie de notre pays n’est pas ainsi une chose désincarnée et asphyxiante, mais se manifeste concrètement dans des développements plein de fraîcheur qui se réalisent dans le Yamato, la grande harmonie. »[2]

 

[1]    一如の世界ichinyo no sekai, le monde du ichinyo. Le ichinyo est un concept bouddhique qui énonce que sous la manifestation multiple de toutes les choses, leur nature vraie est au fond une. En clair, même si chacun possède ses particularités, l’harmonie est possible car la réalisation de ces particularités révèle la vraie nature des choses qui est une, et qui réalise ainsi l’harmonie.

[2] Le Vrai sens du Kokutai, I,4               

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