Littérature / Cinéma

Pourquoi Jean Raspail ? (2ème partie et fin)

 

Nous sommes tous des Oumiates jetés hors de nos forêts

Ce déracinement, cette évaporation de la mémoire du lignage est une réalité concernant la majorité des Français d’aujourd’hui. Que chacun se regarde, qu’il contemple l’onde du Styx et il y verra une histoire similaire. Le malheur ne vient pas de cette disparition de la mémoire et des racines. Les civilisations sont mortelles et nous assistons à un cycle naturel de la vie de l’humanité.

Le malheur vient de l’indifférence dans laquelle se trouvent la plupart des hommes. Sans regarder ils  voient mourir leur âme et semblent sans moquer parfaitement. Or, la vie à venir exige de se souvenir !

Plus aucune fumée ne s’échappe du sanctuaire de Corinthe. La pythie plus jamais ne prophétisera. Mais la sagesse grecque nous est parvenue et sous d’autres formes, nous en vivons. Notre vie contemporaine se nourrit de l’intelligence de Rome, d’Athènes et de Jérusalem. Notre langue s’est construite principalement sur l’addition et la mutation du francique, du latin et du vieux gaulois. Se souvenir, ce n’est pas rêver du monde fixe, ce n’est pas contempler la mort, c’est vivre ! Vivre et avancer en s’appuyant sur ce qui fut !

Pour cela il faut transmettre. Plus jamais votre serviteur ne fera revivre sa famille cévenole, ni la culture juive alsacienne et encore moins son vieux Paris dont il connut les derniers feux. Mais il use son énergie à parler et transmettre, à conserver vivante cette flamme parfaitement inscrite dans le foyer plus large de l’esprit de la civilisation française. Elle se modifie avec les ajouts des vies nouvelles, mais sa source demeure. Là est l’essentiel.

L’indifférence de nombre de Français pour leurs racines et leur âme, le peu de souci qu’ils ont de transmettre leur passé à ceux qui viennent est une cause de grande souffrance car elle nous rapproche du destin des Kaweskars ou Alakalufs. Un jour viendra le dernier homme et après lui nul ne se souviendra plus, à moins qu’il ne rencontre son Jean Raspail ou son Georges Dumézil, passeurs de flammes devenues petites et vacillantes flammèches, dans l’attente d’un hypothétique renouveau. (Celui-ci est toujours possible. Le XIXe siècle fut le temps d’une renaissance du gaélique et du finnois tous deux en voie de dégénérescence à l’époque.)

Quelque part dans la ville des hommes gris, Zéphyr le clochard transmet le message laissé par ceux qui partirent de la Principauté.

Un bel exemple de cette indifférence réside dans notre muséographie. La fermeture, en 2005, à Paris, du musée des Arts et traditions populaires et le transfert des collections à Marseille pour l’ouverture du musée des civilisations de la Méditerranée est en soit évocatrice… La réduction de notre spécificité française à une civilisation d’interface avec les cultures méditerranéennes revient à nier la réalité atlantique, septentrionale et rhénane du pays, mais aussi ses profondeurs continentales qui n’ont rien à voir avec aucune frontière externe.

Plus intéressant encore est le cas du musée du Quai Branly, musée des arts premiers, dont le slogan est « le musée où les cultures dialoguent ». La base de ce musée est composée des collections du défunt « musée des arts océaniens et africains », anciennement « musée des colonies », installé à la Porte-Dorée dans le XIIe arrondissement de Paris et devenu depuis la « Cité de l’immigration », tout un programme… Pour en revenir à ce musée du Quai Branly, on y voit se succéder des œuvres d’art africaines des différentes parties du continent, des œuvres polynésiennes, vietnamiennes, d’Asie centrale et sibériennes, du Maghreb, amérindiennes. En somme, ce musée de toutes les cultures est le musée des cultures non-européennes, mélangées dans un pêle-mêle étrange, sans tenir compte de la disparité d’ancienneté historique des vestiges comparés, ni des mutations diverses de ces sociétés. Ainsi, les œuvres polynésiennes sont toutes du XXe siècle, mais semblables à celles que découvrit Bougainville et semblables sans doutes à l’art de ces peuples il y a mille ans. Cet art figé a sa grandeur, mais il est parfaitement dissemblable de l’art khmer auquel il est comparé quelques galeries plus loin, faisant appel à une civilisation dont les traits ont profondément changé dans le même temps. Enfin, si toutes les cultures dialoguent, où sont les cultures européennes ? Pourquoi seules elles seraient exclues de cette conversation ? Pourquoi seules elles n’auraient pas le droit à la reconnaissance d’une diversité culturelle et ethnique digne d’être représentée ? Cependant, considérant le mépris inconscient dans lequel sont mélangés les totems de l’Oubangui et les masques rituels des îles Loyautés, sans doute est-il préférable que nous ne soyons pas mêlés à cette mascarade.

Plus proche de notre quotidien, qui n’a jamais remarqué que lors des kermesses ou des marchés de Noël, il se trouvait toujours un stand pour vendre des produits « ethniques » ? Dans ces étalages on trouve des produits africains, asiatiques du sud ou amérindiens. L’Extrême orient développé et l’Europe semblent ne pas avoir d’ethnies. Pourtant les hommes qui y vivent sont des êtres de chair. Que s’est-il passé ? Pour sa part, votre serviteur y voit une grande ignorance, un mépris inconscient envers les peuples non-blancs réduits à un folklore, et une méconnaissance ou un désintérêt pour la richesse de notre propre civilisation.

Cette richesse doit pourtant se vivre au quotidien, dans les petites choses, non pas seulement en visitant le Louvre ou nos cathédrale, héritage majestueux, mais que notre histoire conquérante a transformé en héritage commun de l’humanité et non en legs spécifique à nos petites communautés. La tradition doit avant tout se vivre dans les petits objets, les petits lieux, les locutions particulières qui font nos patries immédiates, nos familles, nos quartiers et nos villages. En ce sens, la destruction du musée des Arts et traditions populaires ainsi que la déshérence de la nombre de musées locaux sont autant de crimes contre la mémoire des peuples français et européens.

Cela doit cesser, il est loin d’être trop tard. Français ! Pour vivre il faut te souvenir ! Interroge tes parents, tes grands-parents, tes grands-oncles et grandes-tantes ! Conserve autant que tu peux et transmets à ton tour, dans le meilleur état possible, non pas un cimetière, mais le dépôt de ton lignage individuel et commun. Il n’y a pas de plus belle et de plus grand antidote contre la mort éternelle qui frappe les peuples oubliés. Si dans le renfoncement du mur de la salle à manger de ton aïeule traîne une antique soupière en étain marquée d’inscriptions de toi inconnues, n’en perd pas le message, ce plat de chaque jour recèle un trésor.

Gabriel Privat

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