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Vive l’intolérance miséricordieuse ! Ou du bon principe de l’Inquisition

Les fondamentaux de la Restauration

Joseph de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole, Paris, Méquignon Fils ainé, 1822.

Vive l’intolérance miséricordieuse ! Ou du bon principe de l’Inquisition

Joseph de Maistre signe dans sa série de Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole un chef-d’œuvre pétri de bon sens chrétien, de charité profonde et d’une finesse d’analyse à toute épreuve.

Quand l’on pense qu’il écrit au tournant du XIXe siècle, dans un contexte plus qu’agité, on ne peut être qu’impressionné par sa rigueur intellectuelle et son exactitude sereine. Maistre ne fait pas à proprement parler œuvre d’historien, et la critique contemporaine pourrait l’attaquer pour un certain manque de citations des sources, mais cette critique serait injuste, puisque l’auteur ne s’est jamais proposé d’écrire un traité d’histoire. De plus, lorsqu’on compare aux autres œuvres de son temps, Maistre use en réalité plutôt plus que moins des citations, des notes et des exemples précis.

S’il se propose ici de présenter les grandes lignes de l’histoire de l’Inquisition, c’est pour que le lecteur comprenne l’essence de cette institution et sache toute la vérité à son sujet. Il est aisé, ensuite, de creuser tel ou tel aspect de l’œuvre, de juger si les arguments de l’auteur sont exacts sur le fond, de vérifier que son herméneutique est profondément juste, etc. Joseph de Maistre garde toujours en ligne de mire l’essence des choses, il pénètre les faits historiques pour en retirer de grandes lignes de forces, utiles à tout homme et au rappel des fondamentaux. En ce sens, il ne cesse de faire œuvre d’historien, au sens grégorien du terme, glorifiant l’œuvre divine dans l’usage juste des dons faits à la raison humaine par la grâce de Dieu.

Il faut souligner le mérite du travail de Joseph de Maistre, bien documenté, et fournissant beaucoup de notes malgré la forme épistolaire du texte et les difficultés de l’époque — ancienne et troublée — pour accéder aux sources diverses. Dans sa langue si admirable, le philosophe sait, de plus, pimenter son texte de son esprit provocateur, irrésistible et drôlatique, pour y poudrer le sel nécessaire à la conversion des cœurs. Voici la préface, qui résume tout :

« Préface. Écrite longtemps avant l’ouvrage, par un homme qui n’était pas prêtre.

« Tous les grands hommes ont été intolérants, et il faut l’être. Si l’on rencontre sur son chemin un prince débonnaire, il faut lui prêcher la tolérance, afin qu’il donne dans le piège, et que la partie écrasée ait le temps de se relever par la tolérance qu’on lui accorde, et d’écraser son adversaire à son tour. Ainsi le sermon de Voltaire, qui rabâche sur la tolérance, est un sermon fait aux sots et aux gens dupes, ou à des gens qui n’ont aucun intérêt à la chose. » Correspondance de Grimm, 1er Juin 1772, 1ère partie, tome II, p. 243 et 243. »

Provocateur, disions-vous… Certes, à notre époque, la tolérance est devenue si dévoyée qu’elle donne le haut-le-cœur. Derrière la provocation, néanmoins, et l’emprunt de cette citation, Joseph de Maistre résume son propos et réaffirme une vérité universelle : qui aime bien châtie bien ! C’est pourquoi il faut être intolérant. « Tolérer » ne signifie rien d’autre que supporter quelque chose de mal, et sous-entend soit une indulgence mal placée — car qui pourrait désirer que son prochain fasse le mal par lequel il se perd ? —, soit une situation de faiblesse et de contrainte qui ne nous laisse d’autres choix que de supporter l’insupportable — tout mal est insupportable en tant que le mal est ce qui sépare les hommes de Dieu. Ainsi, quant à soi, il faut être toujours intolérant en toute chose, c’est-à-dire, pour le dire autrement, refuser tout mal et choisir le bien. Autant le mal est toujours insupportable, autant la souffrance non, la souffrance n’est que le résultat du mal, mais n’est pas le mal lui-même, et, par exemple, une souffrance immense, due au mal des autres, peut être vaincue par la Croix de Jésus : il est bon de le prendre pour soi à notre mesure de force, car ce sacrifice est susceptible de racheter le péché des autres.

Ainsi, être charitable, soit vouloir le bien des autres, c’est-à-dire souhaiter qu’ils marchent vers Dieu, exige l’intolérance : un père sévère ne l’est que face au mal que peut faire l’enfant, pour le bien de celui-ci, et pour qu’il marche sur le chemin du bien. Qui connaît la tristesse du père punissant légitimement son enfant connaît aussi la consolation de savoir que le châtiment est un bien plus grand que la lâche indulgence. Vous voyez votre prochain courir tout droit dans un précipice, et vous ne lui dites rien ? Quelle personne horrible êtes-vous !

Ainsi, de deux choses l’une, le tolérant est soit un monstre de lâcheté inconséquent qui laisse l’insupportable se produire là où il pourrait le prévenir, ou, à la limite, et ce cas est au fond moins scandaleux, un tiède qui ne sait plus ce qui est mal ou bon. Ce dernier cas est le mal terrible de la Modernité ! D’où l’obligation de l’intolérance pour tous, et évidemment pour l’Église face à l’hérésie, qui est, par définition, ce qui détourne clairement de la Vérité, donc du bien.

Cela dit, tout cela doit se faire dans la miséricorde la plus pure, car tout ce que vise l’intolérance, usée dans un pur amour et par pur amour, c’est la conversion des cœurs au Bien suprême qui ne peut jamais se faire ni par la contrainte, ni sans le plein assentiment de la volonté de l’âme.

Voici donc ce qui constitue les principes commandant aux fondements de l’Inquisition au niveau non pas personnel, ni communautaire, mais social : le mal le plus dangereux, celui de l’hérésie qui ronge les âmes pour mettre du désordre partout, ne saurait appeler qu’une intolérance stricte dirigée vers la conversion des âmes égarées dont l’action malsaine ou scandaleuse perturbe l’ordre et incite au mal. Justice et Miséricorde vont toujours de paire, voici la tradition, et voici ce qui anime les inquisitions ecclésiastiques. Justice intolérante par charité et donc miséricorde parfaite pour le salut des âmes.

Joseph de Maistre nous dit déjà tout cela dans sa préface, en quelques lignes, sans même avoir encore lui-même prit directement la plume. Chapeau bas ! Joseph de Maistre ne se lit pas à la va-vite.

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !


Dans cette série d’articles intitulée « Les fondamentaux de la restauration », Paul-Raymond du Lac analyse et remet au goût du jour quelques classiques de la littérature contre-révolutionnaire.

Mgr Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État (1911) :

Joseph de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole (1822) :

  • Introduction :
    • Art. 1 : Vive l’intolérance miséricordieuse ! Ou du bon principe de l’Inquisition

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