Littérature / Cinéma

Collectif, Lire Philippe Muray

Philippe Muray (1945-2006) est un monument difficile à cerner. Il nous a beaucoup amusés et beaucoup appris, à nous autres lecteurs qui savons lire – ou qui, tout simplement, lisons encore… Il fait partie de ces hommes qui, aux yeux du public, ont gagné à disparaître physiquement, la mort devenant gage publicitaire.

Placé sous la direction de l’universitaire Alain Cresciucci, Lire Philippe Muray[1] est un recueil d’articles écrits sur le romancier et essayiste – ces mots parviennent-ils seulement à enserrer l’individu ? Une multiplicité d’intervenants implique une grande diversité qualitative. Certains billets sont excellents, quand d’autres sont atrocement mauvais. Deux ou trois mains accomplissent l’incroyable prouesse de nous rendre affreusement chiant à mourir l’un des auteurs les plus hilarants du XXe siècle – ce fameux rire qui est le propre de Rome

Quoi qu’il en soit, cet ouvrage nous en apprendra davantage sur le personnage lui-même, et sur son histoire. Le lecteur sera étonné de constater des rapprochements passés avec Philippe Sollers ou BHL, ou encore de voir des romans murayiens paraître chez de grandes maisons d’édition – mais sans grand succès à la clef. Plus logique paraît son amitié avec René Girard – Hubert Heckmann donne un article fort intéressant sur le sujet. La carrière de Muray se trouve très vite profondément marquée par un violent dédain de la part de quelques « intellectuels » ayant perdu tout sens du réel, s’offusquant notamment de l’essai si novateur – mais si classique – et si efficace Le XIXe siècle à travers les âges, auquel Alain Cresciucci consacre un chapitre (un autre, du même auteur, sur « Philippe Muray et le roman » mérite également le détour). Il en ressort notamment que « le XIXe siècle repose sur la conjonction du socialisme et de l’occultisme, l’ “ocsoc” ». La violence du réel[2], comme celle de la vérité, fait mal aux princes du mensonge. Le réel, c’est aussi le mal, la Malin. À ce propos, Hecmann précise : « Réviser le procès de Satan, c’est aussi bien sûr ouvrir celui de son prétendu persécuteur : l’Église. »

Nous retiendrons tout particulièrement des passages de la contribution d’Isabelle Ligier-Degauque, « “Derrière le simulacre, le réel ?” Muray et la peinture », tels que : « la poésie, empreinte de relents de romantisme, relève de la croyance quasi religieuse et est vénérée à ce titre par les philosophes, tandis que la peinture “doit être rendue à la prose, c’est-à-dire à la littérature”. »

Depuis 2007, les livres sur Muray se multiplient… mais ils ne sont pas encore aussi nombreux qu’on le dit communément. Un opus qui garnira les bibliothèques des inconditionnels de l’homme au cigare qui ne se prenait pas au sérieux.

Jean de Fréville

[1]    CRESCIUCCI (Alain) (dir.), Lire Philippe Muray, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2012, 288 p., 23,50 €.

[2]    H. Heckmann : « Muray nous apprend que le monumental “XIXe siècle” a pour fondations un cimetière, ou plutôt la négation d’un cimetière. Le XIXe siècle à travers les âges s’ouvre sur la description d’une “scène inconnue et primitive” : le transfert des ossements du cimetière des Saints-Innocents dans les Catacombes de Paris, entre 1786 et 1788. Sont ainsi jetées les fondations d’un nouveau monde. L’utopie ne cessera dès lors de construire, sur les cadavres d’innocents, des cités idéales dont le canon architectural est justement celui des nécropoles, à l’harmonie bien ordonnée ».

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