Littérature / Cinéma

« Frantz », le film à voir et à revoir

Il est rare qu’un film m’envahisse aussi complètement et qu’il me soit nécessaire de le revoir pour en saisir les émotions les plus cachées et les développer. Frantz réalisé par François Ozon avec Paula Beer, Pierre Niney, Ernst Stötzner, Marie Gruber, Johann von Bülow, Anton von Lucke, Cyrielle Clair, Alice de Lencquesaing est un film franco-allemand d’une rare beauté.

Frantz a été sélectionné en compétition officielle à la 73ème Mostra de Venise et il a été  présenté en avant-première au Festival de Toronto. L’histoire est bouleversante. Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna (Paula Beer) se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz (Anton von Lucke), mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien (Pierre Niney), est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.

François Ozon s’explique : « «Dans une époque obsédée par la vérité et la transparence, je cherchais depuis longtemps à faire un film sur le mensonge. En tant qu’élève et admirateur d’Eric Rohmer, j’ai toujours trouvé les mensonges très excitants à raconter et à filmer. Je réfléchissais donc autour de cette thématique quand un ami m’a parlé d’une pièce de théâtre de Maurice Rostand, écrite juste après la Première Guerre mondiale. En me renseignant un peu plus sur cette pièce, j’apprends qu’elle a été adaptée au cinéma en 1931 par Lubitsch sous le titre Broken Lullaby. Ma première réaction a été de laisser tomber. Comment passer après Lubitsch ? »

Dans la pièce et le film de Lubitsch, le mensonge n’est pas révélé aux parents, ils en souffriraient trop et le Français est accepté dans la famille, il prend la place du mort, il joue du violon pour eux et tout se termine bien. Dans le film d’Ozon, Adrien essaye aussi de s’intégrer à la famille mais à un moment, le mensonge et la culpabilité sont trop forts et il révèle tout à Anna. Et contrairement au film de Lubitsch, Anna ne peut l’accepter qu’à la suite d’un long parcours initiatique. D’où cette seconde partie, qui s’ouvre sur le départ d’Adrien et la dépression d’Anna. Comment Adrien a-t-il pu agir de cette façon avec Frantz ? Et comment Anna peut-elle accepter LA VERITE ?

Ce qui est beau chez Anna, c’est son aveuglement, elle sait ce qu’a fait Adrien, ce triste sire dont la nature profonde nous donne envie de le juger, de le condamner, de lui faire payer ce qu’il a fait.

“N’ayez pas peur de nous rendre heureux”, dit la mère à Adrien avant qu’il ne commence à jouer du violon… Les parents ont un tel désir d’accueillir Adrien, de croire à cette fiction d’amitié franco-allemande, à la possibilité qu’il puisse prendre la place de leur fils disparu, qu’ils acceptent inconsciemment le mensonge. Tout se joue sur un malentendu auquel Adrien s’abandonne. Et c’est une manière pour lui d’apprendre à connaître Frantz, de leur faire du bien à eux et à lui-même. Un mensonge réparateur. Ce qui est fréquent dans toutes les histoires du deuil : on prend du plaisir et on a besoin de reparler de la personne disparue tout en l’idéalisant. Pour Adrien, leur procurer ce plaisir est une manière aussi de calmer pour un instant sa propre culpabilité.

Adrien est un personnage complexe, qui se découvre tout à fait détestable, pitoyable, lâche… et Anna ne révélera jamais qui il est vraiment. Jusque-là, Anna a tenu pour les parents de Frantz. Le père lui dit à un moment : “Merci de nous avoir soutenus, maintenant c’est à nous de t’aider.” Mais avec le mensonge et le départ d’Adrien, c’est comme si toute la douleur remontait, elle revit l’abandon de manière encore plus cruelle. 

Le début du film se concentre sur Anna, que l’on regarde déambuler entre la tombe de Frantz et sa maison…Une des choses les plus importantes pour Ozon était de raconter cette histoire du point de vue allemand, du côté des perdants, de ceux qui sont humiliés par le traité de Versailles et raconter que cette Allemagne-là est aussi le terreau d’un nationalisme naissant.

Le film est traité en noir et blanc et en couleur, ce qui donne une belle identité au film. Il a été tourné en plein centre de l’Allemagne, à environ 200 kilomètres de Berlin, à Quedlinburg et à Wernigerode pour la petite ville – et à Görlitz, à la frontière polonaise, pour le cimetière. En fait, ce sont des lieux de l’ex-RDA qui sont presque restés dans leur identité et n’ont pas été trop détruits ou trop rénovés au contraire des villes de l’Ouest.

Paula Beer est étonnante de présence, un nom à retenir. Pierre Niney confirme la place qu’il est en train de développer avec ses faiblesses et sa fragilité. Les parents d’Anna sont admirables dans leur rôle d’autorité et de tendresse. Et Johann von Bülow dans le rôle de Kreutz nous émeut. Il reste à évoquer Cyrielle Claire, la mère d’Adrien, somptueuse et démoniaque.

Ce film rappelle avec une belle sobriété cette époque morbide de l’après-guerre, avec deux millions de morts en France et trois millions en Allemagne, dont les survivants sont rentrés mutilés, traumatisés, tentés par le suicide.

Le plus grand silence régnait dans la salle de cinéma. Frantz est un film magnifique, fort et émouvant, qu’il faut absolument voir et même revoir. C’est assurément l’un des plus grands films qu’il m’a été donné de voir jusqu’à ce jour. Ne passez pas à côté !

Solange Strimon

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