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Les fondamentaux de la restauration – 5

 

Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison dans la cité et dans l’Etat, Société Saint-Augustin, Lille, 1911

CHAPITRE III L’UNION, LOI DES FAMILLES, EST AUSSI LA LOI DES ÉTATS

Continuons notre voyage dans hauts principes sociaux qui fondent en nature les royaumes de cette terre :

« « Multipliez-vous, a dit le Seigneur à la première famille, remplissez la terre et soumettez-la ». Les hommes en se multipliant n’ont pu soumettre à leur empire la terre, c’est-à-dire le sol et les forces de la nature, les plantes et les animaux, qu’en conservant entre eux l’union. L’homme isolé ne peut rien. L’association a fait tout ce que nous voyons : c’est elle qui a produit toutes les richesses que la civilisation possède actuellement. Tout est sorti du travail des hommes associés dans l’espace et dans le temps. Sans union point d’association, ou si l’association tente de se former elle ne tarde pas à se dissoudre. C’est l’union qui fait qu’un ensemble se tient et forme un tout. Du moment où elle est brisée la société tombe en ruines. »[1]

Mgr Delassus tacle ici non seulement la lubie Rousseauiste individualiste, qui croit que tout est association, et que l’association est une déchéance, en réaffirmant que seule l’association produit toutes les richesses matérielles et spirituelles sur cette terre, mais va encore plus loin et ne se contente pas de rester au simple niveau du constat naturel : il met à découvert le fond ultime de l’association, qui ne peut jamais se composer simplement d’une association formelle  et superficielle, du pure apparence : il faut un minimum d’union des cœurs – d’abord au niveau naturel – sinon rien ne peut naître, et l’association restera stérile à long terme. Cette affirmation nous évoque un mot d’Augustin Cochin qui disait, en substance, la chose suivante : l’homme social a soif d’union et cherche l’unité, c’est dans sa nature. Avant la Révolution, le Français était uni dans la foi, et même, au Moyen-Âge, la chrétienté était unie dans la foi : les cœurs étaient unis par la vérité la plus sublime, la plus pure, le lien le plus fort. Cette union puissante permettait dans tous les ordres secondaires à la variété infinie des caractères et des personnalités de se parfaire au plus sublime, donnant une grande variété dans les singularités que nous connaissons encore aujourd’hui, aussi détériorée que la situation soit : terroirs, ordres religieux multiples, corporations, confréries, etc. La Révolution en revanche détruit nominalement toute possibilité de vérité, en la niant, en l’ignorant, mais elle ne peut changer la nature humaine qui cherche toujours l’unité : elle la satisfait alors dans l’union des formes, l’uniformisation à tout crin, l’aplanissement. C’est la fameuse égalité, la tyrannie administrative, les totalitarismes modernes et la terreur : ne pouvant unir les cœurs, elle contraint les corps et les esprits.

Or, l’union véritable, donnée par le bon Dieu, ne peut qu’être un dérivé de la charité :

« Or l’union procède de l’amour. L’amour est donc la première loi du monde moral, comme son corrélatif, l’attraction, est la première loi du monde physique. L’une et l’autre mettent l’unité dans l’infinie variété des choses. « Comme les astres gravitent dans leurs orbites parce qu’ils sont force et pesanteur, a dit M. Funck-Brentano, comme conclusion de ses études sur la civilisation et ses lois, l’homme vit en société parce qu’il est intelligence et amour. » » [2]

Cette loi de la nature humaine est vraie dans le domaine naturel : piété filiale, amour conjugal, amitié politique, etc. Et se trouve sublimée et parfaite dans la charité chrétienne.

Mgr Delassus constate ensuite la ruine de la France et se pose la question suivante :

« Comment arrêter cette ruine ? Nous ne répondrons point à cette question par nous-mêmes. Nous emprunterons une parole étrangère, la parole d’un homme qui n’est point de race française, quoique unie à elle par la naturalisation et par la conversion du judaïsme au catholicisme. Elle paraîtra plus exempte de préjugés. « Comment revenir, demande-t-il au spectacle de nos divisions, comment revenir à l’unité nécessaire ? » « Il n’existe pas deux voies : c’est de revenir au principe qui, au cinquième siècle, a fait la France. » A un peuple précipité hors de sa voie, arraché à ses traditions et qui meurt, on ne peut rendre du sang, de la vie, du patriotisme, de l’élan, qu’en le ramenant, en le rattachant de nouveau à son principe. » Au principe générateur de la nation française, lequel fut la monarchie chrétienne, un autre principe a été tout à coup substitué. L’homme sans contredit le plus capable de faire triompher ce nouveau principe, M. Thiers, alors chef du pouvoir exécutif, en proposa l’essai sous une image qui ne manquait pas de grandeur et de séduction. Il comparait la République, dont le nom seul était un épouvantail pour beaucoup, à ce redoutable Cap des Tempêtes, au sud de l’Afrique, si fameux par tant de naufrages, et auquel, pendant longtemps, les vaisseaux n’osaient plus approcher. Mais un navigateur se rencontra plus hardi et plus confiant que les autres.

Imposant donc au terrible cap un nom de meilleur augure, celui de Bonne-Espérance, il osa tenter le passage : l’essai fut couronné de succès et le Cap des Tempêtes est resté le Cap de Bonne-Espérance. Et l’habile autant que spirituel vieillard concluait de la sorte : Osons, Messieurs, tenter un nouvel et loyal essai de la République; ce qui était hier le Cap des Tempêtes sera peut-être également demain le Cap de Bonne-Espérance. Voilà douze ans passés (aujourd’hui quarante ans bientôt) que l’essai proposé se poursuit. (…) »

« Ce tableau était tracé le 20 octobre 1883 par M. G. de la Tour dans l’Univers. Que de traits pourraient y être ajoutés en 1910, et comme tous les traits primitifs pourraient être poussés au noir ! » [3]

Cela est si vrai, Jean de Viguerie dans ses deux patries a bien analysé comment la fin du XIXe siècle marque la « grande arnaque » si vous me passez l’expression : les gens de bonne volonté ont pu croire, encouragés par un faisceau de circonstances diverses – certainement voulues par la Providence, pour nous mettre à l’épreuve – que la République et la révolution pouvaient ne pas détruire forcément la France, et les catholiques et les conservateurs l’ont soutenu, chose inouïe jusque-là. Malheur leur en a pris ! Mgr Delassus qui n’a pas encore vu la boucherie de la guerre mondiale, savait pourtant déjà, car cela découle des principes raisonnables éclairés par la foi et l’histoire, que cela ne pouvait pas fonctionner, et il affirme la source à laquelle il faut revenir :

« Non, l’espérance est ailleurs ! Elle est dans un retour national, nécessaire, à l’antique principe qui, ayant fait la France, peut seul la refaire. » Oui, c’est là que s’est réfugiée l’espérance ! Car où se trouve le principe générateur de l’unité, là se trouve le renouvellement de la patrie française !  Rien n’est fort eu effet, dans l’histoire d’un peuple, comme le principe générateur qui en a été la source ; rien n’est béni de Dieu comme la fidélité à s’y maintenir. La nation juive en a présenté un mémorable exemple. Chacun sait que, dans la succession illustre de ses rois, il s’en trouva un qui, fils dégénéré de David, eut à cœur, ce semble, de mériter le titre de honte et de bourreau de son peuple, tant il se montra à la fois impie et cruel. Ce fut Manassé, le Néron du peuple hébreu. Or il arriva que Dieu, prenant en pitié les gémissements des victimes, intervint par un de ces coups de justice qui retentissent dans l’histoire. Il livra le mauvais roi à Assurbanipal et à ses Assyriens. Ceux-ci l’ayant lié de deux chaînes l’emmenèrent captif à Babylone. N’était-ce point le cas de mettre à profil un événement si opportun pour modifier le gouvernement hébraïque, ou bien changer la dynastie, tout au moins pour remplacer le roi impie, devenu captif, en proclamant son fils? Rien de tout cela ne se fit. Fidèle au principe générateur de sa nationalité, le peuple hébreu ne se crut pas le droit d’en modifier l’essence : il se borna à établir un gouvernement provisoire ; et lorsque, après les longs mois d’une dure captivité, passée dans les larmes et le repentir, Manassé, délivré par la même main divine qui l’avait précipité dans les fers, reparut à Jérusalem, son trône l’attendait intact, la fidélité de son peuple n’avait point changé! » Alors Dieu qui, lui non plus, ne change pas, prit plaisir à récompenser magnifiquement une si admirable fidélité. Il le fit par deux événements particulièrement providentiels. Le premier fut l’apparition de Judith, l’une des héroïnes juives. Déjà maîtres du roi, les Assyriens s’étaient flattés de se rendre incontinent maîtres du royaume. Ce fut alors que Judith, suscitée par Dieu, leur barra le passage. Le second fait, non moins providentiel, fut l’avènement de Josias au trône de David. Petit-fils et second successeur de Manassé, Josias a été sans contredit l’un des meilleurs rois de Juda, une de ses gloires les plus pures, celui dont l’Ecriture a fait ce bel éloge : « La mémoire de Josias est comme un parfum du suave odeur. »

» Voilà ce que peut en faveur de l’unité, et pour le bonheur d’un peuple, la fidélité au principe générateur de son existence !»[4]

Admirons la connaissance biblique, qui n’était encore pas si rare à l’époque, mais soulignons surtout son appel : la fidélité au principe générateur de notre existence. Pour chaque personne et chaque société, cela est évidemment le roi des rois, Jésus-Christ, créateur du Ciel et de la Terre. Il n’est pas interdit de spécifier pour les différentes sociétés et communautés : pour la France, en l’occurrence, son principe générateur en tant que France est indéniablement les promesses de son baptême. Il est certainement assez rare que l’histoire le dévoile aussi clairement, avec une prise de conscience si précoce qui plus est.

Cette observation de Mgr Delassus est véritablement précieuse : être conservateur ne consiste pas à simplement protéger des acquis, du patrimoine, mais avant tout, et tout simplement, à se convertir, être témoin de la foi, et ainsi affirmer et ré-affirmer par des mots mais surtout par des actes les vérités éternelles – pour notre bien, puisque ces vérités objectives sont là, et ne pas en avoir conscience ou pire les ignorer et les nier conduit au malheur de l’homme, souvent déjà sur cette terre, mais surtout dans l’autre monde.

Et pour notre spécificité française, avec les promesses particulières faites aux rois de France, tout en restant plus qu’humble : révolutions et autres affres que connaît notre pays depuis deux siècles sont un résultat de la Providence que nous ne saurions conspuer en tant que chrétien. Il nous faut comprendre pourquoi nos ancêtres ont failli à surmonter l’épreuve, et s’ils ont vraiment failli d’ailleurs – car pour le salut des âmes ce résultat était peut-être le meilleur, mais cela Dieu seul le sait -, et ne plus regretter ce qui a été perdu, mais au contraire le voir comme une grâce ; Heureux les pauvres ! La jeune génération n’a plus d’entraves matérielles pour véritablement vivre dans la Tradition, et la tradition française : tout l’héritage spirituelle et culturelle reste là, les principes sont là, il suffit ensuite de restaurer, d’abord nous-même par la conversion spirituelle et royale, et restaurer nos familles et nos voisinages, sous la direction du bon roi.

Notre siècle sera dur, mais tout nous est donné pour nous sanctifier, et cela est une grande grâce, remercions le bon Dieu.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France,

Paul-Raymond du Lac

[1] p.48

[2] p.48

[3] p.49-50

[4] p.52-53

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