CivilisationHistoire

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (1/3)


Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi.

Centre d’Etudes Historiques CEH


Par le Pr. Yves-Marie Bercé

Professeur émérite à la Sorbonne

Directeur honoraire de l’Ecole des Chartes

Les historiens n’ont pas accordé beaucoup d’attention à la décennie 1650. Ils ont plus souvent porté leur attention, en amont, sur le ministériat de Mazarin et la crise de la Fronde et puis, en aval, ils se sont enthousiasmés des succès diplomatiques ultimes de Mazarin en 1659 et du début du gouvernement personnel du jeune Louis XIV.

Les annales politiques ont retenu qu’en 1653 le parti de Mazarin avait gagné. Son succès résultait de la lassitude des guerres civiles, de l’incohérence politique de Condé et de la légitimité à laquelle le cardinal ministre avait réussi à se confondre. Cependant la guerre aux frontières se poursuivait contre les couronnes d’Espagne sans apparence de décision. Une grande partie de l’opinion ne comprenait pas qu’après les traités de Westphalie, qui en 1648 avaient ramené la paix en Allemagne, des négociations n’eussent pas été menées à bien avec le roi Philippe IV. La continuation des hostilités était imputée aux intérêts et ambitions personnelles de Mazarin. Les hasards des armes, ou plutôt les insuccès des entreprises militaires françaises avivaient l’impatience de l’opinion. Les revers avaient commencé en 1650, ils s’accentuaient en 1652 alors que les Espagnols parvenaient à regagner Dunkerque, pris en 1646, à s’emparer de la place stratégique de Casale-Monferrato en Italie du Nord, et enfin de Barcelone qui capitulait en octobre. Ensuite, chaque été les offensives françaises sur des places flamandes aboutissaient à des échecs. En effet, aux Pays-Bas espagnols, c’est-à-dire la Belgique, le gouvernement était passé à Don Juan d’Autriche, fils illégitime de Philippe IV, déjà vainqueur en Catalogne. En 1656, Don Juan arrêtait l’avance française sous les murs de Valenciennes, il fut vainqueur derechef, à l’été 1657, aux abords de Cambrai. Les motifs politiques qui avaient en 1648 provoqué la crise de la Fronde se trouvaient alors reconstitués ; les troubles se multipliaient dans de nombreuses provinces, l’impopularité de Mazarin reprenait vigueur ; alors que la santé du jeune roi paraissait fragile, l’explosion d’une nouvelle crise frondeuse semblait imminente.

Comme toujours depuis trente ans environ, c’était la politique fiscale oppressive qui était à l’origine des réactions de l’opposition ou, bien pis, qui suscitait des prises d’armes et de véritables révoltes organisées. Tandis que les besoins de la guerre reprenaient leur ascension vertigineuse, les surintendants des finances n’échappaient pas à une gestion de l’instant. Ils n’avaient jamais essayé de faire évoluer l’assiette des ressources de l’État qui reposaient très majoritairement sur les tailles, c’est-à-dire sur le produit de la terre, sur les revenus de la France des villages et des campagnes. Les règlements n’avaient pas tendu qu’à durcir et accélérer les procédés de recouvrement. Il était de plus en plus fait recours aux moyens de la force des logements de garnisaires, aux contraintes par corps et emprisonnement de redevables. Était aussi mis en œuvre le principe, inique et provocateur, de la solidarité de la dette à l’intérieur d’une communauté d’habitants ; ce principe autorisait les huissiers à exiger du premier habitant un peu notable rencontré la totalité de la dette de sa paroisse. Les instances locales traditionnelles, les officiers des élections et des Bureaux des finances, réticents devant ces procédures extraordinaires, avaient été dessaisis de la gestion au profit des intendants envoyés depuis Paris dans chaque province. En 1642, tout l’exercice des tailles avait été remis à des traitants, c’est-à-dire à des gens d’affaires associés dans des baux concédés par le Trésor. Leur bail les engageait à faire l’avance au Trésor des revenus attendus et, en retour, leur abandonnait les tâches et les bénéfices des recouvrements. Les traitants, avec l’appui institutionnel des intendants, avaient le droit de recruter dans les provinces des compagnies de chevaux légers, mercenaires privés, à leur solde, armés de fusils. Ces cavaliers d’élite, appelés « fusiliers des tailles », étaient chargés de porter les contraintes dans les paroisses et d’assurer les levées de gré ou de force. C’est ce système qui avait été massivement rejeté dans l’ensemble du pays au printemps 1648 et que le Conseil du roi avait dû solennellement interdire par une déclaration royale en juillet 1648. En fait, dès 1650, le système avait été silencieusement rétabli avec le retour dans les provinces des intendants qu’on avait affecté d’appeler provisoirement des « commissaires départis ». En février 1653, deux surintendants des finances avaient été choisi par Mazarin : Abel Servien, négociateur de Westphalie, et Nicolas Fouquet, jusque-là procureur général au Parlement de Paris. Personnages très différents, ils avaient en commun leur attachement au cardinal ministre et leur indépendance ou bien ignorance des problèmes fiscaux. Du fait de son destin dramatique, on sait tout du caractère de Fouquet, jeune magistrat fortuné, brillant, extraverti, aimable et ambitieux. S’il ne s’intéressait guère aux logiques et aux techniques de l’impôt, il avait en revanche les qualités mondaines et médiatiques nécessaires pour restaurer la confiance des milieux d’affaires. Il parvenait en effet par son entregent et sa conviction à réassigner des billets de l’Épargne, c’est-à-dire à vendre à des traitants de vieilles créances sur certains impôts précis qui étaient tenus pour irrécouvrables. Ainsi, par de petits miracles bien choisis, il ranimait le crédit de l’État et pouvait se permettre la relance de nouveaux emprunts immédiats. En réalité, il poursuivait imperturbablement la gabegie à courte vue commencée sous Richelieu. Il se contentait d’une politique de l’instant, il se borner à regrever constamment les tailles, dont le montant passait effectivement de 113 millions en 1653 à 154 millions en 1657. Pis encore, il maintenait les usages terroristes dans les recouvrements.

À vrai dire, les réactions locales, refus, émeutes ponctuelles et sporadiques, n’avaient jamais cessé. Plusieurs occasions montrent que dès son accession à la surintendance, Fouquet s’engageait sans hésiter dans des processus répressifs. On trouve ainsi sa signature et celle du chancelier Séguier en bas d’un arrêt du Conseil en ordonnant en octobre 1655 l’envoi de troupes et le recours aux contraintes solidaires dans de nombreuses juridictions du Sud-Ouest. La forme solennelle de cet arrêt, rendu en commandement, c’est-à-dire en la présence supposée du roi, portant les signatures autographes des ministres, s’explique par la protection qu’avait accordée à ces paroisses le duc Bernard d’Épernon lui-même, qui avait été pendant la Fronde un allié de Mazarin[1]. Fouquet avait voulu donner par cette mesure de rigueur un avertissement spectaculaire. En fait, au cours des mois suivants, les prises d’armes des villageois et de petits gentilshommes contre les raids des fusiliers des tailles vinrent à se multiplier, en Chalosse, en Comminges, en Armagnac, en Saintonge et Angoumois, en Poitou, en Berry, en Orléanais et en Normandie. Chaque fois, le mécanisme insurrectionnel se répétait. Les chevauchées des cavaliers et des commis porteurs de contraintes se heurtaient à des attroupements populaires qui criaient bien fort que « la volonté du roi n’est point d’employer les sergents et les fusiliers et que, de surcroît, Sa Majesté a quitté et remis tous les restes des années antérieures et même ceux de l’année présente 1656 »[2]. Les intendants dénonçaient alors des « malintentionnés qui sèmes parmi le peuple des faux bruits de remise des tailles des années précédentes ». Les directives de Fouquet les incitaient à employer les logements des troupes dans les paroisses redevables et leur confirmaient le pouvoir d’instruire le procès des révoltés pris sur les lieux et de les juger en dernier ressort.

Aux émeutes paysannes s’ajoutaient des assemblées de noblesse. En diverses provinces, des réseaux de gentilhommes, voisins, amis ou parents, se donnaient des rendez-vous armés. Nombre d’entre eux avaient, cinq ans plus tôt, en 1651 et 1652, participé aux réunions qui avaient, cinq ans plus tôt, en 1651 et 1652, participé aux réunions qui s’étaient tenues à Paris, alors que Mazarin était en fuite et qu’on espérait une prochaine assemblée des États généraux du royaume. Les plus nombreux de ces rendez-vous clandestins se tenaient en Orléanais, s’étendant au Sud en Berry et au Nord en Beauce ; ils gagnaient aussi le Perche et la Basse-Normandie. Dans ces régions survinrent une dizaine d’assemblées illicites en quelques mois de l’année 1657. Une des plus importante se tint dans la forêt de Conches, au pays d’Ouche, non loin d’Évreux. Un autre rendez-vous, dans la paroisse de Péray, dans le Maine (Sarthe, canton de Marolles), fit paraître des députés et syndics de la noblesse venant, disait-on, de quatorze provinces. Ce petit domaine de Péray, châtellenie du duché de Vendôme, appartenait au marquis de Sourdis, qui tenait gouvernement de l’Orléanais et du pays de chartrain et se trouvait donc nécessairement client et ami du duc Gaston d’Orléans. C’était effectivement lui, Monsieur le Prince, oncle du petit roi, qui laissait faire ou encourageait ces courants d’opinion. Il avait assuré le pouvoir en 1650, pendant l’exil de Mazarin, et il avait alors maintenu et promu la promesse d’une réunion des États généraux. L’hypothèse de leurs réunions périodiques envisagés durant ces années aurait pu dans l’avenir fonder un gouvernement royal tempéré, appuyé ou limité par des assemblées des trois ordres du royaume, ce que les politologues appelaient une « monarchie mixte ».

Or, voici que ce mouvement de contestation nobiliaire étendu de Normandie en Berry vint à trouver un relais dans une circonstance économique très locale. Une partie de l’Orléanais, précisément les campagnes très pauvres de la Sologne, étaient en ces mois affectées par une inflation ponctuelle de piécettes de cuivre ou liards, comme il en survenait périodiquement. Il faut savoir que la frappe de monnaies de cuivre était en ce siècle le seul moyen de facilitation des petits échanges populaires. Le pouvoir d’achat de cette mitraille, purement fiduciaire, était fixé à un denier (1/240 d’une livre) ou deux ; elle servait aux menus marchés campagnards, où les trop fortes monnaies d’argent n’avaient pas leur place. C’était aussi un procédé de recette fiscale puisque le monopole, fructueux, de la mise en circulation de ces piécettes, de valeur toute fictive, était mis aux enchères et acheté par un traitant. Ce monnayeur était, bien sûr, tenté d’en frapper plus que le marché local ne pouvait en tolérer. L’excédent des liards frappés dans un atelier temporaire, installé dans le bourg de Meung-sur-Loire, s’était fait bientôt refuser dans les paiements. De la sorte, les liards, au bout du circuit, aboutissaient comme toujours, dans les poches des plus pauvres. Les troubles paysans de l’Orléanais furent virulents d’avril à septembre 1658 ; on leur donna le nom de Guerre des sabotiers de Sologne. Les attroupés tentèrent en vain d’entrer dans la ville de Sully-sur-Loire où avait été envoyé d’urgence un détachement de cavalerie. Au Conseil du roi, l’inquiétude avait été vive. Fouquet avait dû, lui-même, seul véritable responsable de l’intérieur du royaume, improviser une intervention militaire répressive. Il put bénéficier de l’entremise personnelle du duc d’Orléans qui s’employa à apaiser les paysans solognots, faire rentrer chez eux les gentilshommes mécontents et arrêter les poursuites judiciaires. Grâce à cet appui, un seul meneur identifié eut l’honneur d’un procès : un gentilhomme huguenot, Gabriel de Jaucourt, marquis de Bonnesson, décapité le 13 décembre 1659.


[1] Arch. Nat. E 1703, fº366, arrêt du Conseil du roi, 18 octobre 1655.

[2] Arch. Nat. E 290, fº21, 14 janvier 1656.


1661, la prise de pouvoir par Louis XVI.

Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)

Collectif, Actes dela XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012.

Communications précédentes :

Préface : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/ histoire /2653-ceh-xviiie-session-preface-de-monseigneur-le-duc-d-anjou

Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos

 La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4

De Colbert au patriotisme économique (1/3)

De Colbert au patriotisme économique (2/3)

De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3) 

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/

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