Histoire

Pauvreté et Église à l’aube du siècle de Louis XIV – 1

Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi. Les liens des communications en bas de page.

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Centre d’études historiques

Cycle « 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV. »

Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)

Collectif, Actes de la XVIIIe session du Centre d’études historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p. 189-214.

 

Pauvreté et Église à l’aube du siècle de Louis XIV – 1

Par le père Jean-Yves Ducourneau

prêtre de la Mission de Saint-Vincent de Paul,

Aumônier militaire

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1. La paupérisation du terroir

Après les Guerres de Religion (1555-1598), la dévastation est partout. On assiste dans toute l’Europe chrétienne du XVIe siècle à une augmentation sensible de la mendicité, malgré l’enrôlement quasi de force des mendiants dans les différentes troupes en conflit. De fait, les armées entretiennent le mal en laissant sur les routes gueux, mendiants, et autres invalides, vivant de rapines en larcins, au gré des saisons et des difficultés de survie. Il faudra attendre, pour commencer à solutionner le problème des soldats blessés délaissés, 1674 et la création par Louis XIV de l’Hôpital des Invalides, dont la direction spirituelle incombera aux pères de la Congrégation de la Mission de Vincent de Paul1 et la direction sanitaire aux Filles de la Charité du même fondateur.

Les grands propriétaires terriens ne sont pas en reste. Ils participent à la paupérisation des campagnes en exploitant le manœuvrier ou le brassier et en augmentant les prix des matières premières nécessaires aux plus pauvres. Thomas More avait vu juste dans sa célèbre Utopie : « Pour permettre à un seul goinfre insatiable, sinistre fléau de sa patrie, de remembrer ses champs et de clôturer d’un seul tenant des milliers d’arpents, on expulse plusieurs fermiers, on les dépouille même de leurs terres : on emploie la ruse pour abuser de leur confiance, la violence pour abattre leur courage, les vexations pour les mettre à bout et les réduire à vendre leurs biens. C’est ainsi que, d’une manière ou d’une autre, s’en vont ces misérables : hommes, femmes, maris, épouses, orphelins, veuves, les parents avec leurs petits enfants, une famille plus nombreuse que riche, car la terre a besoin de beaucoup de bras ; ils s’en vont, dis-je, abandonnant leur foyer et les lieux qu’ils connaissaient, sans même savoir où se réfugier. Tout leur mobilier, qui ne vaudrait pas grand-chose, même si on pouvait attendre l’acheteur, est vendu pour presque rien le jour où ils sont forcés de s’en débarrasser. Et lorsque, à bref délai, au cours de leurs pérégrinations, ils auront épuisé le peu d’argent qu’ils avaient, que leur restera-t-il d’autre à faire que voler, et, évidemment, se faire en prendre en bonne et due forme ? À moins qu’ils n’errent à l’aventure en mendiant ! Cependant, même dans ce cas, on les jette en prison pour vagabondage, sous prétexte qu’ils se promènent sans rien faire, eux que personne n’a embauchés et dont le plus ardent désir serait de travailler. »2

L’Église, quant à elle, n’est pas mieux lotie. Riche en fidèles, elle est pauvre en biens. Même si elle a de bonnes vocations, beaucoup de jeunes hommes ont choisi d’entrer dans les Ordres, pensant y trouver pitance, sécurité et statut social. Hélas pour eux, l’Église ne peut nourrir tous ses clercs3. Si les évêques et les curés de paroisse s’en sortent bien, touchant des bénéfices, il n’en est pas de même pour les vicaires, souvent condamnés à chercher des moyens financiers pour s’assurer le minimum vital. Certains d’entre eux, « les pauvres prêtres passants », deviennent purement et simplement mendiants et rejoignent la foule des indigents. Il faudra attendre le Concile de Trente pour que ce type de vagabonds un peu particuliers disparaisse grâce notamment à la prise de conscience spirituelle suscitée par l’École française de Spiritualité.4

Dans la société, certains Grands du Royaume de France fustigent les pauvres et ne voient en eux que des simulateurs dangereux, même s’il est vrai que certains « pauvres » abusent de leur « pauvreté » pour détrousser les passants. Le pape Sixte Quint, lui-même, s’indigne de ce fléau en stigmatisant « la lâcheté et l’astuce de ceux qui simulant une maladie ou feignant une indigence qui n’a pour cause que leur paresse et leur veulerie, enlèvent la nourriture aux vrais infirmes et aux vrais indigents. Mais après avoir simulé la maladie avec leur art infâme, fourbe et menteur, ils ont tôt fait de récupérer une gaillarde santé pour s’adonner au jeu, à la ripaille et aux autres plaisirs interdits »5. Après quoi, on voit fleurir une littérature un peu particulière, mettant en scène les mauvais pauvres, mais aussi en exaltant le travail et condamnant l’oisiveté, et par là même la mendicité …franciscaine6.

La pauvreté devient un mal à combattre. Les pauvres deviennent des pestiférés. On les chasse des villes, mais le mal est toujours là. On les emprisonne parfois. Le mal est toujours là. C’est alors que l’idée de « l’enfermement des pauvres » fait son chemin. Elle sera sur le bureau du roi avec Richelieu.

1 Congrégation bien connue et très appréciée de Louis XIII qui demanda à son fondateur de lui octroyer 10 prêtres pour ses armées en difficulté lors de la bataille de Corbie en 1636. Vincent de Paul enverra aussi ses Filles de la Charité, dès leur fondation en 1633, sur les champs de bataille pour secourir les blessés. Louis XIV poursuivra cet élan.

2 Thomas More, L’Utopie, 1516. Mame, p. 387-388

3 Pour les monastères féminins, le principe de la dot, qui est versée par la famille de la future sœur, permet une meilleure subsistance.

4 Courant religieux né au XVIIe siècle, avec le Cardinal de Bérulle et les Oratoriens, Jean-Jacques Ollier et les Sulpiciens, Jean Eudes et les Eudistes, Vincent de Paul et les Lazaristes. On peut y associer Louis-Marie Grignion de Montfort et ses Filles de la Sagesse ou même Madame Acarie et ses rencontres spirituelles.

5 Cité par Jean-Pierre Gutton in La société et les pauvres en Europe, P. U. F. p.47.

6 L’Abbé de Saint-Martin de Tournai écrivait au XVIe siècle à propos des Franciscains : « Ils ne savent piocher, battre et vanner, ne faire nul métier, draper, laver, ni cultiver la vigne, ni labourer la terre, mais on leur dit qu’ils savent trop bien « taner » les gens. » Érasme, lui aussi, en 1509, critique les Ordres Mendiants : « Persuadés que la pitié suprême consiste dans l’ignorance la plus crasse, ils se font une gloire de ne pas même savoir lire… Il y en a parmi eux qui, fiers de leur malpropreté et de leur misère, vont de porte en porte demander l’aumône, avec une arrogance et une effronterie extrême. » in Éloge de la Folie, éd. Delmas. P. 114.

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Communications précédentes :

Préface : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/ histoire /2653-ceh-xviiie-session-preface-de-monseigneur-le-duc-d-anjou

Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos

La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4

De Colbert au patriotisme économique (1/3)

De Colbert au patriotisme économique (2/3)

De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/

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