Histoire

[Mensonge Républicain] « Paris vaut bien une messe », Henri IV sincère ou cynique ?

« Paris vaut bien une messe ! » aurait dit Henri IV avant d’abjurer sa foi protestante. Et pour cause, son seul moyen d’accéder légitimement au trône est de se convertir au catholicisme, ce qu’il fit le 25 juillet 1593 devant la basilique Saint Denis. Alors, la conversion d’Henri IV est-elle sincère ou motivée par un cynique calcul politique ?

Une citation apocryphe…

« Paris vaut bien une messe » n’a jamais été prononcé par Henri IV. Si la citation est célèbre, elle ne demeure pas moins pour les historiens une parfaite invention. L’ancien inspecteur général des Archives de France Jean-Pierre Babelon qualifie l’expression de « forgerie tardive »[1].

La citation mensongère s’inspirerait d’un recueil satirique anonyme de 1622, Les Caquets de l’accouchée. L’auteur inconnu rapporte que le roi interrogea le duc de Rosny pour savoir pourquoi il n’allait pas à la messe, ce à quoi le duc répondit ironiquement : « Sire, sire, la couronne vaut bien une messe ! »[2] Autrement dit, le duc sous-entendait que le roi ne se rendait à la messe que pour garder sa couronne.

Voltaire s’est fait un loisir de colporter la calomnie du « Paris vaut bien une messe »[3]. Pour cela, il cite une lettre du roi à sa maîtresse évoquant le jour de sa conversion : « Ce sera dimanche que je ferai le saut périlleux ». Cependant, Jean-Pierre Babelon explique que le roi se contente ici de reprendre une expression populaire[4].

Néanmoins, si Henri IV s’est bien gardé du « Paris vaut bien une messe », l’aurait-il pensé ? d’autant que celui-ci s’est déjà converti cinq fois ![5]

La conversion, seule issue de la guerre

Récapitulons. En 1584, le dernier frère de Henri III décède. Le roi n’ayant point d’enfants, les règles de succession au trône de France désignent son cousin au vingt-et-unième degré, le descendant direct du sixième fils de saint Louis, c’est-à-dire, le prince protestant Henri de Navarre qui deviendra Henri IV. Or, le sacre étant un sacramental catholique, il lui est impossible de régner en protestant, et cela, sans compter la profonde aversion de la majorité du peuple à se faire gouverner par un hérétique. Henri III convoque les Etats généraux à Blois en 1576. Lorsque la question de la succession est abordée, la grande majorité s’oppose à l’idée d’un roi protestant. A cette époque de guerre religieuse, deux partis s’affrontent : le parti protestant, dit « Huguenot », soutenu par l’Angleterre, et la « Ligue catholique » dirigée par le duc de Guise. Les Etats Généraux décident de soutenir la Ligue par une alliance avec le roi d’Espagne. Ainsi serait barrée la route de Henri de Navarre, futur Henri IV. Henri III se soumet à contrecœur aux ordres des Etats Généraux car il craint de voir Henri de Guise prendre la place de son cousin légitime héritier. La guerre reprend, c’est la guerre des trois Henri : Henri III avec Henri de Guise et les catholiques d’un côté, et de l’autre Henri de Navarre. Devant la puissance et la popularité de la Ligue, le roi de France s’abaisse à faire assassiner par ses gardes son allié Henri de Guise. Henri III est alors chassé par les parisiens et sera poignardé à son tour en 1589. Mourant et repenti, Henri III comprend qu’il n’existe qu’une seule issue : la conversion de son cousin Henri de Navarre, légitime héritier. Cela mettrait un terme à cette guerre civile et internationale – l’Espagne et l’Angleterre se disputant les vestiges du Royaume des Lys par camps interposés. Henri III proclame donc dans ses dernières volontés son cousin Henri de Navarre héritier et le somme de se faire catholique.

L’intéressé est déjà engagé dans une guerre pour la conquête du trône. Malgré la proclamation de son cousin, le parti catholique ligueur continue de lui refuser le droit de régner. La Ligue va jusqu’à organiser l’élection d’une nouvelle dynastie, on trouve deux candidats : l’infante du Roi d’Espagne et un archiduc autrichien. Cependant, l’opinion nationale refuse de vendre le Royaume à une couronne étrangère. La situation politique est une impasse : d’un côté Henri de Navarre, héritier légitime mais protestant, de l’autre l’Infante du roi d’Espagne, une prétendante illégitime mais catholique.

Le cas de conscience de Henri de Navarre

Le grand problème (ou chance ?) est que Henri de Navarre, érudit en Ecriture Sainte, refuse de se convertir tant qu’il n’aura pas l’assurance de pouvoir faire son salut dans la religion catholique. Dans la biographie que Jean-Pierre Babelon lui consacre, la foi et la piété personnelle du roi sont mises en lumière sans équivoque : « On connait des athées dans cette société de la fin du XVIème siècle. Leurs propos ont laissé deviner leur incroyance, chez un Biron par exemple. Or aucun propos ambigu – ne parlons pas des expressions un peu libres, c’est son caractère – ne peut être relevé dans la somme immense des écrits et des paroles du roi. Bien plus, si l’on relevait les mots qui reviennent le plus souvent sur ses lèvres ou sous sa plume, on y trouverait le nom de Dieu. Dieu semble présent à chacun de ses actes, Dieu accorde la victoire, Dieu réalise ses vœux, Dieu disperse ses ennemis, Dieu le préserve du danger, Dieu lui inspire de bonnes résolutions, Dieu veille aussi sur le salut du pays. […] On pourrait citer quantité de récits où son esprit religieux se manifeste sincèrement sans intention publicitaire. En 1590, au moment de lever le siège de Paris, il convoque Mornay un soir, à Saint-Denis. »[6] C’est en robe de nuit que le roi accueille dans sa chambre Mornay son ami théologien protestant. Il lui demande de lire les Psaumes, puis, lui commande de prier avec lui. Mornay rapporte à ce propos « que le roi était en anxiété et montrait un cœur douloureux de ses fautes et avait un grand recours à la miséricorde de Dieu »[7].

L’alliance de théologiens protestants et catholiques pour convertir le roi

Témoins d’une nation déchirée par une guerre insoluble, des clercs protestants et catholiques s’unissent pour convaincre le roi de se convertir. Deux protestants, le béarnais Bernard Morlas et le théologien piémontais Jean-Baptiste Rottan s’allient avec le catholique « monstrueux en savoir » Jacques Davy du Perron. « Pendant le siège de Rouen, en 1592, les trois théologiens ont commencé à disputer devant le roi. Ils développent l’argument déterminant : l’Eglise catholique est l’Eglise chrétiennes des origines, l’Eglise réformée est un rameau qui s’est détaché du tronc. Toutes deux forment un seul et même arbre, il est donc possible de faire son salut dans l’un comme dans l’autre. Un an plus tard, la troupe des prêcheurs des petits colloques du roi s’est grossie de Henri de Salettes, un chanoine de Lescar, du baron de Salignac et l’érudit Henri de Sponde. En avril 1593, à l’issue d’une conférence de sept jours entre Du Perron et quatre pasteurs, Henri s’est fait présenter le résumé des arguments échangés. »[8] A Mantes eurent lieu les dernières conférences pour décider le roi, rassemblant les théologiens les plus érudits des deux religions. Henri doit se décider et vite, l’élection de l’Infante d’Espagne au trône de France est imminente. C’est bien la reconnaissance par les ministres protestants de la possibilité du salut dans le catholicisme qui achève de décider le roi. Dans sa lettre adressée à ses frères protestants la veille de son abjuration, le roi écrit : J’agis « à fort bonne intention. Et principalement pour la sûre assurance que j’ai d’y pouvoir faire mon salut et pour n’être en ce point différent des rois mes prédécesseurs, qui ont heureusement régné sur leurs sujets, espérant que Dieu me fera la même grâce »[9].

On remarque qu’en catholique, Henri IV persiste à nier le dogme encore récent du purgatoire, y voyant là « le pain des prêtres », et refuse « chandelles, barbotages, chapelets, pèlerinages, pardon, heures des femmes en latin »[10]. Mais, a contrario, en tant que protestant, le roi croyait dans l’un des dogmes les plus catholique qu’il soit : la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, « Je n’en suis point en doute, dit-il, car je l’ai toujours ainsi cru »[11].

En somme, Henri IV est un roi libre et sincère, à la fois en sa conscience et en ses actes ; ce roi français est authentiquement croyant, soucieux du salut tant de son âme que de son peuple. Il œuvre au cours de son règne à la reconstruction du Royaume, et par sa politique de tolérance envers les protestants, à l’union de tous les français dans la personne du roi.

Joseph Colombe



[1] BABELON Jean-Pierre, Henri IV, Paris, Fayard, 1982, p.562.

[2] Recueil général des caquets de l’accouchée, Fournier, 1855.

[3] Œuvres Complètes de Voltaire : Mélanges historiques, Tome 2, Paris, E. A. Lequien, 1821, p.232.

[4] On en trouve par exemple l’usage dans une lettre d’un correspondant de Mornay, datée du 20 juillet : « Si le roi fait le saut qu’on peut justement appeler périlleux. » BABELON J, op. cit., p.562.

[5] « Baptisé dans la religion catholique, il y est resté jusqu’à l’âge de six ans. Il a subi ensuite une formation calviniste, sur la décision de sa mère, pendant deux ans et demi (fin 1559 ou début 1560 à mai 1562). Ramené au catholicisme par son père pour sept mois (juin à décembre 1562) il est retourné à la Réforme après la mort de celui-ci et lui reste fidèle dix ans, jusqu’à la Saint-Barthélemy. Au matin du massacre, il abjure sous la contrainte et reste catholique d’août 1572 à juin 1576 pour revenir à la Réforme durant son retour en Béarn, et ceci pour dix-sept années, jusqu’à cet été 1593 où le choix se pose à nouveau. » Ibid., p.553.

[6] BABELON J, ibid., pp.553-554.

[7] Cité par Ibid., p.554.

[8] Ibid., p.557.

[9] Cité par TIERCHANT Hélène, Henri IV Roi de Navarre et de France, Paris, Sud Ouest, 2010, p.188.

[10] Cité par Op. cit., p.187.

[11] Cité par BABELON J, ibid., p.561.

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