Histoire

[CEH] La lettre de Louis XVI à Charles IV d’Espagne, par le R.-P. Augustin Pic

La lettre du 13 octobre 1789 de Louis XVI à Charles IV d’Espagne

Par le Père Augustin Pic, o. p.

Ce brévissime examen de la lettre secrète envoyée par Louis XVI à son cousin Charles IV d’Espagne, peu après les fameuses Journées d’octobre, prendra ce document sous deux angles :

  • comme protestation en nullité des actes royaux posés sous la pression révolutionnaire,
  • comme une attestation de la loi successorale.

I – La protestation en nullité

Après les journées d’octobre à Versailles et l’installation forcée de la famille royale à Paris, le Roi donna, sur le conseil de Necker, une proclamation de libre consentement datée du 9 octobre qui ne trompa probablement que les naïfs[1]. L’abbé Edgeworth de Firmont (1745-1807) écrivait le 28 à un ami et compatriote irlandais :

« Notre Roi, le meilleur des hommes, a été obligé de quitter Versailles et de venir à Paris, où il fait à présent sa résidence : je vous laisse à penser comme il est libre[2]. »

Le futur dernier confesseur de Louis ne le croyait cependant tout à fait contrait puisque, vers la fin de l’année, il confiait au même destinataire, laisser transparaître une perplexité certaine : « Depuis que le Roi est à Paris, il règne une espèce de tranquillité. La cour et l’assemblée sont dans un parfait accord, tous les décrets sont sanctionnés dans difficulté, et le Roi ne semble plus occupé de l’idée de reprendre son autorité. Il n’y a donc plus de causes à de nouveaux trouve les, à moins que les provinces ne se soulèvent contre la métropole, ou que quelque homme entreprenant ne se mette en avait pour sauver la couronne, et l’une et l’autre supposition sont également improbables car l’esprit républicain paraît dominer dans les provinces aussi bien que dans la capitale.[3] »

Dès le lendemain de la proclamation, soit le 10 octobre, le titre royal changea, par décret de l’Assemblée lors de la discussion sur le mode de promulgation des lois : « Louis, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi des Français ». On conciliait ainsi, de façon purement formelle et dans les faits très provisoire, le droit divin traditionnel[4] et la Révolution qui dépouillait le monarque de toute sa puissance[5]. Le sceau royal officialisa la chose dès février 1790, avant suppression du droit divin par la constitution de 1791 où Louis devenait simple « premier fonctionnaire héréditaire de la Nation »[6].

Que pensait le Monarque ? Humilié des décisions qu’on lui imposait depuis le 15 juillet 1789, les décrets consécutifs au 4 août en particulier et les discussions de septembre sur le veto, il ne laissait pas toutefois d’espérer s’imposer dans le jeu des institutions nouvelles, en vue de reprendre à terme l’essentiel de son pouvoir, et c’est pourquoi il avait préféré s’abstenir de protester, soit officiellement soit officieusement. Or, les journées d’octobre, première rupture de la Révolution avec lui, venaient de changer la donne. En continuant d’accepter les faits, il fit par conséquence déposer, datée du 13 octobre, une secrète protestation manuscrite entre les mains de son cousin Charles IV d’Espagne. En voici l’essentiel :

« Je n’accuse point le cœur des François. La plupart sont encore bons ; et je ne doute qu’ils reconnoissent leurs torts lorsqu’ils auront les yeux ouverts sur les factieux qui les ont égarés ; mais en même temps, je me dois à moi-même, je dois à mes enfants, je dois à ma famille et à toute ma maison de ne pouvoir laisser avilir entre mes mains la dignité royale qu’une longue suite de siècles a confirmée dans notre maison. J’ai choisi Votre majesté comme le chef de la seconde branche de notre maison pour déposer entre ses mains la protestation solennelle que je fais contre tous les actes contraires à l’autorité royale qui m’ont été extorqués par la force depuis l’époque du 15 juillet de cette année et en même temps d’accomplir les promesses que j’avais faites par ma déclaration du 23 juin précédent[7]. Je prie Votre Majesté de garder cette proposition secrète jusqu’à l’occasion de pouvoir s’en servir. »

Un « rapport détaillé des désordres qui agitoient la France » était joint, où l’on qualifiait de « gouvernement métaphysique celui dont s’occupoit l’Assemblée nationale qui ne pouvoit que porter la dissension dans le Royaume, etc. »[8]

Deux lignes, pragmatisme et droit divin, ressortent de ce texte. D’une part le roi, qui de toute façon n’a pas le choix, laisse la France faire l’expérience de sa révolution mais de l’autre maintient le principe monarchique traditionnel. La « dignité royale » doit demeurer dans sa personne et sa descendance et c’est la cadette qu’il charge d’attester de sa fidélité. Secrète en tant que lettre de roi à roi, cette protestation ne le fut pas quant à son contenu, à savoir la dénonciation des actes contrains, si l’on en croit la déclaration que Louis quittant Paris laissa en juin 1791 :

« Tant que le roi a pu espérer voir renaître l’ordre et le bonheur par les moyens employés par l’Assemblée nationale et par sa résidence auprès de cette assemblée dans la capitale du Royaume, aucun sacrifice personnel ne lui a coûté ; il n’aurait pas même argué de la nullité dont le défaut absolu de liberté entache toutes les démarches qu’il a faites depuis le mois d’octobre 1789, si cet espoir eût été rempli. Mais aujourd’hui que la seule récompense de tant de sacrifices est de voir la destruction de la royauté, de voir tous les pouvoirs méconnus, les propriétés violées, la sûreté des personnes mise partout en danger, les crimes impunis, et une anarchie complète s’établir au-dessus des lois, sans que l’apparence d’autorité que lui donne la nouvelle constitution soit suffisante pour réparer une seul des maux qui affligent le royaume, le Roi, après avoir solennellement protesté contre tous les actes émanés de lui pendant sa captivité, croit devoir mettre sous les yeux des Français et de tout l’Univers, le tableau de sa conduite et de celui du Gouvernement qui s’est établi dans le royaume[9]. »

Le positionnement semble à la fois habile et honnête. Habile en ce que l’arme est à deux tranchants et servira, selon les besoins, par l’un des deux ou par l’autre : les actes extorqués seront soit valides si la réforme du Royaume réussit (en intégrant le retour à un pouvoir royal fort) soit non. Honnête par la publicité donnée à cette stratégie[10].

La lettre d’octobre 1789 fut bien reçue du souverain espagnol. On ne sait toutefois quand et comment le duc de Lavauguyon, entre les différentes périodes de son ambassade à Madrid et son éphémère participation au « Ministère des cinq jours » à Paris, évoqué ici par M. Dubois de Lavauguyon dans notre dialogue, l’a transmis au Roi d’Espagne. C’est d’ailleurs le seul acte de son cousin qu’il regarda comme libre, refusant deux ans plus tard d’acquiescer à la sanction que celui-ci venait de donner à la Constitution de 1791. La correspondance de Floridablanca  et Iriarte[11] le montre bien[12] :

En effet, le 1er octobre 1791, Floridablanca fait savoir à Iriarte qu’il avait reçu deux lettres où Louis XVI déclarait avoir accepté la constitution et abandonné la Toison d’Or et le Saint-Esprit librement[13], et qu’il a répondu que Charles n’y croira qu’après avoir reçu de Louis des lettres libres. Iriarte répond le 10 pour dire qu’il a communiqué la lettre de Floridablanca à Montmorin.

Le 11, Floridablanca écrit à d’Uturbise, chargé des affaires de France, pour lui demander de transmettre la réponse de Charles IV : non libre, l’adhésion de Louis XVI doit être refaite en lieu sûr, frontalier.

Le même récrit à Iriarte, le 14 : ce dernier doit traiter les affaires de France avec l’idée que le roi d’Espagne ne croit pas à la liberté de son cousin quant à la constitution.

De nouveau le 20 : Louis veut sauver à la fois la France de la guerre étrangère et de la guerre civile et l’honneur des souverains mais Charles pense que ces deux volontés resteront inconciliables sans vraie liberté d’action.

Iriarte répond le 21 que Louis veut écrire à Charles sur ses motifs d’acceptation et de séjour à Paris.

Le 3 novembre, autre lettre de Floridablanca à Iriarte pour dire la désapprobation espagnole de l’acceptation donnée par Louis XVI à la constitution.

Rescrit d’Iriarte le 15 : Montmorin lui a dit le mauvais effet produit par l’Espagne, dernière à régir à l’adhésion à la constitution.

Le 19, Floridablanca fait savoir que Charles IV ne changea pas sa réponse à Louis XVI.

Les scrupules affichés du roi d’Espagne touchant la liberté de son cousin, servaient, à vraie dire, merveilleusement l’attentisme qu’i partageait avec les autres Puissances, toutes se renvoyant indéfiniment l’initiative d’une réaction. Mais ces sentiments, peut-être partiellement sincères, ne manquaient pas de fondement objectif et Charles n’était pas seul à les nourrir. Ainsi Edgeworth, le 20 septembre 1791 : « Le Roi a accepté la constitution et quoique son manque de liberté rende cette acceptation évidemment nulle, elle a causé beaucoup de chagrin au corps du clergé et à celui de la noblesse, les deux seuls soutiens qui lui restent », ou encore l’abbé de Salamon, chargé d’affaire du Saint-Siège à Paris[14].

II – La question successorale

La nullité des renonciations de Philippe V était une certitude pour Louis XIV et pour la « Vieille cour »[15] (du Maine[16], d’Huxelles[17], Torcy[18]). Il y avait à cela des raisons extrinsèques, c’est-à-dire de droit public externe (les traités étant souvent instables de fait[19]) et intrinsèques (les Lois fondamentales ne laissant pas de s’imposer). Dans une lettre du 4 avril 1712, Torcy rappelle : « que, maître de son État, le Roi ne l’est pas d’en changer les lois fondamentales, qu’en vertu de ces lois, le prince qui est le plus proche de la couronne en est héritier de toute nécessité, que c’est un héritage qu’il ne reçoit ni du roi son prédécesseur, ni de la loi mais de Dieu même ». Il fait savoir à Bolingbroke[20], qu’il a « tort de bâtir sur le sable et de prendre tant de précautions pour assurer des actes nuls par eux-mêmes »[21]. L’enregistrement en Parlement sera l’enregistrement non d’un droit mais d’un simple fait, comme l’indique la protestation qui accompagne ledit enregistrement[22].

De cela, Philippe V restera persuadé. Après la mort, sans descendance, de son frère cadet le duc de Berry (30 avril 1714), Grimaldo écrit à del Giudice[23] (23 mai) :

« Si le Dauphin (le futur Louis V alors âgé de quatre ans) vient à mourir, Sa M. Catholique, qui n’a jamais songé à posséder les deux couronnes, voudrait donner celle de France à l’un de ses fils et garder pour Elle celle d’Espagne ; de cette façon, les deux couronnes demeureraient séparées. Les autres puissances auraient-elles le droit de s’y opposer, puisque précisément elles ont fait la guerre pour assurer la séparation des deux monarchies, séparation que le roi d’Espagne entend maintenir ?[24] »

Louis XIV, convaincu sur le fond, entendait cependant respecter le traité en vue de l’équilibre européen et de la préservation de la paix.

Ce croisement de l’application du traité pour raisons politiques et de la foncière invalidité des renonciations, sera bien au long du siècle le positionnement des deux Cours. Voltaire s’en fera l’écho : « Il n’y a pas encore de loi reconnue qui oblige les descendants à se priver du droit de régner auront renoncé leurs pères[25]. » Bossuet avait déjà évoqué les Lois fondamentales comme celles « contre lesquelles tout ce qui se fait est nul de plein droit[26]. » On tenait donc la doctrine des trois branches de la Maison de Bourbon, à savoir : 1. L’aînée, régnante en France, 2. La cadette, en Espagne, 3. Les Orléans[27]. Rien de surprenant donc à ce que Philippe V[28] mandate ses ambassadeurs pour surveiller en sa faveur les affaires de France[29] ou charge Fleury de gouverner en son nom, lors d’une maladie inquiétante de Louis XV (1728)[30].

Rien n’est à noter entre la naissance du dauphin Louis (1729-1765), père de Louis XVI, et la Révolution, et la question ne retrouve une actualité qu’avec les interventions du duc d’Orléans à la Constituante, expression de la politique constante de la branche depuis le Régent. En 1788, le duc avait chargé son gardien des archives de lui préparer un mémoire sur le sujet. En septembre 1789, lors des délibérations de l’Assemblée sur le veto royal, insensiblement étendues aux Lois fondamentales, la faction d’Orléans se jeta donc dans les débats. Les royalistes firent voter que « l’Assemblée nationale a reconnu par acclamation et fait déclarer à l’unanimité, comme point fondamental de la monarchie française, que la personne du roi est inviolable et sacrée, que le trône est indivisible, que la couronne est héréditaire dans la race régnante de mâle en mâle par ordre de primogéniture, à l’exclusion perpétuelle et absolue des femmes et de leurs descendants », ce qui revenait à affirmer implicitement les droits permanents des Espagnols. Vint alors la motion Arnould[31], du parti Orléans, en faveur d’une déclaration de validité des traités et renonciations, que le duc espérait faire passer discrètement. Les débats faisant rage, le duc sortit, laissant place à son Sillery[32] qui proposa de lire la renonciation de Philippe V, qu’il avait par hasard en poche. Lepelletier de Saint-Fargau[33] demanda le non-lieu de délibérer quant à présent. Il y eut opposition royaliste puis rejet de la motion Arnould et de l’amendement Lepelletier (adoption seulement de son non-lieu de délibérer). Conformément aux volontés de Mirabeau, appuyé à gauche, on exclut toute régence par un non natif de France. Rewbel[34] dénonça dans ce non-lieu une reconnaissance des Espagnols et proposa de supprimer par ordre de primogéniture. Un tumulte s’ensuivit. Talleyrand et d’autres proposèrent alors que la décision, le cas échéant, fût déférée à la Nation. Enfin, la proposition de Target[35] : sans rien préjuger sur les effets des renonciations fut mise aux voix et adoptée, à la fureur de Mirabeau. Le vote de l’ensemble de la déclaration se fit le lendemain : 548 pour, 438 contre, 13 abstentions. Selon Rivarol, l’Assemblée ne s’était finalement « pas expliquée entre la Maison d’Orléans et la branche espagnole », ayant « prononcé sur l’hérédité du trône, sans rien préjugé sur l’effet des renonciations »[36]. D’où l’activisme ultérieur de la faction d’Orléans.

Ce positionnement sera officialisé par la Constitution de 1791[37]. Mais le texte sur la régence[38] viendra comme neutraliser l’avantage acquis par les légitimistes : « la régence appartient au parent du roi le plus proche en degré, suivant l’ordre de l’hérédité au trône, et âgé de vingt-cinq ans accomplis, pourvu qu’il soit français et régnicole, qu’il ne soit pas héritier présomptif d’une autre couronne, et qu’il ait précédemment prêté le serment civique. Les femmes sont exclues de la régence. » Neutralisation non in recto puisque rien n’était préjugé sur la validité mais bien in obliquo puisque l’empêchement à la régence rendait dans les esprits, et eût rendu dans les faits, hautement problématique la préséance de la branche espagnole sur les Orléans.

Ce n’est donc pas le simple contexte politique de l’anéantissement du pouvoir royal  traditionnel que vient la lettre du 12 octobre à Charles IV, mais aussi, plus précisément, dans celui de la dimension dynastique des discussions de septembre 1789 sur les pouvoirs du Roi. Louis n’écrit pas seulement au chef de la seconde branche pour le prendre à témoin de ses sentiments monarchiques contre les spoliations politiques dont sa personne et sa fonction traditionnelle sont l’objet mais pour faire acte dynastique. En effet, il écrit et en raison des dangers (déjà bien connus de lui) à que la troisième branche fait courir à la première et parce que celle-ci n’est que troisième et qu’en cas de malheur c’est bien la seconde qui doit succéder en vertu des lois originelles contre lesquelles toute action est nulle de plein droit. Louis XVI, qui n’a jamais foncièrement accepté, et même toujours refusé tant les changements de sa titulature que, plus tard, l’abolition de sa monarchie (d’où le titre de roi de France qu’il reprend en commençant son testament) reste aussi fortement persuadé de la nécessité et de la permanence des Lois fondamentales. Il faut donc accorder à son expression seconde branche et à la démarche, en tant qu’elle implique une logique successorale, un sens maximal. On regardera donc avec intérêt la mémoire de Fersen adressé à Marie-Antoinette en novembre 1791, donc après l’acceptation de la Constitution par le roi, pris ici comme attestation des sentiments de Louis et de la famille royale :

« S’il est vrai comme je le crois que vous ne puissiez plus compter sur l’empereur, il faut absolument tourner vos espérances d’un autre côté, et ce côté, ne peut être que le Nord et l’Espagne qui doit décider la Prusse et entraîner l’empereur. De toutes les puissances de l’Europe, ce sont celles sur le désintéressement desquelles vous pouvez plus compter. Leur position politique géographique n’admet aucune vue de conquête et leur position politique les attache au maintien de la monarchie française. Il faudrait leur demander : … le prompt rassemblement d’un congrès…, l’envoi de troupes pour soutenir ce congrès et rendre des délibérations respectables. … le roi, étant le seul avec qui le congrès traiterait, se trouverait naturellement médiateur entre son peuple et les puissances, et obtiendrait par elle les moyens d’agir, en leur indiquant la marche qu’elles auraient à tenir selon les circonstances. … Mais comme il serait impossible, sans un chef quelconque, d’obtenir aucun résultat, et que le roi, ne pouvant se mettre à découvert, ne peut être ce chef, il faudrait engager le roi d’Espagne à se charger de ce rôle ; comme chef de la maison de Bourbon, il a plus de droits qu’un autre, et ce refus qu’il vient de faire de reconnaître l’acceptation du roi lui donne une grande facilité. La Russie et la Suède adopteraient aisément cette idée qui leur a déjà été présentée, et, en indiquant de concert avec ces deux cours toutes les démarches nécessaires au cabinet de Madrid, vous n’auriez plus rien à craindre de l’indécision et de la lenteur espagnole. La réunion de ces trois cours déciderait le roi de Prusse à se déclarer, et l’empereur serait enfin forcé de prendre un parti… Si vous adoptez ce nouveau plan, il serait nécessaire d’en instruire vous-même les cours bien intentionnées et dont vous vous déciderez à réclamer les secours, telles que l’Espagne, la Russie et la Suède. … Il faudrait, après avoir remercié le roi d’Espagne de tout ce qu’il fait pour vous, de la manière dont il a reçu en 1789 votre protestation[39], et de la fermeté qu’il a montrée en ce moment[40], lui faire un tableau en raccourci de votre position et de l’impossibilité de rester où vous êtes ; lui communiquer le plan que vous avez adopté ; lui demander, par une suite de l’amitié et de l’intérêt qu’il vous a déjà témoigné et de celle que vous êtes en droit d’espérer de lui, par les liens du sang, qu’il se charge de vos intérêts auprès des puissances étrangères et d’appuyer les demandes que vous seriez dans le cas de leur faire ; que personne n’est plus en droit que lui d’être chef de la ligue qui doit rétablir votre autorité et réparer les insultes et les outrages faits depuis deux ans à la maison de Bourbon, et que aimerez à lui en avoir toute l’obligation… Il serait utile que le Roi écrivît un mot au roi d’Espagne en même temps… »[41]

Au-delà comme en deçà des Pyrénées, même famille, même monarchie de droit divin, même primat de s Lois fondamentales sur les traités internationaux et, en politique interne, sur les intérêts particuliers (celui des Orléans) et sur les idéologies (libéralisme), toujours périlleuse pour l’unité traditionnelle d’une nation. Il est à regretter que Charles IV n’est pas vraiment soutenu son cousin que sa défaite dans la guerre du Roussillon ait été suivie d’un traité avec la France révolutionnaire. Compromission qu’il paiera très cher…

Père Augustin Pic, o. p.
Historien
Grand Aumônier de France


[1] Le 9 octobre 1789. Texte dans P. et P. Girault de Coursac, Louis XVI a la parole (autoportrait du Roi Très Chrétien). Lettres, discours, écrits politiques, Paris, de Guibert, 1997, p. 207.

[2] Dans Mémoires de M. l’abbée Edgeworth de Firmont, dernier confesseur de Louis XVI. Recueillis par C. Sneyd Edgeworth. Et traduits de l’anglais par le traducteur d’Edmund Burke, Paris, Gide fils, 1815, pp. 15-18.

[3] Ibid., pp. 19-22.

[4] Avec « par la grâce de Dieu » et même « Roi des Français », qui semblait repris du vieux  Rex francorum des actes latins de la monarchie. Le titre « Roi de France » se généralise à partir de Philippe-Auguste.

[5] En fondant tout sur « la loi constitutionnelle de l’État ».

[6] Texte de la constitution dans Les constitutions de la France depuis 1789, Paris, Garnier-flammarion, 1995.

[7] Sur la question, cf. P. et P. Girault de Coursac, Louis XVI a la parole, p. 175 et sq.

[8] Madrid, Archivo Historico Nacional, legajo 3942, no 58 (copie manuscrite ancienne). Aimablement communiquée par le baron Pinoteau.

[9] Dans Louis XVI a la parole, pp. 229-230. En avril 1791, le roi avait notifié secrètement aux Puissances son désaveu formel de la Révolution, E. Lever, Louis XVI, Paris, Fayard, 1991, pp. 576-578.

[10] Le rapport chez Louis XVI entre manœuvre politique et justesse morale (exclusive du mensonge) est bien évidemment complexe, comme chez tout souverain même « vertueux », et reste malaisé à saisir historiquement. On en restera donc ici à cette approximation.

[11] Joseph-Monino, comte de Floridablanca (1728-1809), premier ministre de Charles III, maintenu trois ans sous Charles IV. Domingo de Iriarte (1739-1795), chargé d’affaires de France en Espagne.

[12] J. Chaumie, « La correspondance des agents diplomatiques de l’Espagne la Révolution », dans Bulletin Hispanique 37 (1935), pp. 353-359.

[13] D’après Cléry, toutefois, Louis porta au temple jusqu’au 7 octobre 14792, en plus de l’insigne de l’ordre de Saint-Louis, celui de la Toison d’Or, Journal de ce qui s’est passé à la tour du Temple, suivi de Dernières heures de Louis XIV par l’abbé Edgeworth de Firmont et de Mémoire écrit par Marie-Thérèse-Charlotte de France, coll. Le Temps retrouvé 16, Paris, Mercure de France, 1968, pp. 58-60.

[14] Lettre du 19 septembre 1791 au cardinal Zélada, dans Correspondance secrète de l’abbé de Salamon chargé des affaires du Saint-Siège pendant la Révolution avec le cardinal de Zélada (1791-1792), Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1898, pp. 50-51.

[15] Nom donné au parti des opposants aux renonciations, S. de Bourbon-Parme, Le traité d’Utrecht et les Lois fondamentales du royaume, Paris, Champion, 1914, p. 190.

[16] Louis Auguste de Bourbon, duc du Maine (1670-1736).

[17] Nicolas du Blé, marquis d’Huxelles (1652-1730), plénipotentiaire au congrès d’Utrecht (1712-1713), président du conseil des Affaires étrangères (1715) et ministre d’État (1726-1729).

[18] Jean-Baptiste Colbert de Torcy (1665-1746), secrétaire d’État aux Affaires étrangères et plénipotentiaire à Utrecht et Rastatt.

[19] « Les belligérants sont placés sur un pied d’égalité qui permet d’envisager de futures relations pacifiées. Dans son essence même, le traité de paix, par son effet cathartique, porte une promesse de perpétuité inscrite en toute lettre dans son texte. Cependant, il s’en faut de beaucoup que cet engagement solennel soit respectée, comme le montre la récurrence des guerres au long du règne de Louis XIV. La difficulté semble donc résider dans le passage de la lettre aux actes, dans la confrontation de la paix imaginée et négociée avec la réalité d’une vie internationale toujours en mouvement », E. Scnakenbourg, « Pérenniser la paix après la paix après Utrecht », sur /perspectivia.net/. Saint-Simon prenait le même argument pour donner à la renonciation les formes les plus contraignantes, cf. C. de Rouvroy de Saint-Simon, Mémoire succint sur les formalités desquelles nécessairement la renonciation du Roy d’Espagne tant pour lui que pour sa postérité doit estre revestue e France pour y estre justement et stablement validée. 1712, dans Papiers en marge des Mémoires, Paris, Club français du livre, 1954, pp. 387-586.

[20] Henry St John, vic. De Bolingbroke (1678-1751). Remarqué par Guillaume III et Anne, devient secrétaire d’État (1704). Renversé (1708) puis rétabli (1710), obtient les Affaires étrangères et conclut le Traité d’Utrecht (31 mars 1713). Pair avec titre de comte de Bolingbroke. Discrédité, proscrit et dépouillé par le Parlement après la mort de la reine Anne (1714), se réfugie en France, auprès du légitime Jacques François Édouard Stuart. Déçu de lui, sollicite de son retour du nouveau roi George Ier (obtenu seulement en 1723). Revient en politique (1725) pour dix ans, comme adversaire, par écrit, du premier ministre Walpole. Nouvelle retraite en France, par insuccès (1735) puis retour (1738). Époux en secondes noces de la marquise de Villette, nièce de la Maintenon. Œuvres politiques, littéraires et philosophiques, en 5 volumes, Londres, Mallet, 1754.

[21] Cité par M.-R. Roussel de Courcy, L’Espagne après la paix d’Utrecht, 1713-1715, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1891, pp. 171-172.

[22] S. de Bourbon-Parme, ibid, p. 180.

[23] Antonio del Giudice, prince de Cellamare (1670-1733), ambassadeur d’Espagne en France (1715) et acteur principal de la conspiration anti orléaniste dite de Cellamare. José de Grimaldo (1665-1733), secrétaire d’État de Philippe V.

[24] R. de Courcy, op. cit., pp. 171-172.

[25] Voltaire, Le siècle de Louis XIV.

[26] Pol, VIII, II, 1. ET S. de Bourbon-Parme, ibid, p. 214.

[27] Cf. le dossier de Sixte de Bourbon-Parme, en 4e partie de son ouvrage.

[28] « Par déférence pour le roi son grand-père, il avait acquiescé aux traités d’Utrecht, où quelques particuliers anglais ont fait la loi. Il ne la veut pas recevoir une seconde fois, puisque Dieu l’a mis dans un état d’indépendance et de force à ne pas subir le joug de ses ennemis, pour s’attirer l’indignation et le mépris de ses sujets », Nancré au Régent, 26 avril 1718, dans S. de Bourbon-Parme, ibid, pp. 305-306.

[29] Le Régent ne croyait pas non plus à la validité, ci. Sa conversation avec le cardinal de Polignac (1717) : il l’aurait niée s’il n’avait pas été concerné par la succession, S. de Bourbon-Parme, ibid, pp. 200-201.

[30] S. de Bourbon-Parme, ibid, pp.191. Le cardinal de Fleury (André Hercule, 1653-1743) fera échouer le mariage du duc de Chatres avec Mme Henriette, fils de Louis XV (1740), en vue de succéder au dauphin s’il mourait. Cf. ibid, pp.226-227.

[31] Charles André Rémy Arnould (1754-1796), député du Tiers et à la Constituante.

[32] Charles Alexis Brûlard, marquis de Sillery, comte de Genlis (1737-1793), député, et proche du duc d’Orléans.

[33] Louis Michel Lepelletier, marquis de Saint-Fargau (1760-1793). Opposé à la peine de mort en 1791, il votera celle du Roi en 1793, comme député montagnard à la Convention. Blessé à mort par un royaliste la veille du régicide, il expirera le lendemain quelques heures avant Louis XVI. La théâtralité de ses funérailles inaugura la série des grandes cérémonies révolutionnaires.

[34] Jean-François Rewbell (1747-1807), député du Tiers puis à la constituante.

[35] Guy Jean-Baptiste Target (1733-1806), avocat (défenseur du cardinal de Rohan dans l’affaire du collier), député, grand rédacteur et promoteur de la Constitution civile du clergé. Refuse en 1792 d’assurer la défense du Roi mais en fait imprimer une.

[36] Antoine Rivaroli, dit Rivarol (1753-1801), Journal politique national, 16.

[37] III, II, 1,1.

[38] III, II, 2,2.

[39] La lettre du 13 octobre.

[40] Dans Corresponadnce de Marie-Antoinette (1770-1793), Paris, Taillandier, 2005, pp. 697 sq.

[41] La cour d’Espagne regardant la sanction royale de la Constitution comme forcée.


 

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