Histoire

L’assassinat d’Alexandre de Yougoslavie préludait à la formation du Front populaire

Il y a quatre-vingt ans

Octobre 1934

L’assassinat d’Alexandre de Yougoslavie préludait à la formation du Front populaire


Les deux évènements ont rarement été mis en correspondance. Le 9 octobre 1934, à Marseille, Alexandre Ier de Yougoslavie était assassiné par un nationaliste bulgare, Vlado Tchernozemski.


Deux semaines plus tard, le 24, Maurice Thorez, chef du parti communiste français, appelait à la constitution d’un front populaire. Aucune relation apparente. Et pourtant …

      La visite officielle en France du roi de Yougoslavie s’intégrait dans la politique européenne du gouvernement d’union nationale de Gaston Doumergue formé à la suite de l’émeute du 6 février précédent. Son ministre des affaires étrangères, Louis Barthou, homme compétent – un cas relativement rare dans la France de l’entre deux guerres – avait très tôt compris la nécessité de tisser un réseau d’alliances qui, à la fois, servît de « chemin de ronde » encerclant l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, et permît à notre pays de se tenir un peu moins à la remorque du Royaume Uni. Cherchant également à s’appuyer sur la Grèce, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, Barthou ambitionnait de mettre en place un arc central et oriental, composé certes de puissances moyennes et modestes, mais dont l’addition aurait pu peser le jour venu où, inévitablement selon lui, il faudrait donner un ferme coup d’arrêt aux visées hitlériennes. On ne peut, avec le recul, s’empêcher de considérer que, si cette politique avait réussi, il est hautement probable que le désastreux accord de Munich du 30 septembre 1938 n’aurait jamais été signé.

     Né en 1888 au Monténégro, Alexandre Ier était monté, en 1921, sur le trône du royaume des Serbes, Croates et Slovènes issu du traité de Versailles. Il s’était ensuite attaché à réunir sous sa couronne d’autres populations disséminées afin de créer un État unitaire et relativement important au centre sud de l’Europe puisqu’il regroupait les territoires des actuelles Serbie, Bosnie et Herzégovine, Macédoine, Croatie, Slovénie ainsi que celui du Monténégro. Soit près de 250 000 km2  (plus de 80% de la surface de l’Italie) et de 14 millions d’habitants. Monarque autoritaire, il faisait aussi bien la chasse aux communistes qu’aux nationalistes et aux fascistes, ce qui lui valait de vives oppositions clandestines, notamment  dans les parties les plus reculées et les plus arriérées du royaume. Sensibles à la propagande totalitaire de l’axe italo-allemand, de jeunes ignorants, et donc faciles à fanatiser, comme aujourd’hui le font les islamistes, se regroupaient dans des mouvements terroristes. En débarquant à Marseille, le roi de Yougoslavie avait déjà échappé à plusieurs attentats, fomentés notamment par les oustachis (les insurgés en serbo-croate), un mouvement croate, et par le parti révolutionnaire macédonien, tous deux séparatistes, violemment antisémites et manœuvrés par les nazis. De tels mouvements comptaient aussi d’honorables correspondants dans des pays voisins, comme la Bulgarie.

    La monstrueuse cohue de la foule venue accueillir Alexandre à sa descente du bateau, combinée à un service d’ordre très insuffisant, facilitèrent grandement la tâche de son assassin, qui put tirer à bout portant sur sa victime, véhiculée dans une voiture automobile découverte sans aucune protection particulière. Dans l’affolement qui suivit, Louis Barthou, qui accompagnait le roi, fut blessé à mort par une balle tirée par un policier … La France de la IIIe république.

    Le crime rappelait évidemment celui de Sarajevo en 1914. Mais ni la France ni la Yougoslavie ne possédait de gouvernants assez déterminés pour mettre en cause les régimes fascistes et régler leur sort tant qu’il était encore temps. L’horrible souvenir des quatre années d’hécatombe était encore trop vif dans les mémoires. On ne rechercha aucune ramification internationale au geste de l’assassin.

    L’ attentat de Marseille et l’incroyable cafouillage de la police entrainèrent seulement la rapide démission du ministre de l’intérieur, Albert Sarraut, et du directeur de la sécurité nationale puis, un mois plus tard, du gouvernement Doumergue. 

L’union nationale avait vécu ce que vivent les roses. Dès lors, les partis politiques reprirent leurs intrigues et, se félicitant de l’échec de la tentative consensuelle, Maurice Thorez vit là l’occasion de relancer le combat pour l’union des gauches. D’autant que le rêve de Barthou avait, lui aussi, vécu : à Belgrade, en attendant la majorité du fils d’Alexandre, Pierre II, alors âgé de onze ans, se mit en place un conseil de régence dirigé par son cousin le prince Paul, favorable à une entente avec les puissances de l’axe. La France s’achemina alors vers la victoire du Front populaire aux élections de 1936 et, consécutivement, vers une politique de concessions sans fin à l’Allemagne hitlérienne, dont il n’est pas besoin ici de rappeler les conséquences.

Daniel  de Montplaisir

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